Par Wuko
Le parlement examine en ce moment même le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » porté par le ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Cette loi doit permettre de lever l’état d’urgence en transposant une partie de ses dispositions dans le droit commun. Mais en réalité ce qui se joue est bien plus sournois et pernicieux, ni plus ni moins que la dernière pierre de « Big Brother » tel que l’avait imaginé George Orwell en 1949.
Je me suis penché sur le texte après le travail en commission, dans la version qui est examinée à l’Assemblée Nationale (1). Ce qu’il contient est particulièrement inquiétant. Il vient confirmer la théorie développée début 2017 par Edward Snowden sur les lois liberticides votées en occident, extrait d’un entretien croisé à voir absolument si vous aimez la (vraie) démocratie (2).
Les mesures de l’état d’urgence, par définition, ne sont pas efficaces sur le long terme pour lutter contre le terrorisme (3), les experts sont quasi unanimes sur ce point et en février 2017, lors d’un rapport de contrôle de la commission des lois, Jean-Frédéric Poisson (co-rapporteur du rapport) déclare : « Évidemment que le temps qui passe érode l’efficacité et le caractère spécifique de l’état d’urgence »(4). Le député Serge Coronado, lui aussi membre de cette commission alerte sur le fait que « l’un des effets de l’état d’urgence c’est une imprégnation très néfaste sur le droit ». Difficile de lui donner tort aujourd’hui. En réalité ces mesures ne sont utiles que dans le premier mois qui suit un attentat ou un évènement « exceptionnel ». Parenthèse intéressante, le surcoût budgétaire annuel lié à ce dispositif se chiffre à 815 millions d’euros soit 5,8 fois les « économies » réalisées avec la baisse des APL.
Il faut aussi comprendre que les services de renseignement disposent aujourd’hui d’un attirail juridique suffisant pour surveiller les individus radicalisés sur notre territoire et même à l’étranger. Les derniers coups de filet en matière de lutte anti-terroriste n’ont par exemple rien à voir avec les mesures en vigueur dans l’état d’urgence. Alors pourquoi vouloir transposer ces dispositions dans le droit commun me direz-vous ?
Peut-être parce qu’elles ont permis l’assignation à résidence de militants écologistes en marge de la COP 21 ? Peut-être parce qu’elles ont permis 17 interdictions de séjour à Paris avant une manifestation en janvier 2017 ainsi que des interdictions de manifester à Lille ou à Rennes ? Des interdictions de surcroît censurées par le conseil constitutionnel le 9 juin dernier (5).
Pourquoi diable une personne pourra être mise sous surveillance et sous contrôle administratif au seul prétexte que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public, par le simple fait qu’elle soutient, diffuse ou adhère « à des thèses incitant à la commission d’actes terroristes » ou même parce qu’elle est en relation « de manière inhabituelle » avec une personne soupçonnée, tout cela sans passer par la décision d’un juge ?!
Ne vous méprenez pas, les thèses incitant à la commission d’actes terroristes ne sont pas seulement liées à l’intégrisme religieux. Le code pénal définit l’acte terroriste comme un acte se rattachant à « une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur » ! Une démarche politique, de révolte envers un système par exemple, peut facilement être assimilée à du terrorisme.
Cet article 3 de la loi est une véritable porte ouverte à toutes les dérives liberticides que l’on peut imaginer. La personne soupçonnée (!) ne pourra se déplacer que dans sa commune de résidence ou dans son département si elle accepte de porter un bracelet électronique (Oui oui ! Alors qu’elle n’est coupable de rien du tout), devra se présenter une fois par jour au poste de police ou de gendarmerie, sera interdite de se rendre dans des lieux déterminés et, attendez, le meilleur est à venir ; le « présumé coupable » (difficile de le qualifier autrement) devra « déclarer les numéros d’abonnement et identifiants techniques de tout moyen de communication électronique dont il dispose ou qu’il utilise » et ne devra pas se « trouver en relation directe ou indirecte avec certaines personnes, nommément désignées ». On peut donc vous interdire d’entrer en contact avec un membre de votre famille ou un ami pour des soupçons liés à vos positions idéologiques et politiques ! Le fait de se soustraire aux obligations fixées est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45.000€ d’amende.
Ce n’est pas tout bien entendu. Sous les mêmes prétextes, le préfet peut ordonner la perquisition d’un lieu de réunion et la saisie de documents, objets et données si il est fréquenté par une personne soupçonnée. Enfin, selon l’article 7, pour « les besoins de la prévention » les différents ministères sont autorisés à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel et à l’article 8, les services de renseignements sont autorisés à intercepter et exploiter les communications électroniques. Big Brother is (really) watching you!
Et pourtant, malgré cet incroyable arsenal de « mesures préventives », il y un grand « oublié » dans ce projet de loi. En effet le texte ne prévoit pas la possibilité de mettre sous tutelle une entreprise qui serait soupçonnée de financer une activité terroriste. Ce qui était par exemple le cas du cimentier Lafarge, fortement suspecté depuis 2013 d’avoir collaboré avec l’État islamique en Syrie afin de maintenir l’activité de son usine. Aujourd’hui l’entreprise est sous le coup d’une enquête judiciaire et un ancien cadre du groupe a reconnu à minima le versement d’une « taxe » à l’organisation terroriste (6). Quelle incohérence n’est-ce pas ? Un individu peut être privé d’une grande partie de ses droits car il est en relation avec une personne soupçonnée de soutenir des thèses incitant au terrorisme et dans le même temps une entreprise qui finance un groupe terroriste, ennemi de l’État, peut poursuivre ses activités de manière tout à fait normale. Le groupe « La France Insoumise » a bien déposé un amendement visant à réparer cette « omission » mais il a été rejeté par le gouvernement et les députés (voir vidéo).
Revenons-en aux mesures actuelles. Mercredi 27 septembre, deux experts des droits de l’Homme à l’ONU ont écrit au gouvernement (7) pour faire part de leur grande inquiétude vis-à-vis du texte en ces termes : « La normalisation des pouvoirs octroyés par l’État d’urgence entraînera de graves conséquences pour l’intégrité de la protection des droits en France, bien au-delà de la lutte contre le terrorisme ». Selon eux plusieurs dispositions du projet de loi « menacent l’exercice des droits à la liberté et à la sécurité personnelle, le droit d’accès à la justice, et les libertés de circulation, d’assemblée pacifique et d’association, ainsi que d’expression, de religion ou de conviction ». Rien que ça ! Ils exhortent « la France à mettre son projet de loi antiterroriste en conformité avec ses obligations internationales en matière de droits de l’Homme ». Difficile de faire plus clair. Difficile aussi d’accuser l’ONU de laxisme « anarcho-gauchiste ». Des remarques qui prennent un sens particulier quand on sait que Gérard Collomb et Emmanuel Macron ont commis le même surprenant lapsus à quelques jours d’intervalle : « Nous sortirons de l’état de droit. Euh… de l’état d’urgence. »
Est-ce que vous vous rendez compte que ce gouvernement, qui a enterré l’obligation de présenter un casier judiciaire vierge pour être élu en prétextant une « inconstitutionnalité potentielle », s’apprête aujourd’hui à faire voter une loi qui remet en cause toutes nos libertés fondamentales ?!
Le plus tragique dans tout cela c’est qu’une part importante de nos concitoyens (8), lobotomisés pendant de longues années par les images et le ton alarmiste des médias comme BFM TV ou TF1 et aujourd’hui gouvernés par la peur, serait favorable à cette loi sécuritaire dans laquelle elle voit une protection nécessaire. Au parlement le texte devrait obtenir une très large majorité, certains élus « Les Républicains » l’estimant même « trop laxiste ».
Je ne vois pas de meilleure conclusion que cette réplique culte d’une célèbre saga de science-fiction : « Ainsi s’éteint la liberté, sous une pluie d’applaudissements. »
Références :
1. Projet de loi antiterroriste, texte de la commission
3. État d’urgence, plus c’est long moins c’est bon. #DATAGUEULE
4. Contrôle de l’état d’urgence, commission des lois, février 2017
5. Décision du conseil constitutionnel relative à l’interdiction de séjour dans le cadre de l’état d’urgence
6. Lafarge a financé l’État islamique en Syrie
7. Deux experts des droits de l’Homme à l’ONU écrivent au gouvernement
8. 57 % des Français sont favorables au projet de loi antiterroriste
28 septembre 2017 – Libre Actu