Israël et A comme apartheid

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Le Mur d'apartheid - Photo: Alan Ireland
John ReynoldsC’est de l’Afrique du Sud que le mot apartheid a d’abord retenti haut et fort.

Hendrik Verwoerd, décrit par beaucoup comme principal architecte de l’apartheid, était le propagandiste du Parti National d’extrême droite, son stratège politique et, finalement, son dirigeant. En 1961, tandis qu’il était premier ministre d’Afrique du Sud, il remarqua qu’Israël s’était implanté sur la terre « prise aux Arabes après que les Arabes y eurent vécu un millier d’années. » Il entendait exprimer son approbation et souligner la cause commune du sionisme et des pionniers afrikaners ; « En cela, je suis d’accord avec eux. Israël, comme l’Afrique du Sud, est un état d’apartheid. »

M. Verwoed a pu faire ce diagnostique bien qu’il soit mort avant de pouvoir constater la brutalité de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza après 1967. Les bases de l’apartheid d’Israël furent posées en dépossédant les Palestiniens en 1948. Elles furent renforcées par la mise en place immédiate de structures constitutionnelles coloniales qui ont bétonné l’exclusion des colonisés.

Depuis, la loi et la politique israéliennes n’ont fait que renforcer l’appareil étatique de séparation et de ségrégation, de discrimination et de domination. Au cours des ans, d’innombrables militants, d’auteurs et d’artistes, ainsi que des personnalités anti –apartheid d’Afrique du Sud, ont qualifié la version spécifique de discrimination israélienne comme étant apparentée à l’apartheid. Au cours de la dernière décennie, des juristes internationaux ont aussi commencé à faire de même, mais en se référant à la définition de l’apartheid selon le droit international plutôt que par analogie à l’Afrique du Sud.

Rapport d’une commission régionale de l’ONU

Cette semaine, un rapport commandé et publié par la Commission sociale et économique des Nations Unies pour l’Asie occidentale (CSEAC) a conclu qu’ « Israël a instauré un régime d’apartheid qui domine le peuple palestinien dans sa totalité ». Selon le rapport, le régime israélien régissant les Palestiniens est un régime racial de domination institutionnalisée – l’essence même de la définition juridique internationale de l’apartheid. Le maintien du caractère constitutionnel exclusif d’Israël en tant qu’état du peuple juif a induit « une fragmentation stratégique du peuple palestinien. » Il a entrainé l’expulsion des réfugiés palestiniens condamnés à l’exil, la discrimination envers les Palestiniens en Israël en en faisant des citoyens de seconde zone, l’oppression des Palestiniens sous occupation ; tout ceci par le biais d’un ensemble concerté de lois, mesures politiques et pratiques qui forgent ‘une politique d’apartheid globale’.

Cette conclusion constitue une innovation dans le contexte de l‘analyse onusienne d’Israël/Palestine. Des organes spécialisés de l’ONU – comme le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et le Rapporteur spécial pour la Palestine du Conseil des Droits de l’Homme – ont au cours des dernières années qualifié la politique et le droit israélien de ségrégation raciale et d’apartheid. Cette catégorisation se limitait, toutefois, géographiquement à l’occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza – comme distincte de l’intérieur d’Israël lui-même, ou de la relation d’Israël avec le peuple palestinien dans son ensemble.

C’était une distinction quelque peu nécessaire dans la mesure où l’ONU avait coutume d‘analyser les territoires palestiniens occupés et Israël comme deux entités séparées au regard du droit international. Mais c’était aussi à certains égards une distinction artificielle. Ce qui vaut la caractérisation d’apartheid à la situation en territoire occupé est principalement dû au système juridique séparé et préférentiel appliqué aux colons israéliens – un juridisme hiérarchique qui est au cœur de la constitution d’Israël lui-même. Les lois sur la citoyenneté, la résidence et la regroupement familial, de même que le droit au logement, à la terre, à l’aménagement, tels qu‘appliqués en Israël favorisent les citoyens israéliens juifs au détriment des Palestiniens. Ces lois trouvent leur prolongement en Cisjordanie pour y poursuivre la stratification de la population. Les colonisateurs vivant dans les colonies bénéficient d’un statut juridique et de privilèges auxquels n’a pas droit la population palestinienne du même territoire.

Des différences existent bien sûr dans la façon dont la discrimination d’Israël à l’égard des Palestiniens s’applique – selon qu’ils résident à l’intérieur d’Israël, en territoire occupé, ou en exil. Le point crucial que souligne le rapport de l’ONU, toutefois, c’est qu’il faut néanmoins comprendre ceci comme un régime institutionnel global unique qui pratique la discrimination à l’encontre du peuple palestinien dans son ensemble.

Qu’un rapport d’une Commission de l’ONU exprime ceci si explicitement, et qualifie Israël d’« état racial », revêt une signification particulière. Un tribunal populaire, le Tribunal Russel sur la Palestine, est parvenu à des conclusions similaires dès 2011. La dynamique que cette analyse a créée au sein des cadres officiels de l’ONU depuis lors montre qu’il est possible d’élaborer un droit international à partir du bas – qui ne craigne pas de confronter les réalités d’un état dans lequel une extrême droite puissante produit à la pelle une législation de plus en plus discriminatoire.

Bien que la conclusion du rapport repose sur la définition juridique de l’apartheid, la Commission elle-même n’a pas l’autorité d’un tribunal international. La Cour de justice internationale et le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale sont eux des acteurs compétents lorsqu’il s’agit de déterminer la responsabilité de l’état d’Israël dans l’exercice d’un régime d’apartheid illégal. La Cour internationale de justice, elle, a compétence pour déterminer la responsabilité pénale de chaque fonctionnaire israélien pour la perpétration d’actes d’apartheid, constitutifs de crimes contre l’humanité. Toute décision rendue par ces derniers et d’autres institutions juridiques peut venir nourrir la réflexion des organes politiques onusiens investis de la capacité d’imposer des sanctions et l’embargo des ventes d’armes, comme ce fut (finalement) le cas pour l’Afrique du sud de l’apartheid. Dans ce contexte, le rapport offre un tremplin potentiel à de nouvelles évolutions dans l’arène politique de l’ONU.

L’ONU et l’Afrique du Sud de l’apartheid

Un porte-parole de l’ONU a dit que « le rapport tel qu’il est ne reflète pas l’opinion du Secrétaire Général ». Le rapport ne pas prétend parler au nom de l’ONU dans son ensemble. Il reflète, toutefois, les opinions d’une commission régionale de l’ONU, constituée de dix-huit états membres d’Afrique du Nord et d’Asie occidentale. Et il est à ce stade important de se souvenir de la genèse des sanctions contre l’Afrique du Sud et de l’embargo sur la vente d’armes à ce pays décidés par l’ONU : elle s’est développée du bas vers le haut et de la périphérie vers le centre, et non de la tête vers la base ni du centre vers le pourtour. Les états du tiers monde ont mené la charge contre l’apartheid pendant de nombreuses années en opposition à la résistance occidentale et son soutien à l’Afrique du Sud. C’est en 1952 qu’un groupe de treize états arabes et asiatiques ont réussi pour la première fois à mettre à l’ordre du jour de l’Assemblée Générale de l’ONU ‘La question de conflit racial comme produit des politiques d’apartheid’. Il a fallu encore 25 ans – après des abstentions et vétos multiples de la part de la Grande Bretagne, de la France et des États-Unis, et un mouvement social mondial croissant contre l’apartheid – avant que le Conseil de Sécurité n’impose finalement un embargo obligatoire sur la vente d’armes à l’Afrique du Sud.

Dans la conjoncture actuelle, l’importance que revêt le rapport publié cette semaine dépasse la situation en Israël/Palestine. Le Parti National de M. Verwoerd n’est pas le seul mouvement politique suprématiste blanc à avoir perçu l’attrait des structures constitutionnelles d’Israël. Le mouvement de l’ « Alt-Right » aux Etats-Unis est fondé sur un nationalisme blanc qui intègre un discours antisémite très réel et l’intimidation dans sa multiplicitérG04G0iDrGSUeSXjOFmetdJP de racismes. Et dans le même temps, il admire les politiques d’exclusion d’Israël. Richard Spencer décrit le projet de l’alt-right comme « une sorte de sionisme blanc » et avance, comme l’a noté Omri Boehm, que la politique ethnique d’Israël constitue la base d’une cohésion identitaire forte que l’alt-right vise à émuler aux États-Unis.

Maintenant que l’alt-right a mis un pied à la Maison Blanche, il est impératif de réfléchir sérieusement à la nature d’apartheid de l’ordre constitutionnel d’Israël et à la façon d’amplifier des alliances et la solidarité antiracistes par-delà les frontières. On peut, bien sûr, voir un parallèle entre les politiques frontalières de longue date d’Israël et le décret Trump/Bannon interdisant (aux ressortissants de pays musulmans) l’entrer aux États-Unis, qui survient à un moment où Israël adopte une nouvelle législation visant à interdire l’accès de son territoire aux partisans du boycott. Dans ce contexte, l’appel lancé par le rapport de la CSEAC aux états membres et à la société civile à soutenir et « élargir le soutien à des initiatives de boycott, désinvestissement et sanctions » est une autre démarche politique significative.

* John Reynolds enseigne le droit international à la National University of Ireland, Maynooth.

17 mars 2017 – Counterpunch – Traduction : Chronique de Palestine – MJB