Réserve de Pine Ridge, États-Unis – La militante des droits des autochtones et organisatrice communautaire Deborah White Plume, a passé plus de sept semaines au camp de protestation de Cannonball, dans le Dakota du Nord, où des milliers de personnes se sont rassemblées pour combattre le Dakota Access Pipeline (DAPL) .
Energy Transfer Partners, une société basée au Texas, est à l’origine du projet de pipeline, qui s’étendra sur plus de 1900 km et transportera du pétrole du Dakota du Nord jusqu’à l’Illinois
Ce pipeline traversera une zone limitrophe de la réserve de la tribu des Sioux, dont les membres disent qu’elle menacera les sites appartenant à leur patrimoine culturel sur leurs terres ancestrales, ainsi que leur approvisionnement en eau.
S’adressant à l’agence de presse Associated Press, les officiels de l’Etat du Dakota du Nord ont affirmé qu’il n’y avait pas de sites culturellement sensibles sur la route du pipeline.
Jeudi, la police du Dakota du Nord a arrêté au moins 141 manifestants alors que des agents expulsaient les militants et les autochtones d’un terrain de camping appartenant à Energy Transfer Partners. Les policiers ont tiré des bombes au poivre et des grenades à fragments alors que les manifestants tentaient de résister à l’expulsion. Les manifestants ont pris l’engagement de juste se déplacer et de mettre en place un autre camp sur des terres appartenant au gouvernement.
White Plume, la responsable de l’ONG Owe Aku (Bring Back the Way), a déclaré que le DAPL est une “attaque” contre les nations indigènes aux États-Unis. Elle s’est exprimée devant Al Jazeera ce mercredi.
Al Jazeera: Que faites-vous savoir par votre protestation ?
Deborah White Plume: Le camp est installé juste au nord du petit village de Cannonball, dans le Dakota du Nord, sur la réserve permanente de Rock. Quand je suis partie [la semaine dernière], il y avait facilement 5000 personnes. Etre simplement dans le camp est une action directe, c’est faire une déclaration. Cette déclaration est que nous devons protéger l’eau sacrée, non seulement de DAPL, mais de toute l’industrie des combustibles fossiles, de l’extraction de l’uranium et des nombreuses menaces auxquelles le peuple américain et la Mère Terre sont confrontés quotidiennement.
Al Jazeera: Comment les forces de police du Dakota du Nord ont-elles répondu au camp de protestation?
Deborah : La réponse de ceux qui appliquent la loi dans le Dakota du Nord est de protéger le droit des sociétés «à l’extraction» … La société a engagé des entreprises de sécurité privée, mais ce ne sont que quelques hommes. Apparemment, la société ne veut pas embaucher des centaines et des centaines de gardes de sécurité à leurs propres frais. Ils ont donc demandé à la police du Dakota du Nord d’intervenir aux frais des contribuables pour faire face à ceux qui protègent l’eau qui sont sur le terrain pour dire une prière.
Ils sont venus avec de grands véhicules militaires … Ils sont armés de pistolets et de pelleteuses. Les autres portent des armes qui peuvent tuer et ils ont le doigt sur la gâchette.
Al Jazeera: Les vidéos des gardes de sécurité libérant des chiens sur les manifestants sont maintenant diffusées partout. Quelle est l’histoire à l’origine de ces scènes ?
Deborah : Le jour de la profanation, la stratégie de la société texane était de labourer la terre même présentée [un jour plus tôt] à leurs avocats comme d’anciennes propriétés historiques et culturelles. Ils ont eu l’information vendredi et le samedi matin, ils sont venus avec peut-être 10 pelleteuses et ils ont labouré la terre.
Nous nous sommes précipités, les implorant de s’arrêter : « Arrêtez, vous creusez des tombes. » Leur entreprise de sécurité avait des chenils à l’arrière de leurs camions. Ils ont couru pour ouvrir leurs chenils et ont libéré leurs chiens. Certains chiens nous ont attaqués. Certains des chiens ont attaqué leurs propres maîtres, mordant les gardes de sécurité qui essayaient de les lâcher sur nous.
C’était assez effrayant. Il y avait peut-être 200 femmes et plusieurs hommes qui se sont joints à nous. Mais la première ligne était des femmes, et nous étions confrontés à ces excavateurs, à ces hommes et ces chiens des services de sécurité. La police était sur l’autoroute, peut-être à une demi-lieue de distance, nous regardant nous faire attaquer par les gardes de sécurité et leurs chiens.
C’est une situation vraiment effrayante à cet endroit dans le Dakota du Nord en ce moment. Nous voyons jusq’où le gouvernement est prêt à aller pour protéger une entreprise.
Al Jazeera: Les risques potentiels du DAPL dépassent-ils la question de Standing Rock ?
Deborah : Là où nous sommes assis, dans la réserve de Pine Ridge dans le sud-ouest du Dakota du Sud, notre eau potable sort d’un pipeline qui reçoit son eau de la rivière Missouri. Et nous sommes à six heures de route de Cannonball, au Dakota du Nord, où le camp est installé. Ce n’est pas juste une question de Standing Rock. Le camp lui-même est près de Standing Rock, mais l’eau potable est une source pour 17 millions d’Américains. Elle irrigue également [ce que l’on nomme] le panier à pain de … cette partie du pays. C’est donc une question beaucoup plus importante que celle de la tribu des Sioux de Standing Rock, et beaucoup d’entre nous estiment que c’est une question globale.
La rivière Missouri possède déjà un certain nombre de pipelines. Mais maintenant, à l’ère des médias sociaux … nous savons ce qui se passe. C’est un privilège pour nous de nous déplacer ici et de protéger l’eau pour nos enfants et les enfants de nos enfants. Je pense que tous les Américains devraient s’en préoccuper.
Al Jazeera: Qu’est-ce que ce pipeline signifie spécifiquement pour les populations autochtones aux États-Unis?
Deborah : Si nous allons dans n’importe quelle nation autochtone en Amérique, nous aurons toujours à défendre notre terre et notre eau des entreprises d’hydrocarbures qui veulent l’or ou l’argent, le pétrole, le gaz, l’uranium, l’eau… Prenant ce qu’ils veulent sur les terres [des Amérindiens]. Ils ont l’habitude de rouler sur celui qui est devant eux et de prendre tout ce qu’ils veulent.
Nous, ici, sur la Pine Ridge [Réserve], nous avons lutté contre les sociétés d’uranium, les sociétés pétrolières, les sociétés de gaz et les sociétés de mise en bouteilles d’eau. Et c’est la même chose dans de nombreux endroits à travers l’Amérique. Standing Rock est juste un cas d’exploitation parmi beaucoup d’autres qui se produisent maintenant tout au long de l’Amérique où les nations autochtones ont à défendre leur territoire ancestral et leur droit historique de continuer à vivre là, ens écurité et sans pollution.
Al Jazeera: Que dites-vous à ceux qui prétendent que le DAPL apportera des avantages économiques à la région ?
Deborah : Ce que nous avons, ce sont des visions du monde concurrentes. Les sociétés qui exploitent les hydrocarbures ne se soucient pas du fait qu’elles polluent, du moment qu’elles font des profits. Notre vision du monde, c’est que l’eau et tout ce qui existe sur la terre sont notre unique et même famille. C’est notre devoir et notre privilège de défendre nos proches. Ce sont deux visions du monde très opposées, qui ne trouveront pas de solution du jour au lendemain. Nous voulons arrêter ce DAPL parce que c’est une menace majeure. Cela peut signifier un génocide pour les gens qui dépendent de cette eau, principalement les nations autochtones.
Il y a au moins 30000 Oglala Lakotas [gens des tribus] sur la Pine Ridge Reservation. Où trouverons-nous assez d’eau pour 30000 Oglalas? C’est juste un aperçu de ce qui pourrait arriver si ce pipeline se brisait, ou explose. Où allons-nous trouver une source alternative pour les 17 millions d’Américains qui boivent de l’eau de ce fleuve ?
Il n’y a pas d’autre source. Nous sommes à un point de basculement. L’Américain moyen a besoin de descendre de son canapé, de sortir du centre commercial, de fermer Facebook, et de venir au fleuve pour protéger l’eau potable avant que vous n’ayez plus rien à protéger.
Les gouvernements et les entreprises entretiennent d’excellentes relations. Pour moi, ils font tous partie de l’appareil de l’oppression. Ce sont des alliés puissants, et ils vont se protéger les uns les autres. Mais ils ne maîtrisent pas tout. Nous mettons en oeuvre une résistance pacifique pour protéger notre eau.
* Patrick O. Strickland est un journaliste et grand reporter américain indépendant spécialiste des questions de justice sociale et des droits humains au Moyen-Orient et spécialement en Palestine. Il écrit pour de nombreux médias notamment al-Jazira, Alternet, VICE News, Deutsche Welle, Syria Deeply, AlterNet, Electronic intifada, Socialist Worker etc …
Son compte Twitter : @P_Strickland_
29 octobre 2016 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine