Pourquoi nous sommes en grève de la faim dans les prisons israéliennes

Photo : Oren Ziv/Activestills.org
Fresque murale de Marwan Barghouti sur le mur d'apartheid au barrage militaire de Qalandiya en Cisjordanie occupée, le 10 juin 2016 - Photo : Oren Ziv/Activestills.org
Marwan BarghoutiAprès avoir passé les 15 dernières années dans une prison israélienne, j’ai été témoin et victime du système illégal d’arrestations arbitraires massives et des mauvais traitements infligés par les Israéliens aux prisonniers palestiniens.

Après avoir épuisé toutes les autres options, j’ai décidé qu’il n’y avait pas d’autre choix que de résister à ces abus en faisant une grève de la faim.

Quelque mille prisonniers palestiniens ont décidé de participer à cette grève de la faim, qui commence aujourd’hui, le jour où nous observons ici la Journée des prisonniers. La grève de la faim est la forme la plus pacifique de résistance disponible. Cela inflige des douleurs uniquement à ceux qui y participent et à leurs proches, dans l’espoir que leur ventre vide et leur sacrifice aideront le message à résonner au-delà des limites de leurs sombres cellules.

Des décennies d’expérience ont prouvé que le système inhumain d’occupation et d’occupation militaire d’Israël vise à briser l’esprit des prisonniers et de la nation à laquelle ils appartiennent, en infligeant des souffrances à leur corps, en les séparant de leurs familles et de leurs communautés, en utilisant des mesures humiliantes pour contraindre les contraindre à l’assujettissement. Malgré un tel traitement, nous ne nous rendrons pas.

Israël, la puissance occupante, a violé le droit international de multiples façons depuis près de 70 ans et a toujours bénéficié de l’impunité pour ses actions. Il a commis de graves violations des Conventions de Genève contre le peuple palestinien. Les prisonniers, y compris les hommes, les femmes et les enfants, ne font pas exception.

J’avais seulement 15 ans quand j’ai été emprisonné pour la première fois. J’avais à peine 18 ans quand un interrogateur israélien m’a forcé à écarter les jambes alors que je me tenais nu dans la salle d’interrogatoire, avant de toucher mes organes génitaux. J’ai voulu fuir la douleur, et la chute qui en a résulté a laissé une cicatrice éternelle sur mon front. L’interrogateur s’est moqué de moi en disant que je n’aurai ainsi jamais d’enfant parce que les gens comme moi ne donnent naissance qu’à des terroristes et des meurtriers.

Quelques années plus tard, j’étais de nouveau dans une prison israélienne, menant une grève de la faim, lorsque mon premier fils est né. Au lieu des bonbons que nous distribuons habituellement pour célébrer de telles nouvelles, j’ai distribué du sel aux autres prisonniers. À l’âge de 18 ans, mon fils a été arrêté et a passé quatre ans dans les prisons israéliennes.

L’aîné de mes quatre enfants est maintenant un homme de 31 ans. Pourtant, je suis toujours en train de poursuivre cette lutte pour la liberté avec des milliers de prisonniers, des millions de Palestiniens et le soutien de tant de monde dans le monde. L’arrogance de l’occupant et de l’oppresseur et de ses partisans les rend sourd à cette simple vérité: nos chaînes seront brisées un jour, parce que c’est la nature humaine d’écouter l’appel à la liberté quel que soit le coût.

Israël a construit presque toutes ses prisons à l’intérieur d’Israël plutôt que dans le territoire occupé. Ce faisant, il a transféré illégalement et par la force des civils palestiniens en captivité et a utilisé cette situation pour restreindre les visites familiales et pour infliger des souffrances aux prisonniers par de longs transports dans des conditions cruelles. Cela a transformé les droits fondamentaux qui devraient être garantis par le droit international – y compris ceux obtenus par des grèves de la faim antérieures – en des privilèges que leur service pénitentiaire décide de nous accorder ou de nous priver.

Les prisonniers palestiniens et les détenus ont subi des actes de torture, des traitements inhumains et dégradants et la négligence médicale. Certains ont été tués en détention. Selon le dernier recensement du “Palestinian Prisoners Club”, environ 200 prisonniers palestiniens sont décédés depuis 1967 suite à ces actions. Les prisonniers palestiniens et leurs familles restent également la principale cible de la politique israélienne de punitions collectives.

Grâce à notre grève de la faim, nous tentons de mettre un terme à ces abus.

Au cours des cinq dernières décennies, selon le groupe des droits de l’homme Addameer, plus de 800 000 Palestiniens ont été emprisonnés ou détenus par Israël – soit environ 40% de la population masculine du territoire palestinien. Aujourd’hui, environ 6500 Palestiniens sont encore emprisonnés, dont certains ont la triste distinction de tenir des records mondiaux des plus longues périodes de détention de prisonniers politiques. Il n’y a pratiquement pas une seule famille en Palestine qui n’a pas subi les souffrances causées par l’emprisonnement d’un ou de plusieurs de ses membres.

Comment rendre compte de cet état de choses incroyable ?

Israël a mis en place un double régime juridique, une forme d’apartheid judiciaire, qui offre l’impunité aux Israéliens qui commettent des crimes contre des Palestiniens, tout en criminalisant la présence et la résistance palestiniennes. Les tribunaux d’Israël sont une caricature de justice, et clairement des instruments d’occupation coloniale et militaire. Selon le Département d’État, le taux de condamnation pour les Palestiniens dans les tribunaux militaires est de près de 90%.

Parmi les centaines de milliers de Palestiniens emprisonnés par Israël se trouvent des enfants, des femmes, des parlementaires, des militants, des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme, des universitaires, des personnalités politiques, les militants, de simples passants, des membres des familles des prisonniers. Et tout cela dans un seul but : enterrer les aspirations légitimes d’une nation entière.

Au lieu de cela, cependant, les prisons israéliennes sont devenues le berceau d’un mouvement durable pour l’autodétermination palestinienne. Cette nouvelle grève de la faim va démontrer une fois de plus que le mouvement des prisonniers est la boussole qui guide notre lutte, la lutte pour “la Liberté et la Dignité”, le nom que nous avons choisi pour cette nouvelle étape dans notre longue marche vers la liberté.

Israël a essayé de nous considérer tous comme des terroristes pour légitimer ses violations, y compris les arrestations arbitraires massives, la torture, les mesures punitives et les restrictions sévères. Dans le cadre de l’effort d’Israël pour saper la lutte palestinienne pour la liberté, un tribunal israélien m’a condamné à cinq condamnations à perpétuité et à 40 ans de prison dans un procès politique qui a été dénoncé par des observateurs internationaux.

Israël n’est pas le premier pouvoir occupant ou colonial à recourir à de tels expédients. Tout mouvement de libération nationale dans l’histoire peut rappeler des pratiques similaires. C’est pourquoi tant de personnes qui ont lutté contre l’oppression, le colonialisme et l’apartheid sont à nos côtés. La “Campagne internationale pour libérer Marwan Barghouti et tous les prisonniers palestiniens” que l’icône anti-apartheid Ahmed Kathrada et ma femme, Fadwa, ont inaugurée en 2013 depuis l’ancienne cellule de Nelson Mandela à Robben Island, a bénéficié du soutien de huit lauréats du prix Nobel de la paix, de 120 gouvernements et de centaines de dirigeants, de parlementaires, d’artistes et d’universitaires à travers le monde.

Leur solidarité met en lumière l’échec moral et politique d’Israël. Les droits ne sont pas accordés par un oppresseur. La liberté et la dignité sont des droits universels qui sont inhérents à l’humanité, dont doivent bénéficier chaque nation et tous les êtres humains. Les Palestiniens ne seront pas une exception. Seule la fin de l’occupation mettra fin à cette injustice et marquera la naissance de la paix.

16 avril 2017 – The New York Times – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah