Par Ayah Abubasheer, Haidar Eid
Les acteurs politiques des Territoires Palestiniens sous Occupation (TPO) et de la région se repositionnent après l’apparition toute récente d’une coalition entre le Hamas et Muhammad Dahlan, l’ancien responsable du Fatah à Gaza et ennemi de longue date du Hamas, ainsi que des sanctions imposées au Qatar par l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn et l’Égypte. Les Palestiniens de Gaza attendent avec anxiété de voir comment ces changements politiques importants pour la bande de Gaza affecteront leur vie quotidienne.
Les Gazaouis craignent de mauvaises surprises, et à juste titre. La perte probable du Qatar en tant que bailleur de fonds et allié, ainsi que la poursuite tout à fait certaine des mesures de punition collective infligées à Gaza par l’Autorité palestinienne (AP) entraînent des conditions de vie encore plus misérables.
Cela peut être difficile à imaginer après dix ans d’un blocus israélien brutal, ponctué d’assauts militaires qui ont tué ou blessé des milliers de civils et laissé des infrastructures dévastées. Mais la récente crise de l’électricité a montré comment les conditions peuvent malgré tout aller de pire à pire. Alors que nous publions cet article, Gaza est presque totalement sans électricité. Au-delà de la souffrance humaine, cette situation exacerbe la fragmentation politique et affaiblit sans aucun doute la lutte palestinienne pour l’autodétermination et la liberté.
Dans les deux réflexions ci-dessous, les analystes politiques d’Al-Shabaka, Haidar Eid et Ayah Abubasheer, tous deux basés à Gaza, examinent les ramifications politiques de la crise du Qatar à Gaza, en particulier les tentatives désespérées du Hamas de conserver son autorité dans le territoire en utilisant son rapprochement récent avec Dahlan. Ils racontent également comment les vies quotidiennes sont affectées. Leur conclusion ? L’avenir de Gaza n’a peut-être jamais été plus sombre.
Le directeur du programme Al-Shabaka, Alaa Tartir, a été le facilitateur de la table ronde.
Haidar Eid
Il existe un consensus dans la bande de Gaza sur le fait l’enclave connaît le début d’une ère marquée par des mesures punitives sans précédent imposées par l’AP soutenue par le Fatah. Cette période a commencé en mars, lorsque le Hamas a formé un comité pour administrer Gaza. Menacée par l’initiative, l’AP a riposté en suspendant ou en réduisant les salaires des employés du gouvernement domiciliés à Gaza, en bloquant les allocations pour l’électricité, les médicaments et les soins de santé, supprimant les pensions des prisonniers libérés, et refusant d’envoyer les malades de Gaza pour un traitement en Cisjordanie et dans les hôpitaux israéliens. La semaine dernière, l’AP a obligé plus de 6000 employés de Gaza, dont la plupart travaillent dans les secteurs de l’éducation et de la santé, à prendre leur retraite anticipée.
Ces décisions ont été prises au nom du «peuple palestinien» ou du «projet national palestinien», mais sans participation de quiconque en dehors de l’AP, laquelle justifie les mesures comme un moyen de «pousser le Hamas vers la réconciliation» et faisant valoir que «le projet national est plus important que les besoins des citoyens.»
En réponse, le Hamas s’est tourné vers l’Égypte et son archi-ennemi Muhammad Dahlan, mais pas avant d’essayer d’influer l’administration américaine pour pouvoir jouer un rôle dans le «processus de paix» en adoptant la solution à deux États grâce à des modifications dans sa charte. Le refus des États-Unis a permis au Hamas de s’associer à un régime qui a mené une campagne violente contre son organisation-mère, la Fraternité musulmane.
Pourtant, le partenariat Hamas-Égypte n’est pas tout à fait surprenant, car il survient après le gel de la résistance par le Hamas, en échange du maintien de son autorité.
Il est impossible de comprendre ces développements sans considérer ceux qui se déroulent ailleurs dans le monde arabe, en particulier dans le Golfe. La crise récente entre le Qatar et certains autres membres du Conseil de coopération du Golfe (GCC) a affecté Gaza et, par extension, la cause palestinienne, en la plaçant encore plus bas sur la liste de priorités des leaders internationaux et arabes.
En outre, le Qatar fournit une aide humanitaire à la Palestine. Bien que celui-ci n’adopte pas une position politique claire – sans réellement contester les politiques d’occupation et d’apartheid et le colonialisme israélien – la perte possible du Qatar en tant qu’allié met le Hamas dans un position plus vulnérable.
