Par Adnan Abu Amer
L’Autorité palestinienne (AP) a l’intention d’imposer de nouvelles sanctions au Hamas, notamment contre des sociétés de transfert de fonds de la bande de Gaza. Le journal libanais Al-Akhbar a révélé le 29 janvier que l’Autorité monétaire palestinienne (AMP) à Ramallah, en Cisjordanie, a annoncé à ses sociétés de transfert de fonds sous licence que L’AMP prévoyait de mettre fin ou de réduire ses activités à Gaza d’ici fin février.
L’AP fait pression depuis longtemps sur le Hamas pour qu’il renonce au contrôle de la bande de Gaza. Les efforts de réconciliation ont échoué.
Ces dernières années, les sanctions imposées par l’Autorité palestinienne ont affecté tous les aspects de la vie à Gaza, elles ont contraint 26 000 fonctionnaires à prendre une retraite anticipée, réduit les salaires de 62 000 employés de 50 % et supprimé l’argent versé à 277 détenus libérés. En outre, les sanctions ont retardé de six mois le versement des prestations sociales à 76 000 familles de la bande de Gaza, suspendu les budgets des ministères de la santé et de l’éducation, fermé les comptes bancaires des orphelinats couvrant les besoins de 40 000 enfants et considérablement réduit la possibilité d’aller se faire soigner à l’étranger, notamment pour les malades du cancer.
L’Autorité monétaire palestinienne (AMP) a refusé de dire à Al-Monitor ce qu’elle pensait du rapport d’Al-Akhbar, sans dire pourquoi. Cependant, un proche du président palestinien Mahmoud Abbas a déclaré à Al-Monitor, sous couvert d’anonymat, que “l’Autorité palestinienne fera tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin le plus rapidement possible au contrôle du Hamas sur Gaza, notamment en asséchant ses sources [de soutien financier]. Le Hamas fait rentrer secrètement de l’argent à Gaza par l’intermédiaire de sociétés de transfert d’argent. Le mouvement a absolument besoin de ces sociétés pour augmenter son budget et ses revenus.”
Sur les 500 sociétés de transfert de fonds opérant à Gaza, seules 60 ont une licence. Les 500 sociétés ont toutes des problèmes pour envoyer ou recevoir des fonds. Elles ne peuvent pas transférer plus de quelques milliers de dollars et ne peuvent pas recevoir d’argent de sources inconnues de l’AMP.
Trois types de transferts ont lieu à Gaza. D’abord les virements d’une banque à l’autre. Ensuite, les “transferts rapides”, qui se divisent en deux catégories : les transferts sous licence utilisant des opérateurs comme MoneyGram et Western Union, et les transferts sans licence qui passent par des entreprises comme Xpress Money, Xpress Remit et Al Ansari Exchange. Enfin, les virements manuels hors système bancaire qui s’apparentent à du blanchiment d’argent. Ces transferts sont souvent le fait d’organisations palestiniennes qui sont interdites bancaires par les services de sécurité palestiniens et israéliens.
Abed al-Khaleq, un employé d’une société de transfert de fonds qu’il n’a pas nommé pour des raisons de sécurité, a déclaré à Al-Monitor : “L’AMP nous a dit au début de 2019 de régulariser notre situation et d’obtenir une licence. Nous avons appris par l’AMP que de nouvelles sanctions seront imposées, à Gaza, sur nous aussi. Cela touchera plus de 2 000 employés et des milliers de personnes à qui elles [les sociétés de transfert d’argent] profitent.”
Il a ajouté : “Notre société effectue en moyenne 5 000 transferts par mois, d’une valeur de plusieurs millions de dollars. C’est surprenant, mais le montant d’argent que nous envoyons de Gaza à l’étranger est supérieur à celui que nous recevons.”
Les sociétés de transfert d’argent effectuent des milliers de transferts quotidiens à destination et en provenance de la bande de Gaza. Les familles des étudiants de Gaza qui étudient à l’étranger leur envoient de l’argent pour couvrir les frais de scolarité et les frais d’hébergement. A l’inverse, les Palestiniens qui vivent dans des pays arabes et occidentaux envoient des fonds à leurs familles à Gaza pour les aider à s’en sortir dans les circonstances difficiles qui résultent du blocus imposé par Israël depuis plus de dix ans.
Usama Nofal, directeur de la planification et de la politique au ministère de l’Économie de Gaza, a déclaré à Al-Monitor : ” Les attaques de l’Autorité palestinienne contre les sociétés de transfert d’argent vont détériorer encore davantage la situation économique à Gaza, notamment en raison du manque de devises étrangères à Gaza. Les autorités gouvernementales de Gaza ne connaissent pas le montant des fonds entrant à Gaza par l’intermédiaire de ces firmes. Nous n’avons aucun contrôle sur elles; elles ne dépendent pas d’une banque centrale.”
Les sociétés de transfert d’argent de Gaza fonctionnaient bien autrefois, mais depuis la prise de contrôle de Gaza par le Hamas en 2007, la situation a changé.
En janvier 2012, Western Union a annulé les licences qu’elle avait accordées aux sociétés de change et de transfert d’argent à Gaza. En mai 2015, l’armée israélienne a fait des raids dans des sociétés de transfert de fonds dans les villes d’Hébron et de Bethléem en Cisjordanie, sous prétexte qu’elles transféraient de l’argent au Hamas. Le même mois, les services de sécurité palestiniens ont annoncé qu’ils avaient découvert des sources financières qui transféraient des dizaines de milliers de shekels de fonds au Hamas en provenance et à destination de Gaza. (Un shekel israélien équivaut à environ 0,24 €)
En juin 2018, l’ancien ministre israélien de la Défense, Avigdor Liberman, a classé la Hamed Exchange Company à Gaza dans les organisations terroristes, l’accusant d’aider financièrement le Hamas. Le 22 novembre, l’Autorité palestinienne a voté la Stratégie nationale de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme visant à identifier les motifs des virements entre banques ainsi que leurs sources et leurs bénéficiaires.
Pour les particuliers, le système a évolué ou s’est décentralisé au fil des ans, selon la manière dont on voit les choses. Désormais, les clients doivent donner aux sociétés de transfert leur carte d’identité, leur numéro de téléphone cellulaire, des détails sur l’expéditeur et la nature des relations qu’ils entretiennent avec lui, par exemple, s’ils sont parents ou collègues de travail.
Mais ça pourrait être pire, et ça le deviendra sans aucun doute.
Mohammed Abu Jayab, rédacteur en chef du journal Al-Eqtesadia à Gaza, a déclaré à Al-Monitor : “Les transferts individuels via les sociétés de transfert d’argent de Gaza sont simples, mais ils concernent des montants importants. Pendant le ramadan 2018 [mi-mai à mi-juin], 30 millions de dollars ont été transférés à Gaza. L’AP et Israël accusent ces sociétés de financer le Hamas.”
Il a ajouté : “Ces accusations sont difficiles à croire. Ces sociétés n’osent pas transférer de grosses sommes d’argent au Hamas parce qu’elles sont sous licence de l’AMP. En outre, si ceux qui envoient de l’argent de l’extérieur de la Palestine violaient les règles strictes qui leur sont imposées, ils sont poursuivis par le pays où ils vivent. Enfin, les services de sécurité palestiniens prennent des mesures contre toute entreprise qui transfère de l’argent au Hamas.”
Les sociétés de transfert de fonds de Cisjordanie sont également soumises à un contrôle étroit des services de sécurité israéliens et palestiniens. Le département économique du Service de sécurité préventive palestinien contrôle tous les transferts, en vérifie la source, et donne son aval sécuritaire avant l’encaissement.
Atef Adwan, président de la Commission économique du Conseil législatif palestinien, a déclaré à Al-Monitor : “Les nouvelles contraintes que l’Autorité palestinienne va imposer aux sociétés de transfert d’argent sont très graves car elles vont réduire davantage la faible quantité d’argent qui circule encore à Gaza. Cela fait partie des efforts de l’Autorité palestinienne pour bloquer le flux d’argent dans la bande de Gaza et tarir toutes ses ressources financières. L’AP veut provoquer l’effondrement de l’économie de Gaza.”
Dans la bande de Gaza, il est aujourd’hui plus facile de recevoir des fonds par l’intermédiaire de sociétés de transfert de fonds que par l’intermédiaire de banques, qui imposent des procédures compliquées et sont soumises au contrôle israélien et palestinien. L’AP sait bien que ces sociétés sont le seul moyen pour les familles palestiniennes de Gaza de recevoir de l’argent de l’étranger, et que les futures restrictions vont rendre la situation économique des citoyens encore plus difficile. Les familles nécessiteuses qui reçoivent de l’argent de l’étranger en pâtiront et le taux de pauvreté dans la bande de Gaza augmentera.
* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé en Histoire de la question palestinienne, sécurité nationale, sciences politiques et civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.
10 février 2019 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet