Par Zarefah Baroud
Au petit matin du 5 juillet, Alton Sterling âgé de 37 ans et père de cinq enfants, a été abattu par des tirs de face et de dos par des agents de police devant une épicerie à Bâton Rouge, en Louisiane.
À la suite de cette tragédie, dans la nuit du 6 juillet, un père de 32 ans, Philando Castile, a été brutalement tué par 4 à 5 coups de feu tirés par un agent de police en à l’extérieur de St. Paul, Minnesota, après avoir été pris pour cible pour une infraction de la circulation mineure – un feu arrière défectueux.
Le témoin direct de l’assassinat était sa compagne, Diamant Reynolds, ainsi que sa fille de 4 ans. Sa fille a tenté de réconforter sa mère en détresse, tout en étant traînée à l’arrière d’un véhicule de patrouille, en répétant : « Ça va, maman, je suis ici avec vous, » ne comprenant pas l’horreur de la tragédie qui venait de les frapper.
Plus tard cette nuit-là, la mère de Castile, Valérie Castile, s’est vue refuser l’autorisation de voir le corps de son fils, alors qu’elle s’était rendue au Hennepin County Medical Center, où celui-ci était décédé. Elle a refusé de regarder la vidéo de l’assassinat de son fils : « Je veux seulement me souvenir de la façon dont je l’ai vu la dernière fois, quittant ma maison plus tôt ce soir-là. »
Le président Barak Obama a timidement fait allusion aux meurtres récents lors d’une conférence au sommet de l’OTAN à Varsovie, en Pologne : « … étant donné mon rôle institutionnel, je ne peux pas commenter les faits spécifiques de ces cas, et j’ai pleinement confiance dans la capacité du ministère de la Justice à mener une enquête approfondie et équitable ».
Bien qu’il y ait encore à tenir une discussion sérieuse sur les moyens pour faire face à l’endémie de brutalité policière qui cible principalement les personnes de couleur aux États-Unis, un sentiment de crainte se fait déjà sentir dans d’autres pays. Pour exemple, les Bahamas, les Émirats arabes unis ainsi que Bahreïn ont prévenu leurs ressortissants après les homicides récents dans les États-Unis – avertissant leurs citoyens des brutalités policières contre les personnes à la peau noire noire ou brune sur le sol américain.
Tout cela survient dans un contexte très sanglant, où beaucoup d’hommes et de femmes noires en particulier, mais aussi des Latinos et d’autres minorités se retrouvent souvent victimes de brutalités policières. Il ne peut y avoir d’autre explication derrière la maltraitance des minorités dans la société américaine que celle de la couleur, ou de la classe sociale, ou des deux.
Le 26 février 2012, le garde George Zimmerman a abattu Trayvon Martin, un élève noir, sans aucune arme, du secondaire. Le 14 juillet 2013, l’équipe de défense de Zimmerman l’a félicité après qu’il ait reçu le verdict de « non coupable ». Sans prêter la moindre attention à la famille en deuil qui était présente, son avocat Mark O’Mara a déclaré, se référant au bien-être de Zimmerman après le procès : « Je pense qu’il est toujours inquiet. Espérons que tout le monde respectera le verdict du jury. »
Ironie du sort, leurs démonstrations de sympathie étaient tournées vers l’agresseur plutôt que vers la victime, ce qui a été habituel dans ces situations de la part de beaucoup d’Américains, en particulier dans les médias de droite tels que Fox News.
Après l’assassinat de Trayyon et la large indignation qui a suivi sa mort tragique, le 9 août 2014, un adolescent noir, désarmé, Michael Brown a également été abattu, au moins par six coups de feu tirés par l’agent de police Darren Wilson. Son crime : avoir volé un paquet de cigarettes dans un magasin d’alcool. Le grand jury a été composé de neuf jurés blancs et trois jurés noirs.
Suite à ces événements et aux manifestations historiques de Ferguson, dans le Missouri, qui se sont propagées à travers les États-Unis, le hashtag, et surtout, le mouvement #BlackLivesMatter s’est imposé.
Cependant, la montée de ce mouvement a été à peine considérée comme le résultat logique de la violence à l’égard des communautés noires. Le candidat présidentiel républicain, Donald Trump, par exemple, a menacé les militants de Black Lives Matter avec violence. « Je ne sais pas si je vais me battre moi-même ou si d’autres personnes le feront, » a-t-il dit.
Trump est bien connu pour son manque de sympathie envers les militants de toute nature de défense des droits humains, mais tout aussi inquiétants sont ceux qui se tiennent derrière lui, ses bailleurs de fonds et soutiens financiers, dont les segments les plus racistes de la société américaine.
Avec ses 1542 délégués gagnés en juin dans les primaires présidentielles, Trump est presque certain d’être le candidat républicain. L’ascension de Trump peut sembler choquante compte tenu de ses valeurs fondamentalement antidémocratiques et sa détermination apparente à les imposer. Mais il n’est pas seul, car sa position est également partagée par d’autres républicains.
Harry Reid, sénateur du Parti démocrate, a vertement critiqué ses rivaux républicains dans une série de tweets à la fin de l’année dernière. « Le racisme est depuis longtemps répandu dans la politique républicaine. La seule différence est que maintenant Trump dit tout haut ce que les autres (Républicains) ne font que suggérer, » dit un tweet. « Donald Trump se tient sur une plate-forme de haine que le Parti républicain a construit pour lui », dit un autre message.
Cependant, bien que les responsables du Parti démocratique semblent utiliser tous les mots qu’il faut, en réalité, ils restent largement déconnectés de la situation des minorités.
En fait, les militants de Black Lives Matter (BLM) ont refusé de soutenir l’un des candidats, même Bernie Sanders, le plus attractif. Le militant de BLM, Darnell L. Moore, a écrit dans une lettre ouverte au candidat démocrate : « Si vous voulez vraiment prouver que vous vous souciez des vies noires, et êtes prêt à vous engager comme un allié, vous avez réellement à écouter les Noirs. »
Beaucoup d’Américains, imaginant sans doute que leurs droits civils ne sont pas en danger, semblent être aveugles au sort des autres membres de leur propre communauté, en particulier les gens de couleur, en dépit de la preuve irréfutable de leur assujettissement.
En décembre 2015, le journal britannique The Guardian a rapporté que 1134 hommes noirs ont été tués par des agents de police cette seule année. Dans ce nombre choquant, il a été confirmé que 15% des personnes tuées étaient des hommes jeunes âgés de 15 à 34 ans. Environ 25%, ou 284, d’entre eux, étaient sans armes, même si selon le Guardian « les Noirs américains sont plus de deux fois plus susceptibles d’être désarmés lorsqu’ils sont tués lors de rencontres avec la police que les Blancs ».
En fait, c’est précisément la raison pour laquelle Black Lives Matter existe. Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi, co-fondateurs du mouvement, ont expliqué dans un communiqué les motifs de leur action : « Black Lives Matter est une action idéologique et politique dans un monde où la vie des Noirs est systématiquement et intentionnellement ciblée pour les faire disparaître. C’est une affirmation de la contribution des gens noirs à cette société, notre humanité et notre résilience face à une oppression mortelle ».
Fait intéressant, l’appel à la justice par des militants de BLM a retenti parmi les gens du monde entier, mais surtout ceux qui éprouvent des difficultés semblables.
À partir d’août 2014 et durant les manifestations de Ferguson dans le Missouri, les militants palestiniens se sont impliqués, directement ou via des plates-formes de médias sociaux. Les gaz lacrymogènes sont l’une des armes utilisées par les agents armés à Ferguson, quelque chose que plusieurs générations de militants palestiniens ont subi face à des soldats israéliens dans leur lutte pour la liberté.
Les messages d’instruction et d’encouragement abondaient, comme de ne pas garder de trop grande distance face à la police puisque « ’si vous êtes près d’eux, ils ne peuvent pas utiliser des gaz lacrymogènes contre vous’, ou ’assurez-vous de toujours courir contre le vent/de rester calme quand vous êtes soumis au gaz/la douleur passera/ne vous frottez pas les yeux !/ ne vous lavez pas les yeux avec de l’eau !’. »
L’avocat de défense des droits de l’homme Noura Erakat a expliqué la réaction palestinienne dans une interview avec Al-Jazeera Amérique : « Il y avait là deux groupes de personnes aux prises avec des trajectoires historiques complètement différentes, mais les deux ont subi un processus de déshumanisation, qui fait que leurs vies sont considérées comme sans valeur. »
Mais alors que les Palestiniens à des milliers de kilomètres de là, comprennent la lutte des Noirs américains, il est assez décourageant de constater que de nombreux Américains trouvent le mouvement BLM « controversé », sinon même menaçant.
Le mouvement Black Lives Matter a la ressource sociale, la force et la ténacité pour ne dépendre que de lui-même. Cependant, cela exige une véritable solidarité et le soutien de chacun pour qu’il atteigne ses objectifs légitimes – sans distinction de classe, de race et de privilège. Il y a un grand besoin de changement dans la façon dont la « communauté blanche » perçoit les souffrances, la lutte, et les sacrifices de leurs frères et sœurs dans la communauté noire. S’ils restent silencieux, le vrai changement ne se produira jamais.
Auteur : Zarefah Baroud
* Zarefah Baroud est titulaire d'un master en études politiques de l'Université de Washington, où elle a effectué des recherches sur les programmes d'aide américains à l'armée israélienne. Zarefah Baroud a publié divers articles sur CounterPunch, Common Dreams, Socialist Worker et d'autres, et elle travaille en tant qu'associée aux médias numériques pour l'organisation American Muslims for Palestine.Zarefah est doctorante au Centre européen d'études palestiniennes de l'Université d'Exeter. Son compte Twitter.
14 juillet 2016 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah