Maysoon Abu Jumaa, âgée 38 ans, a été extrêmement choquée quand elle a reçu son chèque de paie pour le mois de mars. Ce professeur de sciences basé à Gaza gagne régulièrement environ 700 dollars de salaire mensuel. Le mois dernier, elle n’a reçu que 70 dollars.
Abu Jumaa est l’une des dizaines de milliers d’employé(e)s de l’Autorité palestinienne (AP) vivant dans la bande de Gaza assiégée, et aujourd’hui affectée par une décision qui a considérablement réduit ses revenus.
“Je suis une mère de six orphelins, et maintenant je crains que mes petits enfants ne restent sans nourriture”, a déclaré Abu Jumaa à Al Jazeera, la voix tremblante.
La décision est entrée en vigueur la semaine dernière, lorsque les travailleurs du secteur public de l’AP ont reçu leurs salaires de mars avec entre 30 et 70% de déductions, entraînant l’éruption de grands rassemblements dans l’enclave côtière en état de pauvreté.
L’AP, un organisme semi-gouvernemental qui administre la Cisjordanie occupée par Israël, s’oppose au mouvement Hamas qui gère la bande de Gaza depuis que ce dernier a pris le contrôle du territoire en 2007 après sa victoire aux élections.
Après que le Hamas, le mouvement de résistance basé à Gaza, ait voul prendre ses responsabilités, l’AP a exigé de ses employés à Gaza de ne pas ne rende au travail tant que le Hamas gouvernerait. Ceux qui ont alors décidé de ne pas se rendre à leur travail ont conservés leurs émoluments. Mais beaucoup d’autres ont continué à assure leur emploi, après qu’un décret religieux à Gaza ait stipulé qu’il était malhonnête d’accepter de l’argent s’il n’était pas mérité.
Abu Jumaa, qui enseigne dans une école publique secondaire à Rafah, une ville du sud de la bande de Gaza, est mise dans une situation très difficile avec les pertes financières. Elle est complètement impuissante, confrontée à des responsabilités familiales de plus en plus lourdes. “C’est injuste, comment vais-je payer pour les frais de scolarité et autres dépenses incontournables, comme les médicaments pour mon petit fils qui souffre d’épilepsie ?” explique-t-elle.
Les quelque 70 000 fonctionnaires de l’AP se battent déjà avec des salaires maigres et irréguliers, dans un contexte où la vie est chère. Aujourd’hui, ils courent le risque de la pauvreté.
La bande de Gaza a souffert de conditions économiques abominables depuis que la zone a été placée sous un blocus par Israël il y a plus de 10 ans. Environ 40% des deux millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, alors qu’au moins 80% de la population mourrait de faim sans l’aide organismes internationaux.
En 2015, les Nations Unies ont averti que Gaza pourrait devenir “inhabitable” d’ici 2020 si la même tendance se poursuit.
Sanaa Ghaith, un autre professeur à Rafah, qui fait vivre 11 membres de sa famille, a perçu seulement 50 dollars de salaire le mois dernier. “Notre espoir d’une vie stable diminue dans cette ville, les gens sont las”, a déclaré Ghaith à Al Jazeera.
“En tant que mère, comment trouverais-je les mots pour dire à mes trois filles que je ne peux pas payer leur études au collège et à l’université ?” a déclaré Ghaith à Al Jazeera.
La crise des salaires est susceptible d’aggraver la situation et d’accroître les souffrances dans le territoire frappé par la pauvreté.
Un porte-parole de l’AP a déclaré que le blocage financier paralysant imposé à l’État palestinien, ainsi que les divisions internes, sont responsables des réductions de salaire dans la bande de Gaza.
“Le soutien international et financier à l’Autorité palestinienne a considérablement diminué ces dernières années, entraînant une profonde crise financière. Le volet le plus important est celui des salaires non versés, et des réductions des primes et indemnités pour nos employés dans la bande de Gaza,” a déclaré Yousef al-Mahmoud dans un communiqué.
Le Hamas a dénoncé ce qu’il a qualifié de “décision arbitraire et irresponsable” qui vise à affaiblir la détermination des populations assiégées.
Un haut responsable du Hamas, Yahia Moussa, a déclaré à Al Jazeera que le Hamas rejette les prétextes avancés par l’Autorité palestinienne pour justifier sa décision.
“Si les affirmations de l’AP selon quoi elle fait face à des problèmes financiers sont vraies, pourquoi ne met-elle en œuvre ces réductions et autres mesures d’austérité que sur les habitants de Gaza?” a souligné Mousa, faisant écho aux questions dans le territoire, où l’on s’interroge de savoir pourquoi il ne s’agit que des employés de l’AP à Gaza et non ceux de Cisjordanie, qui sont ciblés par les coupes budgétaires.
“Ces pratiques sont un effet manifeste de la politique biaisée de l’Autorité palestinienne contre le peuple palestinien à Gaza, et qui a pour objectif d’aggraver la déconnexion entre Gaza et la Cisjordanie occupée”.
Une poignée de manifestants en colère ont menacé de lancer une grève de la faim pour mettre l’AP et son président, Mahmoud Abbas, sous pression pour qu’ils reviennent immédiatement sur leur dernière décision si contestée.
Tarek Dadeh était l’un de ces manifestants. “Nous sommes tombés victimes du sale jeu qu’ils jouent les uns contre les autres. Ils [l’AP et le Hamas] doivent arrêter cette farce et arrêter de louer leur peuple tout en sabotant leurs moyens de subsistance qui sont déjà faibles”, a déclaré Dadeh à Al Jazeera.
Il a appelé Abbas à intervenir et à annuler la mesure discriminatoire et punitive qui est menée contre le peuple palestinien à Gaza. “Ils mentent, ils ont l’argent pour nous payer les salaires. Ils collectent les recettes fiscales et reçoivent une aide financière de l’Union européenne, pourquoi ne pas nous donner ce qui nous revient ?” ajoute Dadeh.
Dadeh, ainsi que de nombreux autres employés de l’AP, risquent de perdre leurs maisons s’ils ne paient pas de loyer. Il doit également chercher de nouveaux créanciers pour l’aider à couvrir ses frais médicaux pour sa femme, qui souffre de diabète. Pour le moment, tout ce qu’il peut faire est de protester.
Pendant ce temps, l’effet de la crise des salaires a été notable dans tous les marchés locaux de Gaza, le pouvoir d’achat général diminuant fortement et beaucoup de magasins restant vides de clients.
Omar Shaban, un analyste économique à Gaza, a déclaré que l’économie locale à Gaza était déjà morte et paralysée, mais que la situation s’aggravera si la crise n’est pas résolue.
“L’économie stagnante à Gaza doit être stimulée par le mouvement sur les marchés, mais sans salaires, les travailleurs ne rembourseront pas leurs dettes aux propriétaires de magasins et tout le monde paiera les pots cassés”, a déclaré Shaban à Al Jazeera.
Un autre analyste basé à Gaza, Ibrahim el-Madhoun, a déclaré à Al Jazeera que l’Autorité palestinienne continue avec sa politique sans cesse de détourner ses responsabilités envers la bande de Gaza qui est gouvernée par le rival du Fatah, le Hamas, pour accumuler et doubler les difficultés économiques et sociales de l’enclave et mettre Il est à la limite de l’effondrement.
“La dernière initiative de l’Autorité palestinienne révèle une indifférence sans précédent vis-à-vis de Gaza, y compris à l’égard des employés de l’AP qui ont été à plusieurs reprises lâchés et déçus par leur direction”, a déclaré M. El-Madhoun.
“L’AP ne semble même ne pas se soucier de la dégradation de son soutien public à Gaza, et cela aura pour effet un approfondissement de la division interne” palestinienne.
11 avril 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine