Par Jonathan Cook
Les Nations Unies et ses agences font l’objet de menaces et d’un « chantage » financier sans précédents de la part de l’administration Trump, pour les empêcher de dénoncer les violations israéliennes des droits de l’homme, selon les analystes et les dirigeants palestiniens.
Ces derniers accusent les États-Unis de se joindre à Israël dans une campagne d’intimidation contre le secrétariat de l’ONU et les États membres, pour blanchir l’image internationale d’Israël.
L’offensive a été déclenchée pour mettre fin aux critiques des milieux diplomatiques contre le gouvernement israélien de Benjamin Netanyahou qui, depuis plusieurs années, refuse de s’engager dans un processus de paix avec les Palestiniens.
Un premier indice du succès de la nouvelle campagne, selon les analystes, a été l’élection de la semaine dernière de Danny Danon en tant que vice-président du principal forum représentatif de l’ONU, l’Assemblée générale.
Danon est l’ambassadeur d’Israël aux Nations Unies depuis 2015.
Il est connu comme un adversaire acharné de la solution à deux États et, avant de se rendre à l’ONU, à New York, il a appelé à plusieurs reprises Israël à annexer la majeure partie de la Cisjordanie.
Le fait que la manière de voir de Danon est de plus en plus répandue au sein du gouvernement israélien a causé l’intensification du mouvement de boycott, ainsi que la multiplication des comparaisons entre Israël et Afrique du sud de l’apartheid.
“Les États-Unis et Israël sont maintenant engagés conjointement dans un « corps à corps avec l’ONU », a déclaré à Al Jazeera un diplomate occidental sous couvert d’anonymat. « Washington met tout son poids dans la balance et tord le bras aux gens. Les anciennes règles de la diplomatie ont été jetées par la fenêtre”.
Cela a été confirmé par Hanan Ashrawi, une ancienne négociatrice palestinienne, membre du Comité exécutif de l’OLP.
“L’administration Trump est devenue un violent avocat d’Israël », a-t-elle déclaré à Al Jazeera. « On peut craindre le pire pour ceux soutiennent les Palestiniens ou critiquent Israël”.
Danon prend son nouveau poste en septembre ; il va présider les sessions de l’Assemblée générale, participer à l’élaboration de son agenda et superviser l’application des règles et du protocole lors de ses réunions.
L’alliance de plus en plus ouverte entre Israël et les États-Unis à l’ONU est apparue au grand jour, cette semaine, lorsque Danon a escorté Nikki Haley, l’envoyée de Trump à l’ONU, lors de sa visite en Israël.
Dans son discours à l’AIPAC, le groupe américain de lobbying en faveur d’Israël, en mars dernier, Haley a promis de se comporter comme “un nouveau shérif” à l’ONU.
Sur la route d’Israël, Haley s’est arrêtée à Genève pour reprocher à l’un des principaux organismes des Nations Unies, le Conseil des droits de l’homme (UNHRC), ce qu’elle a qualifié de « préjugé anti-israélien chronique », ajoutant que le comportement du Conseil “ne fait pas seulement honte à Israël, mais au Conseil lui-même”.
Elle a averti que les États-Unis sortiraient de l’UNHRC s’il ne cessait pas ses critiques.
Haley avait proféré une semblable menace, en avril dernier, en prenant la présidence tournante du corps le plus puissant de l’ONU, le Conseil de sécurité. Elle a dit aux membres que leurs débats mensuels sur le Moyen-Orient se centreraient désormais sur l’Iran, la Syrie, le Hamas et le Hezbollah, et non sur Israël.
Israël et la Maison Blanche se sont appuyés sur d’autres agences clés de l’ONU.
En mars, la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale a été obligée de retirer un rapport d’expertise qui était arrivé à la conclusion qu’Israël avait établi un régime d’apartheid au détriment des Palestiniens.
Et le mois dernier, les États-Unis ont condamné une résolution de l’agence culturelle de l’ONU, l’UNESCO, qui appelait Israël à respecter le droit international et à mettre fin aux politiques qui modifient le caractère religieux et culturel de Jérusalem-Est occupée.
Bien que la résolution ait été adoptée, la plupart des pays européens se sont abstenus ou ont voté contre. Netanyahou était ravi : “Le nombre de pays qui soutiennent cette absurde résolution de l’UNESCO diminue.”
Tout cela s’est produit malgré les menaces répétées de l’administration Trump de diminuer de manière drastique leur financement de l’ONU. Washington est le plus grand contributeur de l’ONU : sa contribution s’élève à près de 13,5 milliards de dollars.
“La raison principale de la promotion de Danon est le chantage exercé par l’administration Trump”, a déclaré Ashrawi. “Il menace de couper les vivres des Nations Unies et il est clair que les États membres sont inquiets”.
Nathan Thrall, auteur d’un nouveau livre sur la diplomatie israélo-palestinienne, Le seul langage qu’ils comprennent, a dit que la campagne avait contraint les Palestiniens à renoncer à plusieurs initiatives diplomatiques à l’ONU.
Au cours des sept dernières années, le Président palestinien Mahmoud Abbas a eu comme priorité absolue d’obtenir la reconnaissance de l’État palestinien à l’ONU. Dans ce but, il a rejoint une agence des Nations Unies, l’UNESCO, en 2011. Les États-Unis ont réagi en suspendant leur financement à l’UNESCO.
