La conférence de Paris signe l’acte de décès de la comédie de la solution « à deux États »

Ramzy Baroud
Le Dr Ramzy Baroud est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur du Palestine Chronical

Par Ramzy Baroud

Non, il ne s’agissait pas seulement d’une “autre conférence de paix au Moyen-Orient”, comme l’a écrit un chroniqueur du Jerusalem Post pour décrire la Conférence de paix de Paris tenue le 15 janvier, en la présence de représentants officiels de 70 pays.

S’il s’agissait en fait d’une “autre conférence pour la paix”, des représentants du gouvernement israélien et de l’Autorité palestinienne (AP) y auraient également participé.

Au lieu de cela, c’était le moment déterminant dont nous devrons nous souvenir: elui qui après 25 ans, a mis officiellement fin à la sinistre plaisanterie du “processus de paix”.

En fait, si la Conférence de Madrid d’octobre 1991 était le début officiel de dits pourparlers de paix entre Israël et ses voisins arabes – y compris les Palestiniens – les discussions de Paris en janvier 2016 auront marqué leur triste fin.

Dès le début des discussions de Madrid, l’énergie positive et les attentes qui les accompagnaient ont commencé à se faner. Avant même le début des pourparlers, Israël avait placé ses pièges et dressé des obstacles. Par exemple en refusant de traiter directement avec l’équipe de négociateurs palestiniens dirigée par Haidar Abdul-Shafi (pour Israël, à ce moment-là les Palestiniens n’existaient pas), et en allant même jusqu’à protester contre le fait que le négociateur Saeb Erekat portait le kufiyah, le foulard palestinien traditionnel.

Il s’est écoulé 25 ans depuis cette première réunion. Depuis lors, plusieurs des premiers membres de la délégation palestinienne sont décédés. D’autres ont vieilli en parlant de paix, mais sans en voir même le début. Le jeune Erekat vieillit et devint alors l’inamovible «négociateur en chef» de l’AP, aujourd’hui sans plus rien à négocier.

Qu’est-ce qui reste vraiment à négocier, quand Israël a doublé ses colonies illégales en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ? Lorsque le nombre de colons juifs est passé de 250 000 (en 1993) à plus de 600 000 aujourd’hui ? Lorsque le taux de pertes de terres palestiniennes s’est accéléré comme jamais auparavant depuis la guerre et l’occupation de 1967 ? Quand Gaza est restée sous blocus pendant plus de 10 ans, souffrant de la guerre, de l’eau polluée et de la malnutrition ?

Pourtant, les Américains ont persisté. Ils avaient besoin du processus de paix. C’était un investissement d’abord et avant tout américain, parce que la réputation et le leadership des États-Unis en dépendaient.

“Nous sommes unis au coude à coude avec Israël”, a déclaré le professeur John Mearsheimer, co-auteur du “Lobby israélien” lors d’une récente interview. “Ce qu’Israël fait et comment il évolue importe beaucoup pour la réputation de l’Amérique.”

“C’est pourquoi le président Obama – et le président George W. Bush avant lui, et le président Clinton encore avant lui – ont fait de grands efforts pour obtenir une solution à deux États.”

Précisément. Ils ont persisté et échoué, et ils ont échoué encore et encore jusqu’à ce que la solution à deux États (qui pour commencer n’a jamais été un projet sérieux) soit devenu un but éloigné et, finalement, impossible à atteindre.

Alors que le centre politique d’Israël se déplaçait brusquement vers la droite la plus extrême sous la direction du Premier ministre Benjamin Netanyahu, les États-Unis maintenaient leur position, comme s’ils ignoraient que les faits sur le terrain avaient modifié le paysage politique.

L’ancien président Barack Obama a commencé sa carrière dans ce que certains ont considéré comme une incitation sérieuse pour de nouveaux pourparlers, stoppés ou bloqués pendant l’administration de George W. Bush. Il dépêcha le sénateur George Mitchell, mais les négociations de 2010 à 2011 n’ont en rien empêché d’Israël d’étendre ses colonies. Il envoya ensuite son secrétaire d’État, John Kerry, lequel tenta sans succès de redonner vie aux pourparlers entre 2013 et 2014.

Obama doit avoir, à un moment donné, compris que tous les efforts étaient futiles. Pour commencer, Netanyahou semblait avoir une plus grande influence sur le Congrès américain que le Président lui-même. Ce n’est pas une exagération. Quand Netanyahu s’est affronté à Obama au sujet de l’accord nucléaire iranien, il a ridiculisé le président américain et a délivré un discours devant une assemblée du Congrès et du Sénat en mars 2015, dans lequel il a réprimandé Obama pour le “mauvais accord” avec l’Iran. Obama semblait alors désespéré et d’importance négligence, tandis que les représentants du peuple américain faisaient de nombreuses ovations à un leader étranger, lequel se vantait, vitupérait, distribuait blâmes et louanges.

Le dernier et pathétique discours de Kerry à la fin décembre était une preuve de cet échec consommé, l’essentiel de son plaidoyer étant que tout était fini… Cependant, Kerry et Obama ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Leur administration avait le poids politique et le mandat populaire nécessaires pour forcer Israël à faire des concessions précises, qui auraient pu alors servir de base à quelque chose de substantiel. Ils ont choisi de s’en abstenir.

Et maintenant, un magnat immobilier opportuniste, Donald Trump, est le président des États-Unis. Il arrive avec un programme des plus étranges qui ressemble à celui de l’actuel gouvernement israélien, ultra-droitier et ultra-nationaliste.

“Nous arrivons maintenant à un point où des envoyés d’un pays à l’autre pourraient presque devenir inter-changeables”, écrit le professeur palestinien Rashid Khalidi dans le New Yorker:

“L’ambassadeur israélien à Washington, Ron Dermer, qui a grandi en Floride, pourrait tout aussi bien être l’ambassadeur des États-Unis en Israël, tandis que David Friedman, l’ambassadeur nommé par Donald Trump en Israël, qui a des liens étroits avec le mouvement des colons israéliens, ferait un excellent ambassadeur à Washington pour le gouvernement pro-colonisateur de Benjamin Netanyahu.”

C’est là où nous en sommes… Le spectacle est terminé. L’ère du processus de paix est derrière nous et les signes précurseurs indiquent que les Palestiniens, eux-mêmes, comme ils le réalisent maintenant, doivent clairement chercher des solutions alternatives aux diverses administrations américaines.

En effet, plusieurs administrations sous George Bush, Bill Clinton, George W. Bush et Obama ont toutes contribué à l’idée que la paix était proche, qu’Israël était disposé à faire des compromis, qu’il fallait appliquer des pressions (principalement sur les Palestiniens) pour mettre fin au “conflit” entre “deux partis égaux”, que les États-Unis étaient une partie neutre, même un équitable et “honnête courtier”.

Les Israéliens ne se soucient pas de jouer cette comédie aussi longtemps que le jeu ne met pas en péril leur système de colonisation dans les Territoires occupés. Les dirigeants palestiniens (largement non élus) se sont joints à eux, cherchant des fonds et une reconnaissance politique purement formelle, tandis que le reste du monde, y compris les Nations Unies, observent de loin ou jouent leur rôle marginal pré-établi.

Mais, maintenant, Israël n’a plus besoin de faire semblant de s’accommoder des règles du jeu, simplement parce que le “courtier” américain lui-même a perdu de son intérêt. Trump comprend que son pays ne peut plus faire d’imposer sa police sur un monde voulu unipolaire, et il n’a aucun intérêt à générer des conflits avec Israël, régionalement puissant.

Bien que Trump ait commencé sa campagne présidentielle en promettant de rester à égale distance des Palestiniens et des Israéliens, prenant ensuite rapidement prendre une direction extrêmement alarmante avec la promesse de déplacer l’ambassade américaine de Tel Aviv à Jérusalem, ce qui risquerait fort de déclencher un autre soulèvement palestinien.

Sachant que les États-Unis ne sont plus un allié, les soi-disant “modérés palestiniens” cherchent maintenant des alternatives. Le jour de l’inauguration de Trump dans une fête sans précédent considérée comme la plus onéreuse de l’histoire, les factions palestiniennes se réunissaient, non à Washington, Londres ou Paris, mais à Moscou.

Les nouvelles d’un accord qui verra l’admission du Hamas et du Jihad islamique dans l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) ont reçu peu de couverture médiatique, mais elle ont néanmoins un caractère important. Le moment (l’inauguration de Trump) et le lieu (Moscou) étaient très révélateurs d’une réalité politique changeante au Moyen-Orient.

Mais que va-t-il rester de la Conférence de Paris ? Il s’agissait d’une triste manifestation d’une dernière tentative française-européenne-américaine de montrer un minimum de pertinence dans une région qui a énormément changé, dans un “processus” qui n’existait que sur le papier, dans un paysage politique devenu trop compliqué et diversifié aux goûts de François Hollande (un ardent partisan d’Israël, il faut le noter) et donc de moindre intérêt.

Non, ce n’était pas seulement une “autre conférence pour la paix au Moyen-Orient”, mais la fin d’une époque : celle de l’ère américaine au Moyen-Orient.

25 janvier 2017 – Palestine Chronicle – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah