Faire taire les journalistes palestiniens

Photo : Lazar Simeonov
Un soldat israélien empêchant une équipe de télévision palestinienne de filmer l'interdiction violente d'une manifestation près de Bi'lin - Photo : Lazar Simeonov
Dalia HatuqaLes attaques de l’Autorité palestinienne (AP) et du Hamas contre les journalistes se sont intensifiées ces derniers mois, selon des groupes de défense des médias.

Au début du mois, Jihad Barakat, un journaliste de Palestine Today TV, roulait entre la ville de Naplouse, dans le nord de la Cisjordanie, et le village de la région de Tulkarem où il se rendait pour visiter sa famille, lorsqu’il a remarqué quelque chose d’inhabituel à un point de contrôle militaire israélien.

En violation du protocole, les soldats israéliens fouillaient le convoi du Premier ministre Rami Hamdallah (Autorité palestinienne). Barakat a sorti son téléphone et a filmé l’incident. Quelques heures plus tard, il était arrêté par les forces de sécurité palestiniennes.

Des militants des droits des médias et des journalistes ont exprimé immédiatement leur indignation sur les médias sociaux et exigé que Barakat soit libéré. Le hashtag “Où est Jihad” a été adopté pour les posts des médias sociaux condamnant sa détention, et des journalistes ont manifesté devant le bureau du Premier ministre. Le syndicat des journalistes a été mobilisé.

Barakat a finalement été libéré sous caution et accusé d’une litanie d’infractions fantaisistes, dont la mendicité… Il doit être jugé en septembre et ses collègues craignent que sa détention, ainsi que les autres arrestations qui ont eu au cours des dernières semaines, soient une tentative pour les empêcher de travailler et pour faire taire leur critique légitime de l’Autorité palestinienne.

Le Centre palestinien pour le développement et la liberté des médias (MADA) a noté que le nombre de violations commises à l’encontre des journalistes par l’AP en Cisjordanie et le Hamas à Gaza était beaucoup plus élevé en juin que le mois précédent.

En plus des efforts de l’AP pour réduire la liberté des médias, les journalistes palestiniens en Cisjordanie doivent affronter les exactions des autorités israéliennes, qui vont jusqu’à la détention, le harcèlement et les restrictions de mouvement ; beaucoup de journalistes ont été tués ou blessés. À Gaza, les journalistes se plaignent que le Hamas, qui contrôle le territoire assiégé, cherche à les intimider.

« Cette année, nous avons assisté à une escalade des attaques contre des journalistes de diverses sensibilités », a déclaré Sherif Mansour, coordinateur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au Comité pour la protection des journalistes. « L’AP et le Hamas vont jusqu’à arrêter et poursuivre en justice des journalistes politiques indépendants qui soutiennent l’autre camp, pour les faire taire ou les punir ».

Le 8 juin, les autorités de Gaza ont arrêté Fouad Jaradeh, un journaliste de la télévision palestinienne dirigée par l’Autorité palestinienne, ce que la Fédération internationale des journalistes a dénoncé par la bouche de son président, Philippe Leruth, : « Les forces de sécurité du Hamas doivent cesser d’attaquer les journalistes de Gaza et de violer systématiquement leurs droits fondamentaux ».

Jaradeh est toujours en prison. Son arrestation a eu lieu deux mois après que le journaliste de télévision palestinien, Taghreed Abu Tir, a été placé en détention provisoire et détenu pendant 10 jours. Il a été arrêté parce qu’il était soupçonné de travailler « en complicité avec Ramallah », c’est à dire l’AP, et de « faire un mauvais usage de la technologie ». Selon le Syndicat des journalistes palestiniens, Jaradeh a été contraint, par la force, à faire une fausse déposition.

En 2016, MADA a documenté 134 violations contre les journalistes perpétrées par l’Autorité palestinienne et les autorités du Hamas en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Alors que le nombre de violations commises contre le personnel médiatique a diminué par rapport à l’année précédente, le Centre a noté une escalade dans le « traitement dégradant des journalistes lors des interrogatoires et des arrestations », qui pourrait s’apparenter à la torture.

Le Centre a également noté que les journalistes étaient persécutés pour des publications personnelles écrites sur les réseaux sociaux. Depuis la libération de Barakat, au moins cinq journalistes de la Cisjordanie ont déclaré avoir été convoqués pour être interrogés par l’appareil de sécurité palestinien interne.

Les inquiétudes, concernant l’espace de plus en plus réduit dans lequel les journalistes peuvent opérer, ont augmenté en juin, lorsque l’AP a bloqué 29 sites Web reliés soit au Hamas, soit à Mohammad Dahlan, l’ancien homme fort de Gaza, un allié devenu un ennemi du président palestinien Mahmoud Abbas.

« La décision de l’AP d’interdire des sites Web et d’exercer un contrôle sur le contenu du Web est très alarmante », a déclaré M. Mansour. Parmi les sites Web bloqués se trouve le Centre d’information palestinien affilié au Hamas, et Amad, le site Web pro-Dahlan.

Une nouvelle loi sur les « crimes électroniques » votée par l’Autorité palestinienne préoccupe également les journalistes à cause des restrictions qu’elle menance d’imposer à leur travail. Selon Nour Odeh, une journaliste basée à Ramallah, la loi comble plusieurs lacunes importantes en matière de fraude, de chantage en ligne, de pornographie juvénile, de vol d’identité et d’autres crimes majeurs absents de l’organe juridique existant.

« Mais la loi utilise aussi des termes très vagues, pour définir des infractions, qui pourraient servir à poursuivre l’opposition politique ou les journalistes. Des termes comme le bien public, la sécurité nationale
et la paix civile », a-t-elle déclaré. « Certains articles de la loi [obligent aussi] les journalistes à révéler leurs sources, et naturellement, nous avons tous un problème avec ça ».

Le directeur général de MADA, Mousa Rimawi, a noté que « la société civile n’a pas été consultée pour la rédaction [de la loi] qui s’est faite dans le plus grand secret », ajoutant que « certains de ses articles affectent le droit à la liberté d’expression et les droits à la vie privée ».

Les groupes de défense des droits des médias pensent que les autorités de Gaza et de Cisjordanie utilisent les journalistes comme des pions du jeu politique. Le Fatah et le Hamas sont en conflit depuis plus d’une décennie, et toutes les tentatives pour réconcilier les deux parties ont jusqu’à présent échoué. La dissension a torpillé les efforts pour tenir des élections nationales, ce qui a permis à Abbas de rester presque 12 ans au pouvoir, alors que le mandat présidentiel est de quatre ans.

La popularité d’Abbas a chuté ces dernières années et, selon un sondage, 65% des gens veulent qu’il démissionne. La répression des voix dissidentes a augmenté à mesure que sa popularité déclinait, en particulier celles des journalistes qui documentaient le mécontentement général contre la coordination sécuritaire de l’Autorité palestinienne avec Israël.

Ainsi, en janvier 2016, les forces de sécurité palestiniennes ont arrêté Salim Sweidan à cause d’un rapport publié sur son site web qui accusait l’AP d’aider les autorités israéliennes à arrêter des habitants du village de Beit Furiq après le meurtre d’un colonel israélien et de sa femme. Sweidan a été accusé de calomnie, de falsification d’informations et d’incitation à la haine et à la violence.

« Cela montre bien comment … les journalistes sont persécutés pour les empêcher de faire leur travail et d’informer le public, et comment ils sont utilisés comme des pions par l’AP et le Hamas pour régler leurs différends politiques  », a déclaré M. Mansour.

* Dahlia Hatuqa est une journaliste palestinienne spécialisée sur le Moyen-Orient. Elle réside aux Etats-Unis et en Cisjordanie. Consultez son site Web. Elle est joignable sous Twitter : @DaliaHatuqa

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1e août 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet