La Jordanie et l’Égypte resserrent l’étau autour de Gaza

Rafah
Attente sans fin au poste frontière de Rafah - Photo : Ezz Al Zanoon/Activestills.org

Par Pam Bailey

L’Égypte et la Jordanie viennent, comme Israël, de restreindre durement la libre circulation des Palestiniens de Gaza, rendant leurs conditions de vie encore plus difficiles, écrit Pam Bailey.

Gaza est depuis longtemps surnommée “la plus grande prison du monde” – du fait des étroites restrictions israéliennes concernant l’entrée et la sortie du territoire pour ses 1,8 million d’habitants. Mais ces derniers temps, les autorités jordaniennes et égyptiennes appliquent des mesures similaires à celles du gouvernement israélien, renforçant ainsi davantage l’isolation des Gazaouis.

Depuis le mois de septembre, la Jordanie a rejeté systématiquement la plupart des demandes de visa posées par des Palestiniens de Gaza souhaitant se rendre à Amman pour s’envoler vers une autre destination (puisque les Palestiniens sont rarement autorisés à voyager depuis l’aéroport Ben Gourion en Israël) et depuis que l’Égypte maintient sa frontière fermée, de nouveaux rapports indiquent que des Palestiniens sont désormais contraints de payer des pots de vin s’élevant à plus de 6000 dollars afin de faire partie des rares « privilégiés » autorisés à sortir de Gaza.

Jordanie

“Nous avons le regret de vous informer que votre demande a été refusée ». Depuis août 2015, cette réponse du gouvernement jordanien a été reçue par quasiment tous les Palestiniens de Gaza ayant demandé une lettre de « non-objection ». Cette lettre est requise si un Palestinien souhaite entrer en Jordanie depuis la Cisjordanie pour prendre l’avion à Amman et se rendre dans un autre pays.

Selon le Centre Juridique pour la liberté de circulation (Gisha) basé en Israël, ses clients recevaient auparavant des permis de transit assez aisément. Shadi Butthish, son porte-parole, affirme que très peu de ces demandes faisaient l’objet d’un refus.

La situation a toutefois brutalement changé. Par exemple, entre août 2015 et la fin du mois de janvier, Gisha a reçu 58 demandes d’aide de personnes à qui on a refusé des lettres de non-objection, parmi lesquelles on compte 16 requêtes de regroupement familial, 37 étudiants ayant déjà obtenu des lettres d’admission à l’université et des visas pour étudier dans des pays tiers, ainsi que 5 cas de personnes admises dans des conférences et des stages de formation à l’étranger. Les autorités jordaniennes ont rejeté toutes ces requêtes sans aucune explication ou n’ont pas pris la peine d’y répondre, même après des mois d’attente.

“Nous avons demandé aux Jordaniens les chiffres – combien de personnes voyagent aujourd’hui, combien demandent l’autorisation de voyager – mais nous attendons toujours une réponse” déclare Sari Bashi qui dirige le bureau Israël-Palestine de Human Rights Watch. « J’aimerais insister sur le fait que les personnes demandant les lettres de non-objection souhaitent avoir la permission de transiter par la Jordanie, non pas d’y rester. La plupart d’entre eux fournissent, avec leur demande, une copie d’un visa étranger ou d’un permis de résidence ainsi qu’une copie d’un billet d’avion en partance d’Amman.

Les seuls Palestiniens ayant finalement pu s’y rendre en toute légalité semblent avoir des contacts haut placés ou bien participer à des programmes parrainés par des gouvernements ayant de l’influence sur la Jordanie et prêts à intervenir directement, comme les États-Unis et la France. Le rappeur gazaoui Ayman Mghamis a, par exemple, obtenu sa lettre de non-objection et pu se rendre à Amman, grâce aux efforts soutenus du consulat français, afin de donner des concerts organisés par l’Institut Français de Gaza.

Pourquoi la Jordanie ferme-t-elle soudainement la porte à ces Palestiniens ? Personne n’a été en mesure d’obtenir une réponse claire. Le personnel de Human Rights Watch déclare : « Nous entendons officieusement que la Jordanie ne veut pas qu’on lui demande de résoudre le problème « Gaza » ou d’être considérée comme une solution de transit alternative à l’Égypte. »

Une enquête menée par un écrivain membre de We Are Not Numbers (un projet pour la jeunesse que j’ai lancé) révèle cependant que de nombreuses personnes à Gaza – qui ont voulu rester anonymes par peur de représailles – sont convaincues que l’Autorité Palestinienne, dirigée par le Fatah, a demandé aux autorités jordaniennes de refuser l’entrée aux Gazaouis, afin d’accentuer la pression sur le Hamas, son grand rival, qui gouverne dans la bande de Gaza.

Le journal israélien Haaretz a rapporté que le directeur du Comité Palestine du Parlement jordanien a demandé au ministre de l’Intérieur une explication, mais, à ce jour, aucune n’a encore été rendue publique.

“J’ai demandé trois fois une lettre de non-objection aux Jordaniens cette année et ma demande a été rejetée à chaque fois » témoigne Nasha al-Ramlawi, qui a obtenu une bourse en archéologie pour un voyage d’étude d’un mois en Italie. « L’université où j’allais étudier a un laboratoire qui n’a pas d’équivalent ici ainsi que des superviseurs expérimentés » a-t-elle déclaré à l’équipe de We Are Not Numbers. L’université italienne a contacté l’ambassade jordanienne ainsi que l’Autorité Palestinienne à Ramallah, en vain. Ramlawi a perdu sa bourse.

Égypte

Le point de passage de Rafah a longtemps été le principal point de sortie des Palestiniens souhaitant quitter la bande de Gaza. Depuis qu’Abdel Fattah al-Sissi a pris le pouvoir en Égypte en 2014, après un coup d’État militaire, ce passage a été fermé de plus en plus fréquemment et ne permet désormais qu’à seulement huit pour cent de Gazaouis ayant besoin ou désirant voyager de l’emprunter.

Selon le ministère de l’Intérieur de Gaza, les autorités égyptiennes l’ont ouvert en 2015 pendant 21 jours seulement, la circulation étant de surcroît limitée. En 2016, il n’est resté ouvert que quelques jours, en février, mai et juin.
Moins de 4 000 Gazaouis sont généralement autorisés à sortir à chaque fois que le poste-frontière de Rafah est ouvert, bien que plus de 30 000 personnes soient sur liste d’attente. Désespérés de faire partie des quelques chanceux, certains Palestiniens finissent par verser des pots-de-vin.

« J’ai payé près de 2000 dollars un intermédiaire en contact avec les services de renseignement égyptiens » dit un Gazaoui qui souhaite rester anonyme car il a besoin de pouvoir y retourner voir sa famille. « J’ai une bourse que je ne voulais pas perdre, mon futur en dépend. J’ai essayé à de nombreuses reprises [de sortir par Rafah] et les Égyptiens m’ont toujours renvoyé. Je ne sais pas pourquoi ; j’imagine qu’ils veulent pousser un maximum de Palestiniens à payer leur passage. »

Se basant sur la recherche qu’il a menée, il estime que la moitié des Palestiniens qui finissent par sortir par Rafah ont dû verser des pots-de-vin du côté égyptien pour pouvoir passer «  Quelques personnes croient maintenant que le poste-frontière de Rafah n’ouvre pas avant que les autorités égyptiennes se soient assurées qu’assez de gens pour remplir au moins 10 bus ait payé des pots-de-vin » affirme-t-il.

Israël

Selon des informations récentes rapportées par Haaretz, les restrictions de circulation, pour les Palestiniens quittant la bande de Gaza comme pour les importations, ont été renforcées au point de passage d’Eretz, à l’initiative du Shin Bet, les services de sécurité israéliens. Cette décision tranche radicalement avec la politique d’assouplissement des restrictions concernant le commerce palestinien, menée ces six dernières années.

Les plus touchés par ce changement sont les commerçants et importateurs gazaouis, les hauts fonctionnaires chargés des infrastructures et des reconstructions, les docteurs et les chercheurs se formant et passant des examens en Cisjordanie, les malades, ceux dont la famille se trouve à l’étranger et en Cisjordanie ainsi que les personnes travaillant pour des missions diplomatiques et des organisations humanitaires internationales.

Ainsi est Gaza : enfermée de tous côtés par ceux qui contrôlent les frontières terrestres et sans accès à ses eaux territoriales et son espace aérien. Quel meilleur exemple de prison ?

25 juillet 2016 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Malha