Par Tessa Fox
En Cisjordanie, des fermes et des initiatives d’agroécologie sont développées par des Palestiniens et pour des Palestiniens.
Ramallah, Cisjordanie occupée – La ferme Om Sleiman, dans le village de Bil’in, fait partie d’un mouvement naissant d’agroécologie et d’Agriculture Soutenue par la Communauté (ou ASC) en Cisjordanie occupée.
Selon la saison, la ferme produit du brocoli, du gingembre, du curcuma, du chou frisé et du melon d’eau, ainsi que d’autres fruits et légumes. Elle prétend être la seule ferme de Cisjordanie à cultiver des patates douces biologiques.
Actuellement, Mohab Alami et Yara Duwani, cofondateurs de la ferme, collaborent avec des volontaires et des stagiaires palestiniens dans le domaine de l’agroécologie pour promouvoir les principes de co-création, d’efficacité, de résilience et d’économie partagée.
Alami a déclaré que lui et Duwani avaient choisi Bil’in pour maintenir et renforcer leur tradition de résistance non violente.
Le village a perdu une grande étendue de ses terres au profit d’une colonie israélienne construite à proximité. Sa lutte pacifique et partiellement réussie pour reconquérir cette terre par des manifestations et des recours devant les tribunaux [israéliens] a été largement reprise comme modèle de résilience.
“Je pense que cultiver et vivre dans cette région sont une forme de résistance non violente”, a déclaré Alami à Al Jazeera.
L’agroécologie est une approche de l’agriculture qui tente de minimiser les impacts environnementaux. En Cisjordanie, des fermes et des initiatives d’agroécologie sont développées par des Palestiniens, pour des Palestiniens.
L’un des objectifs de ces petites entreprises est de récupérer la souveraineté alimentaire et de s’éloigner des produits israéliens, omniprésents sur les marchés locaux.
Selon le Bureau central des statistiques de la Palestine, en 2003, 45% de la population palestinienne travaillait dans l’agriculture, y compris l’activité forestière et la pêche. En 2017, le pourcentage avait chuté à 14%.
Sur la Cisjordanie en particulier, les données montrent que 30% de la population travaillait dans l’agriculture en 2013 mais qu’il n’en subsistait que 16% en 2017.
Alami a expliqué que les raisons d’une aussi dramatique diminution étaient multiples, dont les ordres constants de démolition imposés par l’occupant israélien, son contrôle sur les ressources en eau, le harcèlement des colons.
Raya Ziada, cofondatrice de Manjala – une ONG spécialisée dans l’agroécologie et qui a pour objectif de former les Palestiniens à la production alimentaire durable – estime qu’il est important que les Palestiniens ne perdent pas contact avec leur patrimoine agricole.
“Nous [les Palestiniens] étions des agriculteurs. Nous produisions notre propre nourriture”, a-t-elle rappelé à Al Jazeera.
“[Maintenant] nous essayons simplement de renouer avec qui nous sommes, avec notre identité de Palestiniens.”
Des cultures sans produits chimiques
La production de fruits et de légumes sans produits chimiques est au cœur de la philosophie de l’agroécologie.
Les fruits et les légumes israéliens dominent sur la majorité des marchés de la Cisjordanie, même si depuis des années, la quantité de produits chimiques utilisés pour les cultiver est parmi les plus élevées au monde.
En 2012 déjà, Israël avait la plus forte concentration de pesticides dans les aliments parmi les 34 pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques.
L’Union israélienne pour la défense de l’environnement prépare actuellement un projet de loi visant à réduire l’exposition aux pesticides en Israël, affirmant que le pays est loin de respecter les normes internationales acceptables.
Tareq Abulaban, directeur général du marketing au ministère palestinien de l’Agriculture, a déclaré que les fruits et légumes frais israéliens sont produits principalement pour être exportés vers les marchés de l’Union européenne, les produits rejetés aboutissant parfois sur le marché palestinien.
“Les produits n’accédant pas aux marchés d’exportation sont commercialisés sur le marché israélien”, a-t-il déclaré dans un communiqué. “Les niveaux de qualité rejetés, y compris ceux contenant un excès de produits chimiques, sont déversés à bas prix sur le marché palestinien.
“Le marché palestinien paie le double prix pour ce dumping. D’une part, cela affecte la santé des Palestiniens et d’autre part, cela nuit aux produits palestiniens sur le marché intérieur”, a-t-il ajouté.
Une économie solidaire
L’économie solidaire est l’un des 10 éléments de l’agroécologie et est extrêmement importante pour la souveraineté alimentaire des Palestiniens – c’est-à-dire les Palestiniens qui achètent des produits palestiniens.
Ziada de Manjala pense que le moyen le plus simple de contrôler un pays consiste à contrôler sa production alimentaire.
“Si nous voulons avoir un projet de libération, la base est de commencer à produire notre propre nourriture”, dit-elle, ajoutant que les Palestiniens ressentaient un sentiment de fierté en mangeant des aliments produits par des Palestiniens.
Mais l’offre immédiate de fruits et de légumes israéliens bon marché fausse les prix du marché, empêchant ainsi les petits producteurs palestiniens de faire face à la concurrence sur les marchés de Cisjordanie.
En conséquence, les agriculteurs palestiniens qui cultivent des produits biologiques ou respectent les principes de l’agroécologie, vendent souvent par l’intermédiaire d’organisations spécialisées.
La ferme Om Sleiman exploite par exemple un système de livraison hebdomadaire de paniers, fournissant une variété de produits de saison aux familles palestiniennes.
Selon la quantité retenue, les clients paient environ l’équivalent de 250 dollars au début de chaque saison.
Adel, qui signifie “juste”, est un groupe palestinien qui relie les producteurs de l’agroécologie aux consommateurs.
Travaillant avec plus de 450 producteurs, Adel forme les agriculteurs à l’agroécologie, en particulier ceux dont les terres risquent d’être confisquées par l’occupant, et gère la commercialisation et la distribution.
L’organisation a créé ses propres marchés hebdomadaires à Beit Jala et à Ramallah, ainsi qu’un magasin ouvert tous les jours et situé à côté du barrage militaire de Qalandia.
Reema Younis, directrice chez Adel, estime que les consommateurs achètent des produits agro-écologiques palestiniens pour diverses raisons.
“Ils veulent acheter pour leur santé et s’éloigner des produits chimiques, et d’autres achètent parce qu’ils croient en une économie solidaire”, a déclaré Younis à Al Jazeera.
“Nous pensons que les Palestiniens méritent de consommer ces produits … sans produits chimiques ni conservateurs”, a expliqué Younis.
“Expérience collective”
Ziada de Manjala a décrit le travail des organisations d’agroécologie dans les communautés palestiniennes comme une “expérience collective en cours”.
Elle utilise le mot arabe Aouna, qui signifie “aide”, bien qu’il soit lié aux liens sociaux dans le patrimoine agricole et à la façon dont les gens s’entraideraient pendant les récoltes et les plantations.
L’une des activités utilisées par les groupes pour diffuser des connaissances sur les pratiques durables consiste à fabriquer des “boulettes de graines”, une technique particulièrement reprise par les jeunes générations.
Manjala organise également des réunions dans les fermes, dans l’espoir que les participants associent l’agriculture au contexte social et politique plus large qui entoure l’agriculture.
“Lorsque vous parlez de terre et de sol, c’est important (…) surtout pour les Palestiniens de ressentir ce lien, car au final, le conflit [et l’occupation] concernent la terre”, a conclu Ziada.
15 février 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine