Le fardeau de l’Homme ashkénaze

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L'extrême-droite israélienne, raciste et colonialiste, célèbre 'la journée de Jérusalem ' à Jérusalem-Est occupée - Photo: via Social Media

Par Rima Najjar

Presque cent ans se sont écoulés depuis la Déclaration Balfour et nous essayons toujours de «comprendre» ce que sont le sionisme et la suprématie juive en Palestine.

Ce qui a longtemps fait obstacle à une pleine compréhension, c’est le désir dans les cercles intellectuels juifs de gauche de fusionner sionisme et socialisme, convaincus qu’une telle fusion permettrait d’atteindre la soi-disant «rédemption nationale et sociale juive» tout en étant universellement humaniste envers les Arabes palestiniens – en d’autres termes, le désir de considérer le sionisme comme «complexe» et de lui conférer une validation par le biais d’une perspective critique tout en insistant sur sa précieuse contribution au développement national juif.

Lors de la Conférence de paix de Paris de 1919, la délégation sioniste, “bien versée en diplomatie et psychologie occidentales”, fonda ses prétentions sur la Palestine sur la promesse contenue dans la Déclaration Balfour ainsi que sur divers «droits» religieux, historiques et humanitaires. À l’époque, ces sionistes, tout en prenant soin de continuer à utiliser le terme «foyer national» juif plutôt qu’État juif, soutenaient qu’une Palestine juive avec des capitaux et un savoir-faire juifs bénéficierait aux Arabes arriérés, «longtemps opprimés par les Turcs”.

Le fardeau de l’homme ashkénaze incluait également les juifs arabes indigènes, qui à l’époque étaient une petite minorité en Palestine avant leur émigration forcée d’autres pays arabes vers Israël dans les années 1950. Indépendamment des déclarations trompeuses sur les objectifs britanniques en Palestine, les objectifs sionistes n’ont jamais été «le libre exercice des choix et initiatives de la population indigène» que la Grande-Bretagne aurait épousés dans un communiqué du 8 novembre 1918 au nom des gouvernements britanniques et français qui furent proclamés partout au Levant, y compris en Palestine.

La majorité des juifs dans le monde sont aujourd’hui ashkénazes, retraçant leurs origines en Europe. En Israël, cependant, les juifs sépharades, qui descendent des juifs d’Espagne et d’Afrique du Nord, et les Juifs mizrahim, qui descendent des juifs du Moyen-Orient (c’est-à-dire arabes), représentent “juste un peu plus de la moitié (52 pour cent) de la population juive. Il y a aussi une petite population (environ 125 000) de juifs éthiopiens qui représentent 1% de la population juive israélienne”.

Smadar Lavie, auteur de Wrapped in the Flag of Israel, écrit sur :

… le paradoxe qui permet à la majorité du monde d’ignorer le problème des juifs mizrahim en Israël. Alors que 85 pour cent des Juifs du monde sont Ashkénazes, ces derniers résident principalement dans la diaspora. 15 pour cent des Juifs du monde sont mizrahim, et presque tous résident en Israël. Je discute des implications de ce paradoxe sur la capacité de la gauche israélienne Ashkénaze à cacher son racisme lorsque cette gauche discute avec des ONG pro-palestiniennes en Occident et avec l’élite nationale palestinienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza … On ne peut progresser vers la résolution du conflit israélo-palestinien sans tenir compte de la majorité mizrahim en Israël et de son soutien continu à la droite ultra-nationaliste d’Israël, qui prend sa source dans l’histoire raciste de la gauche sioniste d’Israël.

L’histoire des mizrahim en Israël est une histoire d’inégalité, «qui pour fondement les idéologies et pratiques eugéniques de la classe dirigeante ashkénaze», avec le Parti travailliste israélien faisant ouvertement référence à l’émigration juive des ashkénazes de l’ex-Union soviétique en Israël dans les années 1990 comme “l’alyah’ blanche” destinée à sauver l’État juif de la mizrahisation.

Mais encore une fois, nous avons ici une situation «complexe»:

… La troisième génération de mizrahim en Israël, ceux nés dans les années 1970, dont les parents et les grands-parents ont immigré en Israël avec la grande vague d’immigration des années 1950, a des sentiments mitigés quant à son identité mizrahim. Pour beaucoup, la frontière entre mizrahim et ashkénazes est floue. Les mizrahim et ashkénazes, pour la plupart, étudient ensemble, sont enrôlés ensemble dans l’armée et se marient souvent entre eux. [Sur ce dernier point, Lavie dit : “Tous les démographes actuels – certains même parmi les sionistes ashkénazes – tordent le cou à l’idée” de mariages mixtes “entre ashkénazes et mizrahim comme étant un mythe. Le taux actuel de ces mariages est de 24 à 28% ».]

L’Etat juif pratique le lavage de cerveau de ses citoyens juifs toutes origines confondues (ainsi que des Juifs du monde entier, dont la grande majorité sont Ashkénazes). Renee Leavy, responsable de Jewish Voice for Peace (JVP), la campagne des réseaux sociaux de Floride du sud, écrit:

Le judaïsme enseigne que nous devrions être prêts à sacrifier notre vie plutôt que de nous rendre coupables de meurtre, d‘adultère ou d’adorer des idoles. [Mais] Combien d’adolescents [juifs], surtout ceux qui ont grandi dans le système scolaire israélien, qui ont été conditionnés pour croire que les Arabes sont des sous-hommes, sont capables de penser de la sorte?

Pour nous permettre de comprendre pleinement les tenants et les aboutissants du sionisme, les réalités ignobles de la société juive israélienne, y compris l’apartheid, devaient être dénoncées, une par une, disséquées et analysées, car leurs «complexités» obscurcissent souvent le cœur du problème – la souffrance et la dépossession palestiniennes – et mettent l’accent sur la politique identitaire juive.

Aujourd’hui, dans le discours sur la Palestine, nous avons de nouvelles «complexités» liées aux différences internes entre les juifs israéliens et à l’impératif d’être cohérent sur le plan éthique et intellectuel.

Ran Greenstein, auteur de Zionism and its Discontents: A Century of Radical Dissent in Israel/Palestine (Le sionisme et ses malaises: un siècle de dissidence radicale en Israël/Palestine), a exprimé ces nouvelles dynamiques dans un profil Facebook comme «Deux stratégies pseudo-radicales contre-productives de la politique de ‘dénonciation’ en Israël/Palestine» :

(1) l’amalgame entre sionisme et «sionistes», excluant par là même ceux qui sont disposés à agir sur la base de l’opposition aux pratiques actuelles de l’État israélien (après 1967), parce qu’ils ne partagent pas une critique des pratiques historiques antérieures. Résultat: les références radicales de gauche du dénonciateur s’en trouvent surclassées, et dans le même temps les potentialités d’un front d’action plus large ici et maintenant diminuées

(2) le refus de protester contre les manifestations actuelles du racisme et de l’oppression de l’État (envers les Palestiniens, les demandeurs d’asile africains et autres), avec les personnes de gauche «blanches», à cause des péchés historiques de la gauche sioniste contre les mizrahim. Résultat: surclassement des références mizrahim radicales des militants dénonciateurs, qui finissent par servir d’idiots de service à l’État israélien et ses pratiques oppressives actuelles.

Nous avons ci-dessus une phrase toute faite (« amalgame entre sionisme et sionistes»? Vraiment?) qui peut nous donner le sentiment d’être intelligents, mais qui complique inutilement, à mon avis, notre compréhension du sionisme et des sionistes (passés et présents) et les stratégies qui devraient être offertes à tous ceux qui luttent pour obtenir la libération de la Palestine.

Il est vrai que la reconnaissance des brutalités de la Nakba en cours perpétrée par l’État juif et les explications de sa cause, qu’en donnent maintenant depuis longtemps les militants sur les médias sociaux et alternatifs, ne se sont pas traduites ni aux États-Unis, ni dans l’UE (et encore moins en Israël) par des politiques ou des préoccupations pour le bien-être des Arabes palestiniens. Il y a fort à parier que rejoindre un «front d’action plus large», aussi admirable et exaltant que soit ce mouvement, ne remettra pas en question les principes normatifs et les récits associés au sionisme, à savoir la suprématie juive en Palestine.

Ceci s’explique par le fait que, au-delà de la politique au service de l’intérêt personnel, il y a, je crois, au cœur de la résistance des pays occidentaux à rétablir la justice en Palestine une inquiétude sous-jacente et omniprésente pour les juifs ashkénazes qui résulte du traumatisme de l’holocauste.

Cette position est bien ancrée même si elle va à l’encontre des lois internationales que ces pays occidentaux ont eux-mêmes adoptées.

Le contexte d’une dynamique sociale mondiale plus large ne peut fonctionner que si nous abordons la particularité du mouvement nationaliste juif en Palestine – c’est-à-dire son caractère à la fois colonial et suprématiste juif – qui nous amène à une position qui englobe «le libre exercice de l’initiative et du choix de la population indigène “de Palestine.

Cela ne fonctionnera pas si nous commençons à faire des distinctions entre le sionisme et les sionistes. Ran Greenstein écrit: «Ces personnes [tendance gauche-progressiste (Meretz en Israël, J Street aux États-Unis et beaucoup d’individus et d’organisations non affiliés)] se définissent comme sionistes mais s’écartent, dans une certaine mesure au moins, de certaines des politiques fondamentales poursuivies par les mouvements sionistes traditionnels et l’État d’Israël … Il n’est pas nécessaire d’avoir un accord parfait sur toutes les questions, une collaboration tactique nous serait bien utile “.

L’élément central de la libération de la Palestine est celui du retour, ce qui signifie la fin de l’Etat juif. Tout sioniste qui défend l’idéologie fondamentale sioniste, à savoir que la Palestine appartient aux Juifs du monde entier et non à ses habitants indigènes, indépendamment de leur religion ou appartenance ethnique, est à mon avis un sioniste sans aucune distinction. Des alliances tactiques avec de tels sionistes ne peuvent que nous mener à une autre décennie ou deux de faux-fuyants quant au «droit» des juifs ashkénazes à la Palestine.

Se battre pour faire d’Israël un état “juif et démocratique”, plutôt qu’un état véritablement démocratique pour tous, est incompatible avec la libération de la Palestine. Wayne Kraft, militant américain de BDS, a écrit sur Facebook:

Ceux qui croient qu’il faut d’abord mettre un terme à l’occupation pour atténuer les plus terribles exactions se heurtent au fait que toutes les tentatives pour remédier et mettre fin à l’occupation n’ont fait que la renforcer. Ainsi, si la solution à deux états est la seule solution possible (intérimaire ou non), eh bien, cela ne semble pas être possible.

La fin d’Israël – à savoir, la fin de la suprématie juive en Palestine n’est pas seulement le but ultime; c’est le seul capable de libérer la Palestine et d’y instaurer la justice après toutes ces décennies.

13 septembre 2017 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB

1 Commentaire

  1. Rima,
    Je pense que la lecture et la compréhension de votre intéressant texte serait plus facile si vous utlisiez le mot « Sépharades » à la place de « Mizrahim ». Pour plus de précisions vous pouvez me contacter dans le blog Yechouroun-Juifs contre sionisme, en réagissant par ex à l’article « Vous n’êtes pas le peuple palestinien et la Palestine n’est pas le pays juif » http://www.bloggen.be/yechouroun/archief.php?ID=37 .

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