La nouvelle guerre d’agression culturelle d’Israël

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Richard Falk a été rapporteur spécial du Conseil des droits de l'homme pour la Palestine occupée entre 2008 et 2014 - Photo : Archives

Par Richard Falk

Mon livre Palestine’s Horizon : Towards a Just Peace est sorti il y a quelques semaines chez Pluto en Grande Bretagne. J’étais alors à Londres et en Écosse pour une série de conférences universitaires dans le cadre du lancement de ce livre. Il se trouve que sa sortie ait coïncidé avec la publication d’un rapport que j’ai co-écrit avec Virginia Tilley à la demande de la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (CESAO), donnant à mes apparitions publiques une notoriété qu’elles n’auraient pas eu autrement. La conclusion du rapport disait que les preuves relatives aux pratiques israéliennes vis-à-vis du peuple palestinien relevaient de « l‘apartheid », tel que défini par le droit international.

Il y eut une forte contre-attaque de la part de militants sionistes menaçant de causer des troubles. Ces menaces ont dû être suffisamment intimidantes pour les administrations universitaires, si bien que mes conférences à la University of East London et à la Middlesex University furent annulées pour raisons de « santé et sécurité. »

Ces décisions ont peut-être été en partie prises par les autorités administratives sachant qu’une conférence que j’avais donnée auparavant à la LES (London School of Economics) avait en effet été passablement perturbée pendant la phase d’échange, à tel point que le personnel de sécurité de l’université avait dû faire sortir deux personnes du public qui criaient des noms d’oiseaux, avaient déployé un drapeau israélien, s’étaient levées et avaient refusé de s’asseoir à la demande polie du modérateur.

Au cours de toutes ces années où j’ai pris la parole en public sur divers sujets partout dans le monde, il ne m’était jamais arrivé qu’une conférence soit annulée, bien que des pressions similaires aient assez fréquemment été exercées sur les administrations universitaires, mais généralement du genre menace de représailles financières si on me permettait de parler.

Ce qui s’est passé en Grande Bretagne s’inscrit dans un effort de plus en plus violent de la part de militants pro-Israël pour empêcher tout débat en se livrant à un comportement perturbateur, mettant en péril la sécurité, et en diffamant les orateurs considérés comme critiques d’Israël, les qualifiant « d’antisémites, » et dans mon cas personnel de « juif se haïssant soi-même, » voire de juif qui a le dégoût de soi.

De retour aux États-Unis, j’ai été confronté à une nouvelle tactique. Les mêmes personnes qui avaient causé des perturbations à Londres, de toute évidence avec des camarades dans le même état d’esprit, ont écrits des commentaires de mon livre violemment désobligeants sur le site web d’Amazon aux États-Unis et au Royaume-Uni, lui attribuant la plus basse note possible. Ceci inquiéta mon éditeur qui fit remarquer que la façon dont un livre est évalué sur Amazon influence directement les ventes.

J’ai mis un message sur ma page Facebook disant que mon livre faisait l’objet d’attaques de cette nature, encourageant mes amis de Facebook à envoyer des commentaires, ce qui eut pour effet de relever temporairement mes appréciations. A leur tour les ultra-sionistes reprirent du service en envoyant des attaques d’une ligne ou deux qui ne faisaient nullement l’effort d’argumenter sur le contenu du livre. De ce point de vue, il y avait une différence qualitative car les commentaires positifs étaient plus sérieux et substantiels.

Cela a été une nouvelle sorte d’expérience négative pour moi. Bien que j’aie publié de nombreux livres au cours de cette ère numérique je n’en n’avais jamais auparavant vu aucun attaqué de la sorte en ligne, dans le but évident de décourager les acheteurs potentiels et de me dénigrer en tant qu‘auteur. En fait, cette campagne constitue une version innovante d’autodafé numérique, et bien que ce ne soit pas visuellement aussi spectaculaire qu’un brasier ses intentions vindicatives sont les mêmes.

Ces deux expériences, les annulations londoniennes et le harcèlement sur Amazon, m’ont amené à réfléchir plus largement à ce qui se passait. Plus importants, et de loin, que mes mésaventures, ce sont des efforts résolus et bien financés pour punir l’ONU, coupable d’efforts pour attirer l’attention sur les violations des droits de l’homme et du droit international par Israël, pour criminaliser la participation à la campagne BDS, et redéfinir et élargir l’antisémitisme, si bien que son désaveu et sa prévention soient étendus à l’antisionisme et même à la critique analytique et universitaire des politiques et pratiques d’Israël, et c’est ce qui fait que je me trouve inclus dans cette sphère d’opprobre en expansion.

Israël sévit contre des ONG humanitaires à l’intérieur de ses propres frontières, refusant l’entrée du pays aux partisans du BDS, et même allant jusqu’à interdire à des touristes étrangers de se rendre en Cisjordanie et à Gaza. Manifestant une unité remarquable les 100 sénateurs états-uniens sans exception ont récemment surmonté l’atmosphère polarisée de Washington en se joignant à l’envoi d’une lettre arrogante au nouveau secrétaire général de l’ONU, António Guterres, exigeant une approche plus amicale, plus “azurante” de l’ONU à l’égard d’Israël, promettant des mesures de rétorsion financières si leurs vues scandaleuses restaient ignorées.

Les plus ardents et plus puissants soutiens d’Israël transforment le débat sur la politique à l’égard d’Israël/Palestine en une guerre d’agression culturelle. Ce nouveau type de guerre a été lancé avec les encouragements et le soutien du gouvernement israélien, et a reçu le soutien idéologique de groupes de pression extrémistes, tels que UN Watch, GO Monitor, AIPAC, et une foule d’autres. Cette guerre culturelle est mise en œuvre au niveau de la rue par des militants incendiaires qui ont recours à des formes de violence symboliques.

Il ne faudrait pas sous-estimer les effets néfastes de cette entreprise sur la liberté d’expression universitaire et la liberté de pensée dans une société démocratique. Des précédents très négatifs se forment dans plusieurs pays occidentaux. Des gouvernements importants collaborent avec des extrémistes pour clore tout débat constructif sur une question politique délicate qui affecte la vie et le bien-être d’un peuple depuis longtemps opprimé.

Il y a deux autres aspects à ces évolutions qui méritent réflexion :

(1) depuis ces dernières années Israël perd la Guerre de Légitimité menée par les Palestiniens, que les think tanks israéliens appellent « le projet de délégitimation, » et ce dénigrement de l’ONU et les diffamations personnelles sont des tentatives désespérées d’un adversaire vaincu sur le plan de la dimension morale et juridique de la bataille pour les droits des Palestiniens. Dans les faits, le gouvernement israélien et ses groupes de soutien ont abandonné tout effort pour répondre sur le fond, et concentrent leurs dernières munitions sur les messagers porteurs de témoignages, et font ce qu’ils peuvent pour saper l’autorité et les capacités de l’ONU afin de discréditer toute initiative concrète

(2) tandis que ce spectacle lamentable pompe l’oxygène des réactions d’une juste indignation, l’attention est détournée du calvaire prolongé, imposé depuis longtemps au peuple Palestinien du fait des politiques et pratiques illégales d’Israël, ainsi que de ses crimes contre l’humanité, sous la forme de l’apartheid, la punition collective, le nettoyage ethnique, et de nombreuses autres. Le véritable scandale institutionnel n’est pas que l’ONU fasse une fixation sur Israël mais plutôt qu’elle soit empêchée de prendre des mesures susceptibles d’exercer des pressions suffisantes sur Israël pour entraîner le démantèlement des structures d’apartheid sur lesquelles il s’appuie pour soumettre, déplacer, et déposséder le peuple palestinien depuis plus de 70 ans, et ceci sans fin en vue.

7 mai 2017 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB