Par Maram Humaid
Dans un hôpital à Gaza qui se bat pour faire face à la situation, Al Jazeera questionne les médecins et les Palestiniens blessés lors des manifestations de la Journée de la Terre.
Mohammad Othman, un garçon palestinien de 15 ans, est allongé sur un lit d’hôpital dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital al-Shifa dans la bande de Gaza – la plus ancienne et la plus grande structure médicale de l’enclave sous blocus.
Othman est l’un des 1500 Palestiniens blessés vendredi par la débauche de tirs israéliens à balles réelles, de gaz lacrymogènes et de balles en acier recouvertes de caoutchouc sur des milliers de Palestiniens qui ont manifestaient le long de la clôture longeant à l’est Israël [Palestine de 1948], tuant 18 personnes.
S’adressant à Al Jazeera, Othman – dont le lit était bordé de drapeaux palestiniens et de fleurs de parents et d’amis – a reçu reçu une balle à l’arrière de la tête. Il dit qu’il ne s’attendait pas à être pris pour cible.
“J’étais à 300 mètres de la clôture [entre la bande de Gaza et Israël], avec mes frères et sœurs, quand on m’a tiré dessus”, explique Othman.
“Je voulais éviter d’approcher les frontières pour garder mes jeunes frères en sécurité, et pourtant, j’étais pris pour cible.”
Othman a passé les deux derniers jours sous soins intensifs après que les médecins aient déclaré son cas critique.
Six autres Palestiniens sont restés dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital après les événements de vendredi au cours desquels des Palestiniens ont manifesté pacifiquement pour marquer le Jour de la Terre, appelant au droit au retour des réfugiés palestiniens.
Les rassemblements de vendredi, surnommés «la Grande marche du retour», ont été organisés par des groupes de la société civile pour initier un sit-in de six semaines menant à la commémoration de la Nakba le 15 mai.
Jihad al-Juaidi, chef de l’unité de soins intensifs à l’hôpital, a déclaré à Al Jazeera que toutes les blessures arrivant à l’hôpital étaient centrées sur la tête, les articulations des genoux ou les articulations pelviennes.
“Cela montre que les forces israéliennes tiraient pour tuer ou causer des mutilations”, a-t-il dit.
Un hôpital débordé
Décrivant les conditions à l’hôpital après vendredi, al-Juaidi a expliqué que l’établissement avait admis des dizaines d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens de moins de 16 ans.
“C’était le chaos quand les gens ont commencé à affluer à l’hôpital – en particulier en raison de la pénurie de médicaments dans le domaine de la santé”, a poursuivi al-Juaidi.
La bande de Gaza, qui abrite environ deux millions de personnes, est soumise à un blocus terrestre, maritime et aérien israélien depuis plus d’une décennie.
L’enclave sous blocus a subi trois assauts israéliens à grande échelle qui ont endommagé une grande partie de l’infrastructure de ce territoire et aggravé terriblement les conditions de vie. Aujourd’hui plus de 80% de la population dépend de l’aide humanitaire pour survivre.
Environ 70% de la population de Gaza est composée de réfugiés des territoires palestiniens dont ils ont été chassés par les milices sionistes lors d’une campagne de nettoyage ethnique en 1948 pour établir l’État d’Israël. Ce moment dramatique est connu par les Arabes sous le nom de Nakba.
Marwan Yassin, un jeune garçon de 15 ans qui a participé aux manifestations, est couché sous une lourde couverture. Des tiges métalliques sortent de sa jambe droite.
“J’ai entendu parler de la marche et j’ai décidé d’y aller avec mon ami”, a déclaré Yassin à Al Jazeera.
Quand son compagnon, âgé de 10 ans, a essayé de planter le drapeau palestinien près de la clôture, il a reçu une balle dans la jambe.
«Je suis allé à l’hôpital avec lui et je suis retourné pour planter le drapeau, mais j’ai aussi été blessé à la jambe», poursuit-il, ajoutant que la balle l’a atteint sous le genou et laissé des éclats dans ses artères.
«Illégal et calculé»
Selon le ministère de la Santé, au moins 800 Palestiniens ont été la cible de tirs à balles réelles, tandis que 150 autres ont été blessés par des balles en acier recouvertes de caoutchouc, et environ 20 par inhalation de gaz lacrymogène.
Plusieurs pays et groupes de défense des droits de l’homme ont condamné l’utilisation de la force par Israël.
Mardi, Human Rights Watch (HRW), basé aux États-Unis, a déclaré que les meurtres étaient “illégaux et calculé”s, soulignant que les manifestants ne représentaient aucune menace pour les soldats israéliens postés de l’autre côté de la clôture.
“Le nombre élevé de morts et de blessés a été la conséquence prévisible de la possibilité donnée aux soldats d’utiliser une force meurtrière en dehors des situations potentiellement mortelles, et ceci en violation des normes internationales”, a déclaré HRW dans son rapport.
Avant les manifestations, le plus haut commandant de l’armée israélienne a déployé plus de 100 snipers à la frontière de Gaza, leur donnant la permission d’ouvrir le feu “si des vies sont en danger”.
De retour à l’hôpital Al-Shifa, Mohammad Hilles lutte pour se remettre d’une balle qui lui a brisé la jambe.
Cet homme âgé de 27 ans a été blessé par une balle au-dessus de son genou, alors qu’il protestait avec ses amis à environ 100 mètres de la barrière de séparation.
Il a dû subir une intervention chirurgicale de 13 heures pour traiter les dommages à son système veineux et les graves saignements qui ont suivi.
Lorsqu’on lui a demandé s’il regrettait d’être allé à la marche, il n’a pas hésité : “Je reviendrai aux manifestations si je me rétablis bientôt.”
Auteur : Maram Humaid
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Ses comptes Twitter/X :@maramgaza et Instagram.
4 avril 2018 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine