Par Maram Humaid
Les pénuries de médicaments chimiothérapeutiques mettent en danger la vie de plus de 8200 cancéreux, selon les autorités sanitaires de Gaza.
Asmaa al-Bahnasawi est une malade atteinte de cancer et âgée de 45 ans. Elle ne peut plus bénéficier de séances de chimiothérapie dans la bande de Gaza sous blocus.
Un cancer du sein lui a diagnostiqué il y a plusieurs mois et, comme plus de 8200 patients atteints de cancer, elle s’est vue refuser un traitement jusqu’à nouvel ordre en raison de la rareté des médicaments de chimiothérapie.
“Comment cela serait-il possible ?” a déclaré Bahnasawi à Al Jazeera depuis un des rares hôpitaux de la bande de Gaza qui traitent les patients atteints de cancer.
“Nous ne sommes pas des patients qui souffrent de maladies communes”, dit-elle. “Ce n’est pas comme si je pouvais simplement entrer dans une pharmacie et acheter les médicaments dont j’ai besoin.”
Plus tôt cette semaine, les responsables du secteur de la santé à Gaza ont annoncé que l’hôpital d’al-Rantisi n’était plus en mesure de fournir aux patients des séances de chimiothérapie, invoquant des pénuries de médicaments.
Un déficit de 80% dans les produits nécessaires met en danger la vie de milliers de patients, a prévenu lundi le ministère de la Santé.
Selon son porte-parole, Ashraf al-Qudra, il y a environ 6100 patients âgés atteints de tumeurs et 460 enfants qui reçoivent des soins médicaux à l’hôpital al-Rantisi de Gaza.
1700 autres patients atteints de “tumeurs avancées” sont actuellement traités à l’hôpital européen de Gaza, dans le district de Khan Younis, dans le sud du pays.
Les médecins expliquent que la situation a été exacerbée depuis qu’Israël a coupé l’approvisionnement en produits de première nécessité le mois dernier, en bouclant partiellement le passage commercial de Karem Abu Salem vers la bande de Gaza.
Les médicaments de chimiothérapie ont été interdits d’importation à Gaza, comme d’autres équipements médicaux nécessaires pour effectuer les radiothérapies, les thérapies moléculaires, les scannings par TEP (Tomographie par Émission de Positrons) et par isotopes.
“Il ne me reste que deux séances de chimiothérapie. Avec la nouvelle situation, mon état de santé pourrait se détériorer à nouveau”, nous dit Bahnasawi.
“Je ne peux même pas partir pour me faire soigner à l’extérieur … C’est très injuste ce qu’endurent les Palestiniens à Gaza”, dit-elle d’une voix brisée.
“Mes enfants et ma famille ont besoin de moi.”
“Un cauchemar”
Beaucoup de ceux qui tentent de quitter la bande de Gaza pour suivre un traitement se voient souvent refuser les permis médicaux par Israël et l’Égypte voisine.
Gaza est sous blocus israélien et égyptien depuis 2007. Le poste de contrôle d’Erez est la principale porte de sortie pour deux millions d’habitants de Gaza, pour accéder aux soins médicaux en Israël [Palestine de 1948] et en Cisjordanie occupée.
Au fil des ans, Israël a multiplié les obstacles pour l’obtention de permis médicaux qui doivent faciliter les déplacements des malades.
Par exemple, les enfants malades doivent être accompagnés d’un tuteur âgé de plus de 50 ans pour pouvoir se déplacer.
Cela a été la “partie la plus difficile” du voyage d’Aseel Mousa, âgée de 4 ans.
“Lorsque votre enfant est diagnostiqué avec un cancer, c’est une bataille psychologique et physique pénible pour toute la famille”, a déclaré à Al Jazeera la mère d’Aseel, Sajida, âgée de 26 ans.
Sajiida s’est récipitée avec sa fille à l’hôpital lundi matin dans l’espoir que celle-ci soit parmi les malades qui bénéficieraient des derniers médicaments disponibles,
“Aucun mot ne peut décrire mes sentiments pour le moment”, nous dit Sajida depuis l’hôpital al-Rantisi.
“Qu’est-ce que je suis censée ressentir quand j’ai du mal à fournir à mon enfant les médicaments nécessaires … Quand je n’arrive pas à obtenir les médicaments prescrits ? C’est un cauchemar”, dit-elle.
Aseel a été diagnostiquée avec un cancer du rein en 2016 et elle a subi une intervention chirurgicale. Mais doit poursuivre son traitement. En raison des pénuries, Aseel doit se rendre en Cisjordanie, à Naplouse, pour y suivre une chimiothérapie et à Jérusalem pour des séances de radiothérapie.
“C’est la partie la plus difficile de ce qui nous arrive”, a déclaré Sajida. “Avec beaucoup de difficultés, nous obtenons les autorisations nécessaires des Israéliens pour traverser le passage d’Erez.”
Aseel doit être accompagnée de sa grand-mère, âgée de plus de 50 ans, et la demande de Sajida est toujours en attente d’une réponse.
“Mon nom est toujours dans la catégorie ‘contrôle de sécurité’ … Et cela fait deux ans”, révèle Sajida.
Alors qu’Israël approuve entre 10 et 15% des demandes de permis, le gros des demandes reste “sous examen” pendant des mois et des mois, forçant de nombreuses personnes à reprogrammer plusieurs fois leurs rendez-vous.
8000 vies sont “menacées”
Selon l’agence de presse palestinienne WAFA, les responsables de la santé de la ville de Ramallah – en Cisjordanie sous administration de l’Autorité palestinienne – se sont empressés d’approvisionner la Bande de Gaza avec trois mois de fournitures médicales.
Mais les médecins à Gaza insistent sur le fait que ce n’était pas suffisant.
Khaled Thabet, chef du département d’oncologie à l’hôpital al-Rantisi, a déclaré que le manque de Neubogen en particulier, un médicament utilisé pour augmenter l’immunité chez les patients cancéreux, menaçait “fortement” la vie de plus de 8000 personnes.
“Quarante-cinq des 60 médicaments de chimiothérapie étaient en rupture de stock lundi matin”, a déclaré M. Thabet.
Maison al-Musader, une enseignante de l’UNRWA à Gaza, s’est vue diagnostiquée un cancer du sein il y a deux ans. Cette femme de 47 ans est incapable de marcher, car le cancer s’est propagé à ses os.
Entouré de son mari et de sa fille, Musader attend d’être ramenée chez elle. “Nous à Gaza en avons assez d’entendre de telles nouvelles”, a-t-elle déclaré.
Musader doit se rendre à Jérusalem tous les quatre mois pour recevoir une injection qui n’est pas disponible à Gaza, mais elle ne reçoit pas toujours de permis.
“C’est comme si nous avions soudain basculé en enfer”, a déclaré le mari de Maison, Suliman, à Al-Jazeera.
“Elle est l’épine dorsale de notre famille”, nous dit cet homme de 50 ans. “Tout ce que je veux pour elle, c’est qu’elle reçoive un traitement approprié sans les retards et les annulations habituels.”
Auteur : Maram Humaid
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Ses comptes Twitter/X :@maramgaza et Instagram.
14 août 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine