La chimère qui sous-tend la « loi sur l’appel à la prière »

Dôme du Rocher - Jérusalem
Une large foule de Palestiniens prient à l'occasion du Lailat al-Qadr, a l'extérieur du Dôme du Rocher, dans le complexe de la Mosquée al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem le 13 juillet 2015 - Photo : Faiz Abu Rmeleh/ActiveStills

Par Jonathan Cook

La législation israélienne, censée lutter contre la dite pollution sonore des mosquées, a paradoxalement surtout provoqué une cacophonie d’indignation dans une grande partie du Moyen-Orient.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a déclaré son soutien ce mois-ci à la « loi sur l’appel à la prière », affirmant qu’il était urgent de cesser l’appel de l’aube à la prière des mosquées qui empêche les Israéliens de dormir. Il doit y avoir un vote au Parlement cette semaine. Les haut-parleurs de l’appel à la prière causent des perturbations inutiles, a déclaré M. Netanyahu, à une époque où on dispose de réveils et d’applications téléphoniques.

Mais le cinquième de la population d’Israël, qui est palestinienne, et généralement musulmane, ainsi que 300 000 autres Palestiniens qui vivent sous occupation à Jérusalem-Est, disent que la législation est clairement discriminatrice.

L’argument de la protection de l’environnement qui justifie le projet de loi est bidon, notent-ils. Moti Yogev, le leader des colons qui a rédigé le projet de loi, voulait à l’origine interdire les haut-parleurs pour freiner la diffusion des sermons censés regorger d’incitation contre Israël.

Et la semaine dernière, quand le lobby juif ultra-orthodoxe s’est mis à craindre que le projet de loi ne s’applique également aux sirènes qui annoncent le début du shabbat, le gouvernement a rapidement introduit une exemption pour les synagogues.

La « loi sur l’appel à la prière » n’arrive pas dans un contexte politiquement neutre. L’aile extrémiste du mouvement des colons, qui le défend, vandalise et incendie des mosquées en Israël et dans les territoires occupés depuis des années.

Le nouveau projet de loi suit de près une loi d’expulsion présentée par le gouvernement qui permet aux législateurs juifs d’expulser du Parlement les représentants de la minorité palestinienne qui expriment des opinions controversées.

Les dirigeants palestiniens en Israël ne sont invités à la télévision que pour se défendre contre des accusations de trahison.

Et ce mois-ci, une branche d’une importante chaîne de restaurants de la ville de Haïfa, au nord du pays, où vivent de nombreux citoyens palestiniens, a interdit à son personne de parler l’arabe pour que les clients juifs ne puissent pas croire qu’on se moque d’eux.

De plus en plus, la minorité palestinienne israélienne est exclue de la sphère publique. Le projet de loi « sur l’appel à la prière » est la dernière étape pour qu’on ne les entende et qu’on ne les voit plus du tout.

Il est à noter que Bâle Ghattas, un législateur palestinien chrétien de Galilée, a aussi dénoncé le projet de loi. Il a promis que les églises de Nazareth, de Jérusalem et de Haïfa, diffuseraient l’appel à la prière si les mosquées étaient muselées.

Pour M. Ghattas et plusieurs de ses collègues, le projet de loi est autant une agression de l’identité, déjà fort attaquée, de la communauté palestinienne que de son caractère musulman. M. Netanyahu, en revanche, a rejeté les critiques en comparant les restrictions proposées aux mesures adoptées dans des pays comme la France et la Suisse. Ce qui est bon pour l’Europe, soutient-il, est bon pour Israël.

Sauf qu’Israël, on le sait, n’est pas en Europe. Et les Palestiniens d’Israël sont la population autochtone, pas des immigrants.

Haneen Zoabi, une autre législatrice, a observé que la législation ne concernait pas « le bruit qui résonne dans les oreilles [des juifs Israéliens] mais le bruit qui résonne dans leur tête ». Ce sont des craintes de colons, a-t-elle dit, suscitées par la présence toujours aussi vibrante des Palestiniens en Israël – une présence censée avoir été éradiquée en 1948 avec la Nakba et la création d’un État juif sur les ruines de la patrie palestinienne.

Par un concours de circonstance, sa remarque a été illustrée, pendant le week-end, par les dizaines d’incendies, alimentés par des vents violents et des mois de sécheresse, qui, en Israël, ont ravagé les forêts de pins et les maisons avoisinantes.

Des commentaires sur les médias sociaux ont qualifié les feux de punition de Dieu pour la « loi sur les appels à la prière ».

Sans davantage de preuves, M. Netanyahu a accusé les Palestiniens d’allumer des incendies « terroristes » pour brûler l’Etat israélien. Le Premier ministre israélien doit détourner l’attention de son refus d’écouter ceux qui l’ont alerté sur le fait que les forêts denses d’Israël représentaient un risque d’incendie, il y a six ans, après des incendies similaires.

S’il s’avère que certains incendies ont été allumés exprès, M. Netanyahu en profitera pour passer sous silence les vraies causes de ce désastre.

Beaucoup de forêts ont été plantées, il y a des décennies, par Israël, pour dissimuler la destruction de centaines de villages palestiniens, après que 80 % de la population palestinienne – quelque 750 000 personnes – a été expulsée hors des nouvelles frontières d’Israël en 1948. Aujourd’hui ils vivent dans des camps de réfugiés, en Cisjordanie et à Gaza.

Selon des chercheurs israéliens, les fondateurs européens du pays ont transformé le pin en une « arme de guerre », pour effacer toute trace des Palestiniens. L’historien israélien Ilan Pappe qualifie cette politique de « mémoricide ».

Les oliviers et d’autres espèces indigènes comme la caroube, la grenade et les agrumes ont également été déracinés et remplacés par des pins [hautement inflammables, à la différence des espèces locales, ndt]. Importer le paysage de l’Europe était une façon de s’assurer que les immigrants juifs n’auraient pas le mal du pays.

Aujourd’hui, pour beaucoup de Juifs israéliens, seul l’appel à la prière menace ce rêve fallacieux. L’appel régulier à la prière émane des dizaines de communautés palestiniennes qui ont survécu aux expulsions en masse de 1948 et qui n’ont pas été remplacées par des pins.

Comme un fantôme indésirable, le son de l’appel à la prière hante maintenant les villes juives voisines.

Le projet de « loi sur l’appel à la prière » a pour objectif d’éradiquer les restes sonores de la Palestine aussi sûrement que les forêts de pin d’Israël ont effacé ses traces visibles – et de faire croire aux Israéliens qu’ils vivent en Europe et non au Moyen-Orient.

Jonathan Cook * Jonathan Cook a obtenu le Prix Spécial de journalisme Martha Gellhorn. Il est le seul correspondant étranger en poste permanent en Israël (Nazareth depuis 2001). Ses derniers livres sont : « Israel and the Clash of Civilisations : Iraq, Iran and the to Remake the Middle East » (Pluto Press) et « Disappearing Palestine : Israel’s Experiments in Human Despair » (Zed Books). Consultez son site personnel.

28 novembre 2016 Jonathan-Cook.net – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet