Le groupe de défense des prisonniers palestiniens, Addameer, s’est joint à une opposition publique et croissante à l’Autorité palestinienne (AP) – que l’ONG a qualifiée de “régime toujours plus autoritaire” – pour une nouvelle loi à large application qui criminalise en réalité “toute forme de contestation numérique.”
Le décret, publié le 24 juin par l’ex-président palestinien Mahmoud Abbas, a été qualifié par les groupes de défense des droits de l’homme de “draconien” et de “pire loi de l’histoire de l’AP”, en imposant des peines de prison, du travail forcé et des amendes pour la production, la publication et le partage d’informations jugées dangereuses par l’AP.
Dans une déclaration faite la semaine dernière, la faction de l’OLP de gauche, le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) a dénoncé la loi “d’outil répressif” contre tous ceux qui ne sont pas d’accord, s’opposent et “font face aux méfaits” de l’AP.
Le FPLP a déclaré que la promulgation de la loi intervient alors que “l’occupation (israélienne) mène une campagne frénétique contre les journalistes, avec des poursuites, des arrestations et des attaques – ce qui équivaut à un ciblage physique direct menant à la mort et aux blessures de dizaines de journalistes” et que l’AP “cherche à poursuivre et à arrêter les mêmes journalistes”.
Dans le commentaire détaillé de la nouvelle loi publiée ce dimanche, Addameer, qui fournit un soutien juridique aux prisonniers politiques palestiniens détenus par Israël et l’AP, a expliqué que la loi formulée en termes vagues et à large application pourrait impliquer des peines de prison, du travail forcé et/ou des centaines de dollars d’amendes pour les journalistes, les responsables d’édition, les diffuseurs, et même quelqu’un “regardant Game of Thrones en utilisant un VPN [réseau virtuel, protégé par un encryptage des données]”.
“Les aspects les plus troublants de ce document sont ses définitions vagues de ce qui constitue une infraction tombant sous le coup de la loi, son extension dans son application à toute personne qui aide ou accepte ce que le décret considère comme un crime, et ses attaques claires contre les dissidents, les journalistes et les leakers [internautes organisant les fuites d’informations souvent officielles jugées confidentielles],” explique le groupe de défense des droits des prisonniers.
Addameer a condamné la loi qui exploite des restrictions peut-être légitimes sur le piratage et la fraude sur Internet, comme camouflage juridique pour de graves restrictions sur la protection de la vie privée et la liberté d’expression.
Bien que selon l’association juridique, un tel décret puisse être souhaitable pour lutter contre les pirates et les fraudeurs, “cela ne représente en aucun cas une ‘nécessité’ telle que stipulée dans la Loi fondamentale”.
La loi fondamentale palestinienne dit que les décrets présidentiels ne peuvent être émis que dans une “période de nécessité, si la situation est assez urgente pour ne pas pouvoir attendre la prochaine séance du Conseil législatif palestinien”, selon Addameer.
Depuis que le Hamas a remporté les élections législatives en 2006, le Conseil législatif palestinien ne s’est pas réuni à Ramallah, ce qui signifie que Abbas, qui a prolongé sa présidence indéfiniment depuis 2009, n’a statué que par décret depuis plus de 10 ans.
Des peines de prison, des amendes ou les deux à la fois…
La loi stipule que “toute personne qui … a abusé de toute technologie de l’information” peut être emprisonnée, avoir une amende de 200 à 3000 dinars jordaniens, ou les deux. Si l’infraction présumée affecte les données du gouvernement, une peine minimale de cinq ans de travail obligatoire et une amende minimale de 5000 dinars jordaniens (7070 dollars) sont requises, a déclaré Addameer.
Cette clause, selon Addameer, est clairement dirigée contre les journalistes et les enquêteurs, bien que ces “abus” soient mal définis et ouverts à l’interprétation.
Une personne qui menace de commettre un crime ou un “acte immoral” même sans précision sur Internet, est également condamnée à un travail temporaire et pénible.
Quiconque crée ou partage un contenu qui “enfreint la moralité publique” fait face à une peine de prison minimale d’un an ou une amende minimale de 1000 dinars jordaniens plafonnés à 5000 dinars (7070 dollars), ou les deux.
La plus grande menace pour la liberté de presse dans cette loi, selon Addameer, est un article qui punit “quiconque crée ou gère un site Web ou une plate-forme de technologie de l’information qui vise à publier des nouvelles qui mettraient en danger l’intégrité de l’État palestinien, l’ordre public ou la sécurité interne ou externe de l’État” avec une amende entre 1414 dollars et 7070 dollars, ou au minimum une année d’emprisonnement, ou les deux.
Quiconque partage ce contenu serait également puni d’une peine d’emprisonnement maximale d’un an ou d’une amende d’entre 200 dinars jordaniens (283 dollars) et 1000 dinars (1414 dollars), ou les deux.
“Quelque chose d’aussi simple qu’un partage sur Facebook pourrait aboutir à une amende, à la prison ou aux deux. Le décret équivaut même à criminaliser l’utilisation de tout moyen pour contourner le blocage de certains sites Web, comme un VPN”, a déclaré Addameer.
Le décret demande également aux fournisseurs de sites Web de se conformer à l’Autorité palestinienne pour bloquer certains sites Web. Il attribue le droit à l’AP de saisir l’équipement prétendument utilisé dans les crimes contre la cybercriminalité, et permet à l’AP de surveiller les communications et les données de toute personne pour une période renouvelable de 15 jours, avec l’approbation d’un magistrat. Les contrevenants à l’égard de ces clauses peuvent s’attendre à une condamnation à du travail forcé.
“En substance, outre l’atteinte à la liberté de la presse, l’Autorité palestinienne peut maintenant emprisonner et verbaliser les particuliers pour faire du partage sur Facebook, regarder Game of Thrones en utilisant un VPN, propager un meme [information, souvent une image, diffusée et reprise massivement] “offensant”, publier un tweet contre certains politiciens ou affirmer des allégeances politiques”, a encore déclaré Addameer.
Deux cas actuellement connus pour lesquels la loi a été utilisée
Addameer a déclaré que l’AP a déjà utilisé au moins deux fois la loi pour restriendre la liberté de la presse et la liberté d’expression.
Récemment, cinq journalistes ont été arrêtés et accusés de “fuite d’informations vers des entités hostiles”, et quatre autres ont également été interrogés. Les déclarations initiales prétendaient que les arrestations n’étaient pas liées au décret, mais le procureur a ensuite cité la loi comme motif de leur arrestation.
Les journalistes ont été détenus pendant cinq jours et ont dû verser une caution de 1000 dinars, le montant stipulé dans le décret. “On ne sait pas s’il y aura un procès, mais, à ce stade, aucun n’a été accusé officiellement”, selon Addameer.
Les journalistes, à l’exception d’un pigiste, ont tous travaillé pour des sites d’informations qui ont été bloqués par l’AP à la mi-août. La majorité des 30 sites affectés étaient affiliés au mouvement Hamas, – le rival de l’AP – ou à l’ex-député du Fatah, Muhammad Dahlan, et quelques autres étaient prétendument associés à ce que l’on appelle l’État islamique.
“Le fait que ces sites Web sont dirigés par des rivaux politiques à la faction dominante de la PA indique que ces lois sont et continueront d’être utilisées pour étouffer la liberté d’expression, les discussions concernant l’état de la politique en Palestine”, a déclaré Addameer.
En dépit du fait qu’il ne soit pas officiellement détenu en vertu du décret, Addameer a également cité l’arrestation du journaliste palestinien Jihad Barakat, en violation des libertés de la presse depuis la promulgation de la loi. Il a été détenu pour avoir filmé le Premier ministre palestinien Rami Hamdallah contrôlé par des soldats israéliens à un barrage militaire.
Barakat a été accusé d’une série d’infractions, y compris la mendicité… pour lesquelles il sera jugé en septembre dans le système judiciaire de l’Autorité palestinienne.
Addameer a rappelé à l’AP ses obligations à l’égard d’un certain nombre de conventions sur les droits de l’homme – que le décret viole dans le domaine de la liberté d’expression – et vis-à-vis desquelles le gouvernement basé à Ramallah s’est engagé.
“En dépit du fait que ‘la loi sur les crimes électroniques’ parle de ‘sécurité nationale’, le décret lui-même est clairement contraire à l’esprit du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le fait que les limites de la liberté d’expression aient été imposées aux voix de l’opposition et aux journalistes critiques est plus que suffisant pour conclure que l’Autorité palestinienne viole ses engagements internationaux”, a affirmé le groupe de défense des droits des prisonniers.
“Addameer demande instamment à l’Autorité palestinienne de respecter les conventions auxquelles elle est partie prenante, en particulier au vu de la détérioration permanente de la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés”.
22 août 2017 – Ma’an News – Traduction : Chronique de Palestine