Par Amira Hass
Au lieu d’essayer de formuler mon propre sentiment de malaise devant ce spectacle, il aurait été plus simple de leur demander ce qu’ils pensaient des participantes, qui ont clairement apprécié l’événement, et de les entendre dire que le plaisir n’est pas le critère principal pour juger quoi que ce soit. Au lieu de tonner toute seule sur les racines profondes de l’instrumentalisation de la femme dans notre société, il aurait été bien de les citer. (Elle : peut-être une citation de Simone de Beauvoir et une phrase didactique sur les défis du féminisme. Lui : Quelle plaisanterie kitsch.)
Mais c’est la vie. Mes parents ont manqué l’occasion d’aborder le lien entre le commerce des corps des femmes; et tirer un profit de l’Holocauste, alors tout ce que nous pouvons faire est de fouiller l’histoire de ce concours bizarre (bizarre, non pas à cause de l’âge des participantes, mais du besoin d’imiter les sélections basées sur la beauté de jeunes femmes qui sont coutumières dans le monde misogyne, ostensiblement esthétique, et en raison de l’ignorance flagrante de la critique sociale de ces cirques d’humiliation).
Google nous dit que le concours fut la grande idée de Shimon Sabag, qui a fondé et dirigé un organisme de bienfaisance qui vient en aide aux survivants de l’Holocauste. Cet organisme de bienfaisance leur a ouvert un foyer, avec l’aide de l’Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem. Le fait que Sara Netanyahu a présidé le concours cette semaine confère un cachet royal à cette entreprise privée de charité.
Lors du premier concours, en 2012, la gagnante, Hava Hershkovitz, a déclaré qu’elle a participé “uniquement à cause des survivants, de la nécessité de sensibiliser sur leur situation difficile et de la mettre à l’ordre du jour. C’est de cette compétition-là dont il s’agissait, pas de beauté. Je suis heureuse que, au moins, elle fut une réussite et il y a eu un intérêt. Après tout, la vérité c’est que personne ne fait rien en réalité pour les survivants de l’Holocauste ; on ne fait qu’en parler.” (Ynet, 29 juin 2012)
Voici un fait intéressant : dans les entrées Google relevées au sujet des concours des années suivantes, qui sont devenus une tradition, cette critique sociale israélienne interne a disparu. Le thème de principe est maintenant que la beauté (“la beauté intérieure”, comme l’a dit Sabag), que rester en vie et fonder une famille sont des victoires, ou une revanche, et le concours est une façon de parler “au monde” de l’Holocauste.
S’il vous plaît ! S’il y a une chose que le monde sait, c’est que toute critique envers Israël-l’occupant, sera interprétée comme dénigrant l’Holocauste, comme de l’antisémitisme et ainsi de suite. Si ce concours nous apprend quelque chose, c’est que le gouvernement israélien aime l’Holocauste comme un atout diplomatique, mais pas ses survivants, qui sont un fardeau pour le budget de l’État. Si les rescapés – un petit groupe qui se réduit – ont besoin d’aumônes de la part d’Israël et de l’étranger pour vivre leur vieillesse d’une manière semi-digne, c’est que quelque chose est pourri jusqu’à la moelle.
Ce n’est pas par hasard que le Forum pour le logement public a annoncé hier qu’au moins 3600 survivants, dont la plupart ont passé l’âge de 85 ans, “vivent dans des conditions de logement honteuses, parce que l’aide au loyer qu’ils reçoivent est insuffisante et qu’il n’y a aucun logement à caractère social pour eux.”
Et voyez, quelle surprise ! La toute première loi adoptée lors de la session d’hiver de la Knesset a été un amendement à la loi sur les prestations pour les survivants de l’Holocauste, qui abroge les réductions injustifiées de leurs indemnités. La rémunération très modeste (320 euros, soit environ 350 dollars) qu’ils reçoivent de l’Allemagne en tant que survivants ne sera plus déduite de leurs indemnités d’assurance nationale. Le projet de loi est passé par 70 voix contre zéro.
L’amendement était parrainé par le député Tali Ploskov du parti Koulanu et – sans surprise ici – par les députés Dov Khenin, Ayman Odeh et Abdullah Abu Maaruf de l’alliance Hadash, une faction de la Liste commune [liste arabe et palestinienne à la Knesset]. Les survivants n’ont pas besoin de charité ni de bienveillance, ni de modèles qui se pavanent sur une scène bien éclairée, mais de davantage de législation pour le bien-être social (et pas seulement le leur), loin d’une démagogie étatique.
* Amira Hass est une journaliste israélienne, travaillant pour le journal Haaretz. Elle a été pendant de longues années l’unique journaliste à vivre à Gaza, et a notamment écrit “Boire la mer à Gaza” (Editions La Fabrique)