Par Adnan Abu Amer
Depuis l’annonce de Trump du 6 décembre concernant Jérusalem, les contacts officiels entre les deux parties ont été suspendus. Le 15 mai, le président palestinien Mahmoud Abbas a rappelé Hussam Zamlat, le chef du bureau de l’OLP à Washington, pour protester contre la décision américaine. Pourtant, malgré le boycott diplomatique, il y a eu, selon le journal Haaretz du 28 mai, une réunion à Washington, fin avril, entre le chef du renseignement palestinien Majid Faraj et Mike Pompeo, qui à l’époque était toujours à la tête de la CIA mais allait bientôt devenir secrétaire d’État. La rencontre s’inscrivait « dans le cadre d’une relation étroite entre les deux chefs du renseignement, qui a débuté l’hiver dernier », selon Haaretz.
L’article mentionnait en outre qu’il s’agissait de la réunion la plus importante de ces six derniers mois entre les deux parties. Les deux hommes ont parlé de la sécurité régionale, de la réunion du Conseil national palestinien qui a eu lieu fin avril et de la santé d’Abbas, « ce qui pourrait indiquer que les Etasuniens veulent garantir la stabilité de la gouvernance palestinienne après le décès d’Abbas ».
Un officiel palestinien proche d’Abbas, qui a parlé sous couvert d’anonymat, a dit à Al-Monitor : « Abbas et quelques autres proches collaborateurs étaient au courant de la réunion entre Faraj et Pompeo, qui était une réunion de sécurité par excellence. Les pourparlers de sécurité entre les parties palestinienne et étasunienne se sont poursuivis sans interruption, la preuve en est que Pompeo avait déjà rencontré Abbas à Ramallah en février 2017 lors d’une réunion organisée par Faraj avec de hauts responsables des renseignements américains. »
On ne sait toujours pas si le désir de Faraj de succéder à Abbas comme président a été discuté lors de la réunion avec Pompeo. Le choix des États-Unis en la matière est fondé sur leurs intérêts en matière de sécurité et ils soutiendront le candidat qui pourra le mieux servir ces intérêts. De nombreux noms ont été prononcés à Washington. La visite de Faraj à Washington avait peut-être pour but de convaincre les États-Unis de le choisir, d’autant plus que ses chances se sont trouvées réduites du fait qu’il n’a pas été élu au Comité exécutif de l’OLP au début du mois de mai. En décembre 2016, il n’a pas non plus été élu au Comité central du Fatah . Ces deux postes sont essentiels pour pouvoir succéder à Abbas.
Au bout du compte, les chances de Faraj de devenir président semblent assez minces, car il y a aussi pas mal de Palestiniens qui le considèrent comme un collaborateur d’Israël. Dans une interview accordée à Defense News Magazine en janvier 2016, Faraj s’est vanté que ses forces de sécurité avaient déjoué 200 attaques armées contre des Israéliens depuis octobre 2015 et que ses forces travaillaient aux côtés d’Israël et des États-Unis.
Yoni Ben Menachem , un ancien officier de renseignement militaire israélien, a dit le 27 mai que Faraj, qui est proche d’Abbas, bénéficie du soutien des États-Unis et d’Israël et du soutien de certains États arabes qu’il n’a pas nommés, et qu’Abbas pourrait en faire son successeur.
Ibrahim Habib, un expert en sécurité nationale de Gaza, a dit à Al-Monitor : « La réunion Faraj-Pompeo signifie que les services de renseignement étasuniens ont des liens étroits avec leurs homologues palestiniens. Lorsque le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza à la mi-2007 et qu’il a mis la main sur les archives du renseignement de sécurité, il y a trouvé les preuves d’une très forte coopération en matière de sécurité entre les services de renseignement palestiniens et la CIA ».
Il a ajouté : « En fait, le personnel de sécurité palestinien s’entraîne aux États-Unis et les officiers étasuniens supervisent la situation sécuritaire en Cisjordanie. Le service de renseignement palestinien a des attachés de sécurité dans la plupart des ambassades palestiniennes du monde (90 ambassades) et des liens sécuritaires avec les organismes internationaux. Ils aident également la sécurité étasunienne à traquer les groupes armés dans certaines parties du monde comme la Syrie et la Libye en fournissant des données sécuritaires ».
On a émis l’hypothèse, tant à Gaza qu’en Cisjordanie, que Faraj participait à de nombreuses activités sécuritaires en coordination avec la CIA ou sous sa direction, dans des pays où il y a une présence palestinienne et où les Palestiniens peuvent facilement se déplacer, en particulier dans des pays, comme la Syrie, où les tensions sécuritaires posent problèmes aux États-Unis et à Israël.
Selon des sources étasuniennes et libyennes, Faraj a reçu les félicitations de Washington pour avoir fourni à la CIA des données qui ont permis d’identifier les allées et venues du dirigeant d’Al-Qaïda Abu Anas al-Libi, ce qui a conduit à son enlèvement en 2013.
En Syrie, les services secrets palestiniens, dirigés par Faraj, ont pris part à la libération des deux otages suédois en 2015. Les otages étaient détenus par des groupes armés depuis 2013.Ismail al-Ashqar
Fadi Elsalameen, un chercheur palestinien basé aux États-Unis, a dit à Al-Monitor : « Faraj est très apprécié dans les cercles de sécurité étasuniens et entretient un solide réseau de relations avec les officiers supérieurs de la CIA. Pompeo a voulu le voir pour lui dire personnellement adieu après des années de travail en commun. Leur réunion a surtout porté sur la coordination bilatérale pour poursuivre les groupes armés au Moyen-Orient. La question palestinienne n’a pas été vraiment abordée au cours des discussions. Les Américains sont reconnaissants à Faraj pour ses efforts en matière de sécurité, et il leur est reconnaissant pour la formation et l’argent. »
Le Hamas a déjà condamné le rôle de Faraj et des services de renseignement palestiniens. Ismail al-Ashqar, représentant du Hamas au Conseil législatif palestinien et président de la Commission de l’intérieur et de la sécurité du Conseil, a dit en novembre 2013 que la coopération des services de renseignement palestiniens avec la CIA dans la poursuite de personnes recherchées par la loi nuit à la cause palestinienne. Il a également déclaré que le Hamas disposait de centaines de documents prouvant que les serviIsmail al-Ashqarces de renseignements palestiniens avaient espionné des pays arabes et islamiques amis au profit d’Israël et des États-Unis.
Abdel Sattar Qassem, professeur de sciences politiques à l’Université nationale An-Najah de Naplouse, a dit à Al-Monitor : « L’AP est l’une des armes de la politique américaine dans la région. Il existe une coordination de haut niveau en matière de sécurité entre les deux parties. Il ne faut pas croire à une soi-disant rupture politique entre Washington et Ramallah, la communication n’a pas du tout cessé entre les deux parties. L’AP ne peut pas rompre ses relations avec les Etats-Unis, cela reviendrait à se couper les veines. Faraj et Pompeo ont probablement parlé de la santé d’Abbas au cours de leur réunion, car Faraj fait partie des candidats à la succession du président palestinien. Faraj veut avoir le soutien des États-Unis. »
* Adnan Abu Amer est doyen de la Faculté des Arts et responsable de la Section Presse et Information à Al Oumma Open University Education, ainsi que Professeur spécialisé en Histoire de la question palestinienne, sécurité nationale, sciences politiques et civilisation islamique. Il a publié un certain nombre d’ouvrages et d’articles sur l’histoire contemporaine de la Palestine.
6 juin 2018 – Al-Monitor – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet