Imad Ahmad Barghouthi : “Une des mesures les plus brutales de l’occupant est la détention administrative”

Photo : Samidoun
Prof. Imad Ahmad Barghouthi - Photo : Samidoun
Une interview du Professeur Imad Ahmad BarghouthiProfesseur et chercheur palestinien au Département de Physique de l’Université al-Qods à Jérusalem, Imad Ahmad Barghouthi a été emprisonné à deux reprises par l’occupant israélien pour le simple fait d’avoir publié ses opinions sur son compte Facebook. Il a accepté de répondre à nos questions.

Chronique de Palestine : Professeur Imad Barghouthi, pouvez-vous vous présenter?

Professeur Imad Ahmad Barghouthi : Je suis Imad Ahmad Barghouthi, professeur en physique de l’espace, à l’Université Al-Quds à Jérusalem, en Palestine. Je suis né le 30 avril 1962 dans le village de Beit Rima au nord de la ville de Ramallah, en Palestine.

Après des études universitaires en Physique à Amman en Jordanie, j’ai préparé et obtenu mon doctorat entre 1989 et 1994 au Département de Physique de l’Université de Logan, dans l’Utah aux États-Unis.

C.P : Vous avez récemment subi une peine d’emprisonnement de longue durée dans les prisons israéliennes, sous le régime de la détention administrative. Pouvez-vous commenter les prétextes invoqués pour cette incarcération, et nous dire quelles en étaient les conditions tout au long des sept mois ?

Prof. Barghouthi : La première partie de ces sept mois (environ 32 jours), j’ai été placée en détention administrative basée sur des accusations tenues secrètes (un crime en droit international). Techniquement, en se fondant sur cette pratique, ils ne peuvent me charger d’aucune accusation. Ni moi ni mon avocat n’avons été informés de la liste des accusations.

Plus tard, après plusieurs audiences et la solidarité de la communauté scientifique sur mon cas, le juge militaire a fait appel pour ma libération le 26 mai 2016. D’un autre côté, le procureur a préparé une liste d’accusations (des “couper/coller” de ma page Facebook) et les a remis aux tribunaux militaires, où ils m’ont accusé “d’incitation” dans la publication sur les médias sociaux.

Sur ma page Facebook, je donne à connaître mon opinion sur l’occupation et la brutalité de cette occupation contre chaque élément de la vie palestinienne (c’est-à-dire les individus, les arbres, l’eau, la terre, les études, les universités …). Ils considèrent mon opinion et ma liberté d’expression (je respecte les lois internationales et les droits de l’homme) comme une “incitation”.

Passer un seul jour en prison est une grande torture. C’est être loin de sa famille, de l’université, des étudiants, de ses compatriotes, et rester confiné dans une pièce (environ 7 mètres de longueur et moins de 3 mètres de large) avec 10 prisonniers qui ont des âges, des antécédents, une culture et un niveau d’éducation différents des vôtres. Des toilettes et une kitchenette sont comprises dans cette pièce.

Sans doute pour les mêmes raisons, j’ai été arrêté le 6 décembre 2014 à un barrage militaire (à la frontières entre Israël et la Jordanie) et placé en détention administrative, alors que je quittais le pays et me rendais aux Émirats Arabes Unis pour assister à une conférence scientifique sur l’astronomie. On m’a placé en prison et j’y ai passé 47 jours.

J’ai été libéré grâce à la solidarité, au soutien et à la pression de la communauté scientifique. Cette communauté scientifique respectée a envoyé de nombreuses lettres au premier ministre israélien et à de nombreux responsables israéliens.

C.P : N’y a-t-il pas de la part de l’occupant, à travers la multiplication des “détentions administratives”, une volonté de désorganiser, déstabiliser la société palestinienne, et en particulier dans ses couches intellectuelles et militantes ?

Prof. Barghouthi : Une des mesures les plus brutales de l’occupant est l’arrestation administrative. Les autorités d’occupation israéliennes sont les seules à y avoir recours.

Plus de 700 Palestiniens sont répertoriés comme détenus administratifs. Aucun ne sait quand ils sera libéré ni pourquoi il est emprisonné. Certains d’entre eux peuvent bénéficier d’une décision de libération, et à la dernière minute, voir renouveler la période de détention fixée exactement au jour et à l’heure où ils devaient sortir de prison.

Cela peut durer des années. Cette détention administrative est trop dure, trop cruelle, et totalement contre les droits fondamentaux de l’homme.

C.P : Comment, en étant professeur et chercheur dans une université palestinienne, peut-on gérer sa carrière, mener ses travaux de recherche, enseigner à des étudiants, participer à des collaborations internationales ?

Prof. Barghouthi : Je souffre beaucoup de la situation. Régulièrement il m’est impossible de me rendre à mon bureau à cause de l’occupation. Je ne peux pas assister à des conférences internationales, et en ce moment je ne suis pas autorisé à quitter le pays.

Je me sens profondément menacé. Pour une durée de 3 ans, je ne suis pas autorisé à publier sur ma page Facebook ou à faire quelque chose de similaire consigné dans la liste de l’acte d’accusation (qu’ils considéreraientt comme une “incitation”, alors que je défends mon droit de m’exprimer et de défendre mon peuple et mon pays). Si je n’obtempère pas, je serai directement emprisonné pour 6 mois.

Ces mesures tyranniques ont été prises pour me faire taire, pour m’empêcher de dire la vérité sur la souffrance de mon peuple.

Malgré toutes ces difficultés et ces conditions de vie inqualifiables, j’ai pu assumer mes responsabilités et poursuivre mes travaux de recherche de haut niveau. Vous pouvez à ce propos consulter ce lien.

C.P : Le campus de l’Université Al-Quds est divisé en deux parties en raison du mur de séparation qui traverse la cour du campus. Décrivez-nous ce que cela implique.

Prof. Barghouthi : Je ne peux pas me rendre dans l’autre partie. L’université a de grandes difficultés à gérer les deux campus, et le tout ressemble à deux universités, administrations, facultés différentes. Il n’y a aucune connexion entre les étudiants, les facultés… Pas de séminaires, cours, activités, en commun …

C.P : Comment la direction de votre université ainsi que vos étudiants, collègues chercheurs et collaborateurs à l’étranger, ont-ils à chaque fois réagi à votre emprisonnement ? Ainsi que vos éventuels contacts scientifiques en Israël ?

Prof. Barghouthi : Il m’est pénible d’en parler. J’ai eu le plein appui de la communauté scientifique internationale, mais pas assez de soutien de la part des communautés locales ou régionales. La plupart des prisonniers n’ont pas de soutien international ni même local.

En ce qui me concerne j’ai eu de la chance, grâce à mes liens scientifiques et à mes réalisations scientifiques.

Je n’ai aucun lien direct ou indirect avec des physiciens israéliens. Je suis contre la normalisation avec la partie israélienne, car nous sommes sous occupation. La majorité des universitaires israéliens collaborent avec l’occupation et ils ne font rien contre la brutalité de leurs autorités d’occupation.

C.P : Parlons de votre domaine de spécialisation. Vous êtes généralement présenté comme un astrophysicien. Pouvez-vous nous parler en quelques lignes de vos champs de recherche par excellence et nous expliquer les types de plasmas astrophysiques sur lesquels vous effectuer vos travaux de recherche ?

Prof. Barghouthi : Je me définis plutôt comme physicien de l’espace [Space physicist].

Je suis en train de modéliser le couplage ionosphère-magnétosphère, et en général, je travaille à décrire la région de haute altitude (2000 à 100 000 kms) et haute latitude au-dessus de notre planète Terre.

Connaître les propriétés de cette région est très important pour la technologie spatiale (satellites, vaisseaux spatiaux, …) et pour les flottes aériennes qui parcourent l’espace.

C.P : Parlez-nous du modèle que vous avez développé et qui porte votre nom, appliqué aux flux ioniques à haute altitude et haute latitude.

Prof. Barghouthi : Je travaille sur ce modèle depuis 1989. J’ai une collaboration avec de nombreux scientifiques et étudiants respectés, et j’ai publié environ 40 articles dans ce domaine de la physique spatiale.

J’ai mis au point ce modèle, nommé le modèle Barghouthi.

Par l’utilisation de ce modèle, je peux fournir à la communauté scientifique des résultats de simulation scientifique liés aux propriétés de cette partie de notre environnement (haute altitude et haute latitude, c’est-à-dire de 2000 à 100 000 kms et les régions au-dessus des pôles nord ou sud).

Récemment, dans le cadre d’une collaboration scientifique avec l’institut suédois de physique spatiale, à Kiruna, avec le Dr. Hans Nilsson nous avons mis en œuvre le modèle et avons pu expliquer beaucoup d’observations liées à cette région du ciel.

C.P : Vous publiez régulièrement dans des revues scientifiques internationales. Comment parvenez-vous à maintenir une telle production scientifique dans le contexte difficile de l’Université Al-Qods ?

Prof. Barghouthi : Croyez-moi, je n’ai même pas le temps de dormir. Je suis toujours en pleine charge de travail, avec mes enseignements (12 crédits par semestre), de nombreux étudiants en Master scientifique qui sont sous ma responsabilité, et la liste des documents en cours de préparation en plus de nombreux documents à examiner pour différentes revues.

J’ai de tendres disputes avec ma femme et mes cinq enfants parce qu’ils ont tous besoin de passer plus de temps avec moi.

C.P : Vous êtes également connu en tant que spécialiste de l’histoire de la science dans le contexte de l’Islam. Pouvez-vous expliquer la raison de cette spécialisation ?

Prof. Barghouthi : En tant que musulman, j’ai toujours lu notre livre saint, le Coran, l’histoire de notre région et les contributions de nos érudits musulmans.

Je cherche à trouver une réponse à la question: Pourquoi les scientifiques musulmans contribuent-ils beaucoup à l’humanité avant 1000 ans, et n’y contribuent-ils plus aujourd’hui ?

C.P : Revenons maintenant à votre dernier emprisonnement. La question des prisonniers politiques palestiniens en Israël mobilise-t-elle toute l’attention qu’elle requiert, tant en Palestine occupée qu’à l’étranger? Quelles seraient les initiatives à prendre au niveau local et international ?

Prof. Barghouthi : Non, les prisonniers ressentent avec peine qu’ils ont été oubliés. Ils souffrent beaucoup et il n’y a pas assez de soutien à aucun des deux niveaux.

Nous devons appliquer plus de pression sur le gouvernement israélien pour qu’il cesse d’utiliser la détention administrative, qu’il cesse d’arrêter des enfants (moins de 18 ans), qu’il stoppe sa brutalité contre les Palestiniens.

Autrement dit, nous devons aider les Palestiniens à disposer de leur propre pays selon les normes internationales, les résolutions des Nations Unies et les résolutions du Conseil de sécurité.

Dans ce contexte, les grèves de la faim sont le dernier choix qui reste aux prisonniers ! Les grèves de la faim peuvent faire la différence et attirer l’attention et le soutien au niveau international.

C.P : Une dernière question : pour intensifier ce soutien au niveau international, la campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) est-elle une initiative à développer et un exemple à suivre ?

Prof. Barghouthi : Je pense que, tant que nous sommes sous occupation, nous continuerons à chercher des moyens différents pour notre libération. La campagne BDS est l’une de ces moyens. Le boycott international est très important, et par exemple, le rôle des associations et des syndicats universitaires occidentaux est très utile.

La résistance par des moyens non-violents est un autre moyen de confrontation avec les occupants.

25 décembre 2016 – Propos recueillis et traduits par Chronique de Palestine