Par Adnan Abu Amer
Les Palestiniens continuent de s’interroger sur la visite, le 6 septembre, d’Ismail Haniyeh, le chef du Politburo du Hamas, au camp de réfugiés palestiniens d’Ain al-Hilweh, au Sud-Liban, où il a été accueilli avec enthousiasme. Il a même été porté en triomphe par la foule à moment donné.
Haniyeh est arrivé au Liban le 1er septembre. Cela faisait 27 ans qu’il n’y était pas venu. En 1992, il avait été exilé au Liban par Israël avec plus de 400 membres du Hamas ; en 1993, il était revenu à Gaza. Cette fois, Haniyeh est arrivé au Liban en avion depuis la Turquie.
Haniyeh est allé au Liban surtout pour participer à une réunion des secrétaires généraux des factions palestiniennes le 3 septembre à Beyrouth, qui se tenait parallèlement à une réunion à Ramallah en Cisjordanie.
Après avoir rencontré les représentants des factions palestiniennes à Beyrouth, Haniyeh a conclu son passage au Liban par la visite d’Ain al-Hilweh, où il a prononcé un discours louant la résilience des habitants des camps. Il a souligné que les réfugiés palestiniens sont hébergés par le Liban en attendant d’obtenir le droit de retourner en Palestine.
Raafat Murra, le chef du bureau international de la communication du Hamas, a déclaré à Al-Monitor : “Toutes les forces palestiniennes [du camp] ont participé à l’accueil de Haniyeh, qui est originaire de Gaza. Le Hamas est en contact avec toutes les composantes palestiniennes, et ses dirigeants vivent dans les camps [du Liban]. Nous avons toujours défendu les intérêts des réfugiés au Liban, en œuvrant notamment pour la modification des lois qui leur interdisent de travailler, et nous y avons développé d’importants programmes sociaux et de développement. Il y a quelques années, nous avons lancé une initiative sécuritaire et politique pour protéger les camps, et nous nous assurons que toutes les délégations du Hamas [qui vont au Liban] visitent les camps de réfugiés. Plusieurs membres du Politburo ont en effet visité le camp et rencontré des réfugiés”.
Le don d’un million de dollars de Haniyeh aux réfugiés palestiniens du Liban a contribué à sa popularité dans les camps.
Cependant, les cadres du Fatah au Liban et à l’étranger ont critiqué la visite de Haniyeh tout en accusant l’Autorité palestinienne (AP) d’abandonner les camps de réfugiés du Liban et de laisser le Hamas en prendre le contrôle. Dans les médias sociaux, les partisans du Fatah ont reproché au président de l’AP, Mahmoud Abbas, de ne jamais s’être intéressé aux camps de réfugiés autant que le Hamas.
Nabil Amr, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah et ancien ministre des affaires parlementaires de l’AP, a déclaré le 8 septembre que la visite de Haniyeh était un signal négatif qui montrait que l’Organisation de libération de la Palestine avait perdu son emprise sur les camps de réfugiés au Liban au profit du Hamas.
Un responsable du Fatah à Ain al-Hilweh a déclaré à Al-Monitor, sous couvert d’anonymat : “La conduite de nos dirigeants politiques est la raison de la baisse de notre popularité et de l’accueil enthousiaste de Haniyeh dans les camps. Les réfugiés dans les camps voient le nationalisme du Hamas, sa résistance et ses services, par opposition à l’indifférence de nos hauts fonctionnaires du Fatah et de l’AP qui, quand ils vont au Liban, restent à l’hôtel et ne prennent pas la peine de se rendre dans les camps. C’est pour cela que les gens ne comptent plus sur nous et qu’ils ont recours au Hamas”.
Ain al-Hilweh est l’un des plus grands camps de réfugiés palestiniens au Liban. 47 000 des 450 000 réfugiés palestiniens y vivent. Dans les années 1980, c’était le fief de l’OLP et du Fatah, mais les rôles ont changé ces dernières années en raison de la négligence de l’OLP à l’égard des camps, et il semble que le Hamas a comblé le vide.
Yasser Ali, un auteur palestinien du site d’information Al-Awda, spécialisé dans les affaires des réfugiés au Liban, a déclaré à Al-Monitor : “La visite de Haniyeh est historique et exceptionnelle, et elle intervient à un moment clé, alors que l’on tente d’imposer l’accord du siècle [le plan de paix américain pour le Moyen-Orient] et la normalisation arabe avec Israël, et que l’on s’efforce de faire pression sur le Hamas au niveau régional et international. Toutes les factions palestiniennes sont représentées dans les camps de réfugiés palestiniens [au Liban] et le Hamas a de bonnes relations avec chacune d’entre elles. L’accueil chaleureux du public ne consacrait pas seulement le Hamas, il consacrait toute la résistance. Les réfugiés palestiniens apprécient énormément que les dirigeants politiques de la résistance leur rendent visite dans leurs camps”.
Haniyeh a été très occupé pendant sa visite d’une semaine. Il a rencontré le Premier ministre libanais intérimaire Hassan Diab, le président du Parlement Nabih Berri, le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah, le directeur général de la Sûreté générale libanaise Abbas Ibrahim, le chef et membre du Parlement du Mouvement du futur Bahiya Hariri et le chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt.
La visite de Haniyeh n’a pas suscité la controverse seulement parmi les Palestiniens. Plusieurs dirigeants politiques libanais ont considéré sa visite comme de la propagande politique et médiatique en faveur de l’axe iranien et lui ont reproché de ne pas respecter la souveraineté libanaise quand il a menacé Israël lors d’un discours dans le camp d’Ain al-Hilweh.
Mais Emad Mohsen, un porte-parole du courant réformiste démocratique de l’ex-leader du Fatah Mohammed Dahlan, a déclaré à Al-Monitor : “L’accueil enthousiaste que Haniyeh a reçu au Liban était normal et prévisible, puisqu’il est le leader du Hamas, qui est une composante authentique du peuple palestinien. L’échec de la direction actuelle du Fatah et le fait qu’elle ait déserté, négligé et marginalisé les camps ont donné encore plus d’impact à cette visite”.
Saleh al-Arouri, l’adjoint de Haniyeh, a déclaré à la chaîne Al-Mayadeen le 7 septembre : “La visite de Haniyeh à Ain al-Hilweh n’avait pas pour but de marquer des points contre le Fatah, car il a été accueilli par toutes les factions, y compris le Fatah, et le Fatah a participé à l’organisation de cette visite”.
Abdul Sattar Qassem, professeur de sciences politiques à l’université An-Najah de Naplouse en Cisjordanie, a déclaré à Al-Monitor : “Il est normal que la popularité du Fatah et de l’AP dans les camps de réfugiés diminue. Les accords d’Oslo qu’ils ont signés ont supprimé le droit au retour. C’est pourquoi les réfugiés ont accueilli chaleureusement Haniyeh, car ils pensent que le Hamas est le seul parti capable de mobiliser des foules sur place et à l’étranger. Cela montre que les Palestiniens s’éloignent progressivement de l’AP et du Fatah”.
Alors que la visite de Haniyeh à Ain al-Hilweh a constitué une victoire pour le Hamas à un moment où il subit la pression des Etats-Unis, d’Israël et de certains pays arabes, elle a constitué un revers pour le Fatah et l’AP qui semblent avoir perdu toute influence, au profit du Hamas, dans un bastion historique – les camps de réfugiés au Liban. Au vu de tout ce que nous venons de dire, si l’AP veut redorer son blason, il devra faire en sorte d’augmenter sa présence et ses activités dans les camps.
* Adnan Abu Amer dirige le département des sciences politiques et des médias de l’université Umma Open Education à Gaza, où il donne des cours sur l’histoire de la Cause palestinienne, la sécurité nationale et lsraël. Il est titulaire d’un doctorat en histoire politique de l’université de Damas et a publié plusieurs ouvrages sur l’histoire contemporaine de la Cause palestinienne et du conflit israélo-arabe. Il travaille également comme chercheur et traducteur pour des centres de recherche arabes et occidentaux et écrit régulièrement pour des journaux et magazines arabes.
27 août 2020 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
Merci pour ce commentaire argumenté. En espérant une concrétisation de l’unité de la Résistance.