“Les Palestiniens ont peur de ce que Trump pourrait faire”, a déclaré Thrall à Al Jazeera. “Les dirigeants palestiniens craignent d’être tenus pour responsables par les autres pays si les États-Unis provoquaient l’effondrement des institutions internationales”.
Les opérations de maintien de la paix et d’assistance humanitaire seraient parmi les premières opérations de l’ONU à en souffrir. “Les Palestiniens ne veulent pas perdre leurs amis au moment où ils en ont le plus besoin”, a ajouté Thrall.
Danon, âgé de 46 ans, a été choisi comme vice-président de l’Assemblée générale par une faction régionale de l’ONU, connue sous le nom d’Europe occidentale et autres groupes. Elle comprend la plupart des pays européens, plus Israël, l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande.
L’élection des vice-présidents est organisée sur une base régionale pour assurer une représentation géographique équitable.
Salah Bardawil, un haut responsable du Hamas, a tweeté que la promotion de Danon était “la marque de Caïn sur le front de l’ONU.”
Israël a fait l’objet de dizaines de résolutions condamnant ses violations de la charte de l’ONU – beaucoup plus que tout autre Etat membre. Mais le choix de Danon a particulièrement perturbé les dirigeants palestiniens. Jusqu’à récemment, il était largement considéré comme l’enfant terrible de la droite israélienne.
Netanyahou avait démis Danon de son poste de ministre adjoint de la Défense à l’été 2014, lors de l’attaque d’Israël contre Gaza, dans laquelle environ 500 enfants palestiniens ont été tués. Il a qualifié Danon “d’irresponsable” pour avoir dit que l’opération militaire d’Israël avait été trop douce.
Quand, un an plus tard, Netanyahu a annoncé la nomination de Danon au poste d’ambassadeur, les analystes israéliens ont cru à une “cruelle blague ».
Ashrawi a noté que le traitement de Danon à l’ONU contrastait fortement avec celui de Salam Fayyad, l’ancien Premier ministre palestinien.
Les efforts du Secrétaire général des États-Unis, Antonio Guterres, pour nommer Fayyad, un palestinien modéré, comme envoyé de l’ONU en Libye ont été bloqués par les États-Unis en février. Haley a dit que la proposition était une attaque contre Israël et il a ajouté: “Les États-Unis vont agir, et pas seulement parler, pour soutenir nos alliés”.
Même avant Trump, il y avait des signes que la situation d’Israël à l’ONU allait s’améliorer.
L’année dernière, Danon a fait sensation en devenant le premier ambassadeur israélien à présider un comité permanent qui traite, paradoxalement, du droit international, le sujet sur lequel Israël a subi le plus de critiques. Cette fois-là aussi, Danon avait reçu le soutien du Groupe de l’Europe occidentale et autres.
Cependant, les relations de Danon avec l’ancienne administration américaine étaient tendues. À la fin de l’année 2012, il a accusé le président Barack Obama de “ne pas être un ami d’Israël”.
Par contre, Danon a les faveurs enthousiastes de l’administration Trump, selon Thrall.
“Israël se débrouille bien au niveau diplomatique, en ce moment. On entend dire qu’il ambitionne d’avoir un siège au Conseil de sécurité. Le climat est si favorable que des politiciens israéliens semblent même penser que cela pourrait être possible.”
Interviewé par Aroutz Sheva, la chaîne de télévision des colons, le mois dernier, Danon a déclaré qu’il y avait un « nouvel esprit » à l’ONU. « Ils ne se concentrent plus sur Israël. L’ONU n’est plus le terrain de jeu des Palestiniens. Ça a changé ».
Au sujet de sa relation avec Haley, il a déclaré au magazine juif orthodoxe Mishpacha en avril: « Quand il s’agit d’Israël, nous partageons les mêmes idées ». Les experts donnent plusieurs raisons du changement d’approche de l’organisme international, qui était considéré comme traditionnellement hostile à Israël.
Au cours des dernières années, Israël a fait des alliances stratégiques avec des États puissants à l’ONU, en plus de son principal allié à Washington.
Israël s’est aussi fait des amis grâce au commerce des armes et au partage des informations.
Le diplomate, qui a travaillé en Israël, a déclaré: « Israël a multiplié les contacts avec les économies émergentes des BRICS [Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud] et avec le Mexique. Cela commence à payer au niveau diplomatique. » En outre, l’Europe, qui est en difficulté croissante, a cessé de faire même semblant d’être un contrepoids à Washington.
Cela a permis à Israël d’obtenir plus facilement le soutien des pays européens.
Selon Thrall : “Le calcul que font apparemment des pays comme le Royaume-Uni est que la meilleure façon d’être dans les bonnes grâces des États-Unis est d’être gentil avec Israël.”
Et l’ONU, plongé dans les difficultés financières, craint d’encourir de nouvelles sanctions de la part des États-Unis et de ses alliés en continuant à être considérée comme anti-israélienne.
“Israël et les États-Unis sont prêts à détruire l’ordre international pour avoir ce qu’ils veulent,” a déclaré le diplomate. “Les gens ont peur de ce qu’ils sont capables de faire.”
* Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.
9 mai 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet