Au cours du dernier mois, la question de l’accès à la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem a provoqué une nouvelle vague de violence et de protestations qui ont balayé la Cisjordanie. À la suite des nouvelles mesures répressives israéliennes à Jérusalem, dont l’ajout de détecteurs de métaux sur le site al-Haram al-Sharif où la mosquée Al-Aqsa est située, le président palestinien Mahmoud Abbas a annoncé le 23 juillet que l’Autorité palestinienne (AP) suspendrait la collaboration policière avec Israël, bien qu’il n’y ait pas encore de signes que cette suspension soit effective. À son tour, et pour montrer sa position de force, Israël a instauré des mesures punitives supplémentaires, telles que l’invasion des bureaux d’inspecteurs palestiniens à Hébron, l’annonce de l’expansion de nouvelles colonies illégales près de Bethléem et les kidnappings de plus de Palestiniens, en particulier à Jérusalem.
La situation a suscité des craintes parmi la communauté internationale d’une autre série de violences et d’affrontements qui pourraient, comme par le passé, menacer les milliards de dollars d’investissements de la dernière décennie dans le projet de construction de l’État palestinien. La communauté internationale des donateurs a gardé le souvenir de la destruction des locaux, équipements et infrastructures de l’AP financés par l’UE qui ont été détruits par l’incursion israélienne en Cisjordanie lors de la deuxième Intifada.
En cas de poursuite de l’escalade, il ne fait aucun doute que les investissements internationaux dans la réforme du secteur de la police en souffriraient. Il s’agit d’un souci sérieux pour l’UE, qui est le plus grand donateur de l’Autorité palestinienne et dont la mission de police – Mission de police de l’Union européenne pour les territoires palestiniens (EUPOL COPPS) – s’emploie à réformer et à réviser les principaux éléments des institutions régaliennes palestiniennes, tout en renforçant l’efficacité de la police.
Assurer un relais répressif pour le compte d’Israël
Le 4 juillet, le Conseil européen a prorogé le mandat de EUPOL COPPS jusqu’en juin 2018. La mission a été initialement lancée en 2006 dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune de l’UE (CSDP) en appui au “Quatuor pour la feuille de route pour la paix au Moyen-Orient”. Le mandat de la mission est de soutenir une police pérenne et efficace sous la responsabilité des Palestiniens et conformément aux normes internationales. Le soutien technique fourni par EUPOL COPPS aux réformes de la sécurité et de la justice devrait conduire à une plus grande confiance de la part de la puissance occupante, Israël, dans la capacité de l’Autorité palestinienne à maintenir l’ordre. À son tour, une sécurité accrue pour Israël était supposée ouvrir la voie à un État palestinien viable et démocratique.
Du point de vue technique, la mission a réussi à professionnaliser la police civile palestinienne (PCP) grâce à des programmes de renforcement des moyens, à la formation locale et internationale, à de meilleurs véhicules et à de l’équipement, et à contribuer à la mise en place d’une infrastructure passive ou active (comme les caméras de suivi de la circulation, les programmes de lutte contre la drogue et les postes de police). La mission a également connu un succès limité dans le domaine des réformes judiciaires en fournissant un soutien technique et des conseils au ministère de l’Intérieur, au ministère de la Justice, au Conseil supérieur de la magistrature, au Bureau du procureur général, à la Commission anti-corruption palestinienne et à l’Association du Barreau palestinien. En partenariat avec d’autres donateurs, l’UE et sa mission ont aidé l’Autorité palestinienne à rétablir le contrôle civil et policier dans certaines parties de la zone A de Cisjordanie.
Malgré sa réticence initiale à permettre à l’UE de jouer un rôle politique plus important dans la région, Israël a approuvé ces réalisations techniques d’EUPOL COPPS, en réalisant que la mission peut rendre l’AP plus efficace dans le contrôle de la Cisjordanie et en faire un partenaire plus fiable dans la suppression de toute dissidence et dans sa lutte contre un mouvement insurrectionnel. Israël perçoit EUPOL COPPS comme une composante intégrante du système de collaboration policière qui est principalement conçu et structuré pour assurer la sécurité des Israéliens. Il a gardé de plus un contrôle absolu en déterminant quel type d’équipement et quelles formations sont autorisés pour la police de l’AP.
Un échec politique pour l’UE
Du point de vue politique, cependant, la mission a été un échec. Au cours de la dernière décennie, elle a juste permis à l’UE de disposer d’une niche dans la réforme du secteur de la police palestinienne et a renforcé sa visibilité dans l'[inexistant] processus de paix au Moyen-Orient. Et pour l’AP, la mission a réussi à contre-balancer la domination des États-Unis, traditionnellement considérés comme pro-israéliens, en tant que sponsor de la réforme du secteur de la sécurité.
Mais la stratégie de l’UE d’utiliser EUPOL COPPS pour ouvrir la voie à un État démocratique et viable en renforçant ses capacités policières est restée lettre morte. Au lieu de reconnaître de fait, l’UE insiste sur l’idée que la mission doit se confiner dans un mandat exclusivement technique.
Cependant, la mission ne peut échapper à l’aspect politique du conflit, ni aux ramifications politiques de son intervention technique. Alors que l’UE s’abstient généralement de soutenir les services de police entachés de violations des droits de l’homme, l’Agence de sécurité préventive ainsi que le Service général de renseignement parrainés par les États-Unis, comme la Police civile palestinienne (PCP) soutenue par l’UE ont bien été impliqués dans l’utilisation excessive de la force contre des manifestations pacifiques. Par conséquent, les Palestiniens interprètent de plus en plus le soutien de l’UE dans le cadre d’un projet de maintenir l’occupation israélienne par procuration.
Criminaliser la résistance à l’occupation
En outre, de nombreux Palestiniens craignent que le but ultime de la réforme du secteur de la sécurité de l’Autorité palestinienne menée par les Européens et les États-Unis soit de réduire si ce n’est de criminaliser la résistance contre l’occupation israélienne. Selon ce sentiment croissant, cette répression résulte directement de l’utilisation de fonds d’aide internationale pour sous-traiter l’occupation israélienne à l’AP. Selon les termes d’un habitant du camp de réfugiés de Jénine qui avait été détenu par Israël et l’AP pour les mêmes accusations, “la mission de sécurité américaine est un diable agressif et méchant, tandis que la mission de sécurité européenne est un diable à l’aspect plus doux. Mais les deux sont des démons, même si emballés différemment.”
L’UE et sa mission contribuent de plus en plus au maintien du statu quo. Si l’actuelle évolution autoritaire de l’Autorité palestinienne se poursuit, l’UE et sa mission seront de plus en plus critiquées pour financer, professionnaliser et légitimer une force de police hautement politisée et qui échappe à tout contrôle démocratique. C’est totalement contraire aux valeurs affichées par l’UE dans sa politique étrangère et très éloigné de son approche officielle pour les réformes du secteur de la sécurité.
* Filip Ejdus est Marie Curie Fellow à l’École de sociologie, de politique et d’études internationales à l’Université de Bristol Il peut être suivi sur Twitter @FilipEjdus.
* Alaa Tartir est directeur de programme d’al-Shabaka : The Palestinian Policy Network, et chercheur post-doctorat à l’Institut universitaire des Hautes Études internationales et du développement, à Genève. Consultez son site Internet et il peut être suivi sur Twitter @alaatartir.
15 août 2017 – Carnegieendowment.org – Traduction : Chronique de Palestine