Ces développements se produisent également au milieu de la volonté de l’administration américaine de consolider la normalisation arabe avec Israël sans imposer au préalable les droits fondamentaux minimaux pour le peuple palestinien, tels que garantis par le droit international.
Le Hamas est donc à la merci d’Israël, des États-Unis et de l’AP, et essaie désespérément de maintenir son pouvoir sur la bande de Gaza. Cela semble conduire le Hamas à favoriser des politiques qui peuvent l’aider sur le court terme, mais qui sur le long terme serviront à maintenir un statu quo qui finira par l’affaiblir. Oraib Rantawi, par exemple, soutient que le Hamas envisage de rejoindre un nouveau camp proche du Quartet arabe (Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis) et que Muhammad Dahlan est son guide dans cette voie.
Compte tenu de l’intransigeance de l’Autorité palestinienne et des mesures prises contre Gaza, ainsi que du document divulgué qui définit « l’accord national pour renforcer la confiance » entre le Hamas et Dahlan, l’option restante disponible pour le Hamas semble être de s’ouvrir à l’Égypte et à ses alliés. Pourtant, étant donné que Dahlan est persona non grata dans l’AP en raison de conflits au sein du Fatah, la pression de l’AP sur Gaza devrait augmenter.
La concurrence entre l’AP et le Hamas pour consolider les relations avec les camps arabes soutenus par les États-Unis sera féroce et cela se déroulera sous le slogan de «préserver le projet national» et de «protéger la résistance». Cependant, les deux mouvements n’ont pas de stratégie claire pour traiter les problèmes plus importants et urgents, tels que la construction et l’extension des colonies, le nettoyage ethnique de Jérusalem et la promulgation de lois racistes contre les Palestiniens de 1948 – tous ces éléments étant absents du discours des deux factions au pouvoir.
À court terme, toutes les autres forces politiques, en particulier celles qui ont une influence dans l’élaboration des politiques de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), comme le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP) et le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), doit faire pression sur le Fatah pour annuler toutes les mesures punitives infligées à la bande de Gaza.
À plus long terme, une approche est nécessaire qui souligne l’illégalité du blocus de Gaza en tant que forme de punition collective. Cette approche doit demander des comptes à Israël, mais aussi tenir les dirigeants palestiniens pour responsables. En fin de compte, Gaza doit être contextualisée dans la plus question palestinienne à grande échelle : son droit au retour pour ses 1,5 million de réfugiés et son droit à l’autodétermination sont sanctionnés par le droit international et ils doivent être appliqués grâce au respect du droit.
Ayah Abubasheer
Le Qatar a été un important donateur de la bande de Gaza depuis que le Hamas a remporté les élections de 2006. Il a particulièrement réagi face aux destructions à grande échelle qu’Israël a infligées à Gaza lors de ses nombreuses offensives. En 2012, le Qatar a mis en place son Comité de Reconstruction de Gaza et a mené à bien des projets majeurs, dont le revêtement des principales routes, des projets agricoles et la construction de la ville de Sheikh Hamad bin Khalifa al-Thani, un quartier résidentiel de plus de 3000 logements pour les familles palestiniennes qui ont perdu leurs maisons dans l’attaque israélienne de 2014.
Ces projets ont permis à un nombre important de Gazaouis de travailler, une aubaine, si ce n’est une goutte d’eau dans la mer, du chômage rampant dans la bande, qui s’élève à environ 42% chez les adultes et à 60% dans la tranche de 15 à 29 ans. L’aide au Qatar a donc eu un effet positif sur la population de Gaza, qui vit dans des conditions désastreuses sous le blocus illégal d’Israël.
Il y a encore quelques semaines, l’envoyé spécial du Qatar à Gaza, Muhammad al-Amadi, déclarait que “la bande de Gaza allait au pire”. Les habitants de Gaza ont été choqués par le commentaire, car cela laissait prévoir une détérioration encore plus grande dans leur vie quotidienne. Accompagnant les commentaires d’al-Amadi, des fuites médiatiques ont révélé que le Qatar avait demandé aux dirigeants du Hamas à Doha de quitter le pays.
Peu de temps après, la crise du Qatar a éclaté, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – les partenaires d’Israël dans le Golfe – ainsi que Bahreïn et l’Égypte, ont exigé que le Qatar accepte un certain nombre de diktats ou subisse un blocage diplomatique et commercial. L’une de ces demandes était que le Qatar stoppe son soutien au Hamas.
Les habitants de Gaza continuent de payer un prix très lourds pour ces manœuvres politiques. Et si cela ne suffisait pas de lutter avec la violence et les privations induites par les Israéliens ainsi qu’avec la perte probable du soutien du Qatar, l’Autorité palestinienne (AP) et son chef, Mahmoud Abbas, infligent également des sanctions collectives à Gaza.
Bien que la bande utilise quatre sources d’énergie séparées, elle reçoit seulement 30% de ses besoins énergétiques. Le 12 juin, le gouvernement du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a réduit les approvisionnements en électricité, ce qui a laissé deux millions de personnes avec seulement quatre heures d’électricité chaque jour. Le 20 juin, Israël a répondu à la demande d’Abbas pour que l’approvisionnement en électricité soit encore réduit, rabaissant la fourniture d’électricité à seulement deux heures par jour. Avec ces mesures punitives venues de l’Autorité palestinienne, ainsi que sa récente réduction des salaires des employés de Gaza de 30 à 70%, Abbas espère que la population épuisée se révoltera contre le Hamas.
Ce résultat ne semble guère probable. Beaucoup de jeunes hommes rejoignent l’aile militaire du Hamas, les Brigades Al-Qassam, mais pas en raison de croyances politiques ou idéologiques, mais parce qu’ils sont désespérés de gagner leur vie. Cela a coïncidé avec les efforts des mosquées pour mobiliser les Gazaouis vers une réaffirmation des doctrines conservatrices islamiques et les préceptes d’une vie pieuse. Par exemple, le Hamas a fait savoir qu’une femme ne devrait pas accompagner un homme ami en public sans être accompagnée d’un parent masculin. Dans le même temps, la prostitution augmente, aussi en raison du désespoir de trouver des ressources, avec de graves conséquences sociales pour les femmes et leurs familles.
Le taux de suicides et la consommation de drogues ont également augmenté. Les conflits domestiques, qu’il s’agisse de tribunaux officiels ou de systèmes judiciaires informels (mukhtars), se comptent par centaines. Selon le Conseil judiciaire suprême de la charia à Gaza, le taux de divorce, autrefois à peine de deux pour cent, est maintenant à près de 40 pour cent. Dans un parallèle ironique, les sites de rencontre de Gaza ciblent les veuves pour les hommes qui cherchent une deuxième ou une troisième épouse. De plus, et dans l’irrespect de la loi palestinienne sur la protection de l’enfance, les enfants mendient dans les rues de Gaza.
Il est essentiel de différencier ceux qui souffrent – le peuple de Gaza – et le Hamas, ainsi que la cause palestinienne de ces dirigeants politiques illégitimes, lorsqu’on considère le rôle qu’un acteur régional ou international pourrait tenir pour changer la réalité de Gaza en contestant les politiques illégales d’Israël.
Malheureusement, l’histoire ainsi que le présent montrent que l’occupation et les droits de l’homme ne font pas partie des priorités des acteurs politiques, en particulier d’Israël. En effet, l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak a récemment remarqué que les Israéliens «n’ont aucun remord à propos de [la réalité actuelle de l’occupation]». Avec le soutien du Qatar qui pourrait disparaître, les Gazaouis perdront l’aide d’un de leurs quelques partisans.
Pourtant, même si Gaza continue de recevoir de l’aide – qu’il s’agisse du Qatar, de la Turquie, des Émirats arabes unis, ou même de l’Iran – et si l’Égypte ouvre plus régulièrement le passage de Rafah en échange du non-engagement de Gaza dans des groupes militants armés dans le Sinaï, ce support restera toujours conditionnel et restreint. Cette aide, d’avance compromise, est ce que nous à Gaza, sommes obligés d’espérer en remplacement de notre brutale réalité.
* Haiddar Eid est écrivain et professeur de littérature postcoloniale à l’université Al-Aqsa à Gaza, après avoir enseigné dans plusieurs universités à l’étranger. Vétéran dans le mouvement des droits nationaux palestiniens, c’est un commentateur politique indépendant, auteur de nombreux articles sur la situation en Palestine.
* Ayah Abubasheer est analyste politique à Al-Shabaka. Elle est titulaire d’une maîtrise en politique internationale de la London School of Economics and Political Science (LSE). Elle publie également sur The Electronic Intifada, Palestine Chronicle, Mondoweiss et Middle East Eye.
13 juillet 2017 – Al-Shabakah – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah