Par Adnan Abu Amer
La tension monte en Cisjordanie tandis que continuent les interventions des forces de sécurités dans les camps de réfugiés menant des opérations que l’Autorité palestinienne tente de ne pas ébruiter.
Il y plusieurs raisons aux affrontements armés qui se produisent dans les camps de Cisjordanie depuis dix jours. Les forces de sécurité palestiniennes à la poursuite d’individus recherchés pour délits, ont dispersé une réunion de dirigeants du Fatah, opposants du Président Mahmoud Abbas et tout particulièrement Tafa al-Bass, qui s’est tenue dans le camp de réfugiés d’al-Amari à Ramallah le 22 octobre.
Le même jour, l’agence d’information palestinienne al-Quds citait une source anonyme de la sécurité ayant dit à l’agence Wafa que la réunion avait été dispersée sur instruction de l’AP, qui pensait que derrière elle se cachaient des groupes palestiniens dont les objectifs servaient des intérêts étrangers. Selon cette source le meeting était illégal parce qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation requise, et les forces de sécurité ne pouvaient tolérer une telle menace à l’état de droit.
Des affrontements se produisent à chaque fois que les forces de sécurité font irruption dans les camps pour des opérations de maintien de l’ordre. La plus récente confrontation se produisit dans le camp de réfugiés Balata à Naplouse le 21 octobre.
La violence en Cisjordanie, y compris les affrontements qui ont éclaté en juin à Naplouse, a démontré l’incapacité de l’AP à maîtriser la situation de sécurité intérieure et à endiguer l’émergence de militants armés.
Le dirigeant du Fatah et membre du Conseil Législatif Palestinien (PLC) Tayseer Nasrallah a déclaré à Al-Monitor, « Les façon dont les forces de sécurité gèrent les actes illégaux passe mal avec les Palestiniens. Il faudrait mettre un terme aux campagnes sécuritaires dans les camps de réfugiés, ainsi qu’aux punitions collectives des Palestiniens. Toutefois, les affrontements armés sont liés à la tenue prochaine du congrès du Fatah fixé à la fin novembre. Chaque groupe dans le Fatah veut imposer ses propres objectifs et élire ou nommer les dirigeants du Fatah de leur choix. Plus le septième congrès du Fatah se rapproche, plus les affrontements armés entre Palestiniens s’intensifient, même à l’intérieur du Fatah lui-même. »
Des personnalités politiques palestiniennes ont exhorté l’AP à agir avec sagesse et de mettre fin aux opérations de sécurité dans les camps de réfugiés. Le 29 octobre, un membre du PLC pour le Fatah, Najat Abu Bakr s’est déclaré opposé aux assauts des forces de sécurité contre les camps et a réclamé la constitution d’une commission d’arbitrage pour résoudre les conflits internes palestiniens.
Le 26 octobre, un membre du comité central du Fatah et ancien commandant du Service de sécurité préventive en Cisjordanie, le général de division Jibril Rajoub a critiqué les forces de sécurité parce qu’elles resserrent leur étreinte autour des camps et a accusé certains chefs des forces de sécurité palestiniennes de crime contre leur propre peuple.
Une des raisons derrière les affrontements en Cisjordanie c’est le conflit qui oppose Abbas et son plus grand rival Mohammed Dahlan, le dirigeant du Fatah que Abbas a révoqué en 2011 sur accusations de corruption financière. Aujourd’hui, Dahlan exerce une influence croissante en Cisjordanie et procure fonds et armes à ses partisans en Cisjordanie dans l’espoir d’y déstabiliser la domination de Abbas.
Un analyste politique palestinien Hisham Sharabati a dit à Al-Monitor, « Les affrontements en Cisjordanie reflètent la magnitude qu’a atteint le conflit entre Abbas et Dahlan. Le conflit entre les courants de ces deux dirigeants a dernièrement viré à la confrontation armée dans les camps de réfugiés en Cisjordanie entre des hommes armés et les forces de sécurité, ayant pour conséquence l’arrestation de toute personne qui critique Abbas avec pour chef d’accusation le soutien à Dahlan. C’est pourquoi les jours qui viennent seront marqués par un climat croissant de désobéissance à l’AP et à son administration dans des secteurs de Cisjordanie où Dahlan a pu faire une percée. Il va y avoir une campagne d’arrestations pour endiguer la vague de rébellion contre l’AP et son administration. »
Les affrontements armés en Cisjordanie peuvent avoir des répercussions sur la division interne palestinienne et l’approfondir, ce qui nuira à la stabilité de la société palestinienne même si l’AP est en mesure d’assurer une stabilité relative dans certains secteurs troublés en arrêtant des tireurs ou en saisissant des armes dans certains camps de réfugiés.
Nayef Rajoub, ancien ministre des dotations et des affaires religieuses, et membre pour le Hamas du PLC, a déclaré à Al-Monitor, « Les affrontements sanglants entre Palestiniens qui ont lieu en Cisjordanie auront un impact négatif sur la cause palestinienne. La situation actuelle des camps est honteuse, indépendamment de ses antécédents politiques. C’est une menace pour la cause palestinienne à cette étape critique et montre à quel point Israël profite des conflits internes palestiniens tout en continuant à mettre de l’huile sur le feu. »
Les affrontements armés en Cisjordanie coïncidèrent avec l’annonce faite le 28 octobre par l’armée israélienne de la constitution d’une équipe en prévision de l’effondrement éventuel du pouvoir d’Abbas ou d’une confrontation armée pour la présidence de l’AP.
Les affrontements ont touché le camp de réfugiés al-Amari à Ramallah, capitale de l’AP, où sont stationnées ses forces de sécurité centrales. L’AP pourrait considérer que les limites ont été franchies, et que les barrières de sécurité qui protègent Abbas depuis sa prise de pouvoir en 2005 ont été violées. Le Carnegie Endowment for International Peace a déclaré le 20 octobre que le conflit entre Dahlan et Abbas pourrait se traduire par des confrontations sur le terrain, surtout en Cisjordanie.
Un responsable de la sécurité palestinien a dit à Al-Monitor sous couvert d’anonymat, « Les Palestiniens craignent une escalade des affrontements en Cisjordanie parce que Abbas a une liste de 17 dirigeants du Fatah qu’il pourrait limoger pour s’être opposés à lui et rapprochés de Dahlan, comme Shami al-Shami, Jamal Tirawi, Dimitri Diliani, Haytham al-Halabi et Issa Abu Aram. »
Le journal al-Resalah affilié au Hamas a rapporté le 28 octobre que l’AP essayait de ne pas ébruiter la situation des camps de Cisjordanie et a prévenu les organes d’information palestiniens de ne pas en parler, affirmant que les incidents étaient mineurs et isolés.
Yousef Rizqa, ancien ministre de l’information du Hamas, a dit à Al-Monitor, « Les affrontements armés reflètent le profond différend qui oppose Abbas et Dahlan à l’aube du septième congrès du Fatah. Le conflit entre les deux est monté en flèche après qu’Abbas s’est mis à craindre que l’influence de Dahlan ne s’étende dans le propre territoire de l‘AP en Cisjordanie. Dahlan a beaucoup d’argent et ses partisans parcourent la Cisjordanie et se réunissent dans plusieurs villes, villages et camps de réfugiés. »
La situation en Cisjordanie est peut-être même encore plus dangereuse depuis le 24 octobre, après que les forces de sécurité palestiniennes ont révélé l’arrestation d’une cellule de Naplouse qui prévoyait d’assassiner d’éminents dirigeants du Fatah, dont Ghassan Shaka, membre de la commission exécutive de l’OLP, Tiwari, membre du PLC du Fatah et le secrétaire du conseil révolutionnaire du Fatah Ami Maqboul. Tout ceci laisse supposer qu’une escalade de violence sans précédent serait en cours entre les courants opposés de l’AP.
* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé en Histoire de la question palestinienne, sécurité nationale, sciences politiques et civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.
1e novembre 2016 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – MJB