Le long article d’Epstein Elias sur les Juifs iraniens de Bat-Hen est intéressant. Certaines parties, en fait, sont réconfortantes. Pourtant, malgré l’absence d’évidences, l’histoire est entièrement formatée dans le langage de la peur.
Sous le titre : “Tous les Juifs vivent dans la crainte que leurs téléphones soient surveillés”, l’histoire de “Israël Hayom” veut nous persuader de l’idée que, bien que les Juifs iraniens semblent généralement contents de leur sort en Iran en tant que groupe économiquement privilégié, en quelque sorte, ils auraient toujours peur.
Ou peut-être, Israël a-t-il besoin d’avoir peur, malgré le fait que les juifs iraniens interrogés dans l’article aient exprimé peu ou pas de sentiment de peur du tout.
L’un d’entre eux est nommé “M”, et comme d’autres avant lui, il déclare : “Je ne me suis jamais senti attaqué parce que j’étais juif, ni que ma liberté religieuse était remise en cause”.
Son récit est positif, sinon même un modèle encourageant de coexistence.
Par exemple, “M” a encore dit: “J’ai un bon ami, un musulman, qui s’occupe de moi. Il m’emmène chez le médecin, et même au cinéma et au parc, et il m’invite pour les repas. Tout le monde est très bien à moi et m’aide. Avant de tomber malade, j’avais beaucoup d’argent. Les médicaments en Iran sont bons, un peu chers, mais ils peuvent être obtenus avec une assurance privée et une assurance gouvernementale”.
Pourtant, l’idée de la peur est poussée intentionnellement par le journaliste israélien, sans véritable justification.
En se référant à ‘M’, Elias écrit: “Comme d’autres, (“M”) est prudent lorsqu’il s’agit de parler de la situation politique, du programme nucléaire ou de la crainte d’une attaque”.
Mis à part le fait qu’Israël Hayom sert, avec d’autres médias israéliens, de plate-forme majeure pour la lutte contre la peur, un phénomène collectif en Israël est qu’il impératif d’avoir peur, et que ce sentiment se doit d’être partagé par les communautés juives du monde entier.
On pourrait en fait soutenir que la “peur” en Israël est une industrie d’État. Cela aide le gouvernement à justifier ses dépenses militaires. Cela aide les militaires à justifier leurs guerres. Et cela favorise également la montée en force des partis de droite, religieux et fascisants qui maintenant dominent Israël.
Dans un sens, il s’agit d’une histoire ancienne et qui se poursuit aujourd’hui.
Lorsque Israël a été créé en 1948, il a appelé tous les Juifs à “retourner” à l’État juif, car ils pourraient ne pas être en sécurité ailleurs. Alors que de nombreux immigrants juifs au fil des années sont venus en Israël en quête d’opportunités économiques, beaucoup l’ont fait sous l’emprise de la peur.
Cette mentalité n’a pas changé. Après les attentats commis à Paris en janvier 2015, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a appelé tous les Juifs français à migrer vers Israël.
“Nous disons aux Juifs, à nos frères et sœurs: Israël est votre foyer et celui de tout Juif. Israël vous attend les bras ouverts”, déclarait Netanyahou.
La déclaration a été fortement critiquée par les officiels français. Beaucoup ont été choqués d’un tel opportunisme lors d’un des moments les plus difficiles en France depuis de nombreuses années.
Mais pour Netanyahou, comme pour les dirigeants israéliens passés et présents, inciter ou capitaliser sur les craintes juives n’est rien de nouveau.
Cependant, colporter la peur est maintenant beaucoup plus sophistiquée et profondément intégrée dans les relations entre l’État et la population juive israélienne. Cette pratique a été tellement intériorisée qu’Israël est incapable de voir les craintes légitimes des Palestiniens et ne voit que ses propres peurs auto-suggestives.
Une histoire particulièrement révélatrice a été rapportée dans les médias israéliens plus tôt ce mois-ci, lorsque des policiers israéliens ont expliqué à un groupe d’écoliers “comment tuer un assaillant palestinien et s’assurer qu’il est mort”.
Certes, l’événement qui a eu lieu à Ramat HaSharon le 8 mai n’a pas été bien accueilli par tous les parents, mais c’est néanmoins un exemple de la préparation à la peur qui commence à un très jeune âge.
Commentant l’histoire, Jonathan Cook écrit : “La moitié des écoliers juifs croient que ces Palestiniens, soit une personne sur cinq de la population, ne devraient pas pouvoir voter aux élections”.
C’est donc le résultat souhaité d’une telle méthode, alimentée constamment par l’État. Cook ajoute: “Ce mois-ci, le ministre de la Défense, Avigdor Lieberman, a qualifié les représentants de la minorité arabe de ‘Nazis’ du parlement et a suggéré qu’ils devraient subir un sort similaire”.
L’utilisation du mot ‘nazis’ n’est pas seulement une description largement inexacte, mais une telle terminologie est conçue pour remuer constamment les craintes passées pour atteindre des objectifs politiques s’appuyant sur une vision raciste du monde.
Oui, les Israéliens sont manipulés pour avoir très peur. Mais contrairement aux Palestiniens occupés et opprimés, la peur israélienne est auto-induite, et le résultat d’un sentiment inhérent d’insécurité collective qui est constamment alimenté par le gouvernement, les partis politiques et les institutions officielles.
Malgré le budget militaire massif d’Israël, les armes nucléaires et l’expansion territoriale aux dépens des Palestiniens et d’autres voisins arabes, le sentiment d’insécurité engendré continue de croître à la même vitesse que ses aventures militaires.
C’est un cercle vicieux.
Lorsque Netanyahou, par exemple, a tracé une ligne rouge sur le dessin d’une bombe lors d’un discours devant l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2012, il a avant fixé un nouveau paramètre de peur pour sa propre société.
Yoav Litvin, un médecin américano/israélien de psychologie et de neurologie comportementale, a écrit de manière convaincante sur le sujet.
Son article intitulé “L’indépendance du jour de Nakba – Responsabilité et guérison en tant qu’agresseur israélien”, critique le récit sioniste, expliquant comment de telles idées profondément enracinées d’une victimisation éternelle ont mené Israël à la situation actuelle d’agression permanente et d’une société hautement militarisée.
“Nous voyons cette perspective représentée par une longue ligne de gouvernements israéliens agressifs, exclusifs, expansionnistes et militaristes qui inculquent et potentialise la peur afin de contrôler l’opinion publique et faciliter ses objectifs politiques et économiques”, écrit-il.
“Ce faisant, le récit de la victime juive, une forme de trouble de stress post-traumatique collectif (PTSD), soutient le niveau d’agression et d’oppression qui fait partie de la vie quotidienne dans la réalité de l’occupation”.
Dans le journal Haaretz, Daniel Bar-Tal transmet un sentiment similaire. Cependant, pour Bar-Tal, le récit sioniste est lui-même conçu, en partie, pour répondre aux croyances existantes relatives à une expérience juive collective.
Bar-Tal relève que “Les croyances sociales, vis-à-vis de la sécurité, en Israël sont fondées sur l’expérience passée et sur l’information diffusée par divers canaux et institutions, que ce soit en ce qui concerne le conflit avec les Palestiniens ou les relations avec d’autres acteurs de la Région”. Mais tout aussi important, “chaque membre de la société est également exposé à la mémoire collective du peuple juif, au moyen d’institutions sociales, éducatives et culturelles”.
Le récit sioniste a délibérément transformé les “expériences passées” en nouveaux objectifs politiques et en une idéologie expansionniste en exploitant le soutien du peuple juif, en Israël et ailleurs. Il les a convaincus que leur survie même dépend de l’assujettissement des Palestiniens.
Ce cercle vicieux est ainsi devenu un obstacle à toute paix fondée sur la justice et le respect du droit international et des droits de l’homme.
Le récit sioniste, défendu par Netanyahu et Lieberman ne laisse la place à aucun compromis, et pour que cette idéologie soit maintenue, la peur en Israël doit être constamment distillée.
Mais ce bastion de la peur doit être brisé.
Litvin écrit courageusement: “Nous, en tant israéliens, devons rompre le lien parasite que la propagande sioniste a créée entre le récit collectif israélien/sioniste (l’État) et nous-mêmes afin que la dissidence soit à la fois légitime et même patriotique comme moyen de construire un système inclusif et une société juste en Israël/Palestine”.
En fait, il ne peut y avoir d’autre moyen.
* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.
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25 mai 2017 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah