L’évolution de la relation entre Israël et l’Arabie saoudite devrait devenir une caractéristique clé de la politique régionale dans la phase à venir. Cela va de la normalisation à marche forcée des relations entre les deux parties et la tenue de contacts discrets, jusqu’à la formation d’une alliance non déclarée mais de grande envergure.
Le général saoudien à la retraite Anwar al-Eshki a fait des révélations sur cette question lors d’une interview la semaine dernière sur la chaîne de télévision allemande Deutsche Welle, dans laquelle il a traité un certain nombre de questions restées jusque là sans réponses : avant tout, la raison pour laquelle l’Arabie Saoudite a été si tenace à propos des îles de la mer Rouge de Tiran et Sanafir, voulant rapidement un transfert de souveraineté de la part de l’Égypte.
Eshki a clairement indiqué qu’une fois que l’Arabie saoudite assumerait la souveraineté sur les deux îles, elle respecterait les Accords de Camp David et que l’accord de paix égyptien-israélien de 1979 – qui avait mis l’Égypte à l’écart du monde arabe et de la cause palestinienne et a mené à l’ouverture d’une ambassade israélienne au Caire – cesserait d’être un accord purement bilatéral.
Le général, qui a été le chef de file de l’Arabie saoudite dans son processus de normalisation avec Israël, a expliqué que le nouvel accord de démarcation de la frontière maritime avec l’Égypte place les deux îles dans les eaux territoriales du royaume. L’Égypte et l’Arabie saoudite partageront donc le contrôle sur le détroit de Tiran par lequel passent les navires israéliens alors qu’ils naviguent dans et hors du golfe d’Aqaba, et le royaume établira de fait une relation avec Israël.
Certes, Eshki a également déclaré que la normalisation des relations saoudiennes avec Israël était subordonnée à ce que cette dernière accepte l’Initiative de paix arabe de 2002. Mais il a également parlé d’une initiative de paix israélienne qui “contournerait” ce plan. Selon lui, il serait question de la création d’une confédération qui relierait les territoires palestiniens occupés – il n’a pas précisé comment ou à qui – tout en reportant la discussion sur le sort de Jérusalem.
Eshki a également profité de l’interview pour confirmer ce que le Premier ministre israélien Binyamin Netanyahu a souvent répété : l’Arabie saoudite ne considère pas Israël comme un ennemi. Il a soutenu que ce point de vue est partagé par les Saoudiens ordinaires, et que cela se reflète dans leurs tweets et leurs commentaires sur les médias sociaux, où ils soulignent qu’Israël n’a jamais attaqué le royaume et n’est donc pas son ennemi. Ces citoyens [saoudiens] appuieraient donc la normalisation des relations avec Israël.
Eshki n’est pas un décideur, mais un porte-parole. Il a été soigneusement sélectionné pour dire ce qu’il a dit et en faire la publicité. Pour comprendre ce que ses mots ont comme objectif – et comprendre les principales caractéristiques du nouveau schéma de normalisation qui se déroule rapidement -, il suffit de paraphraser les déclarations du ministre israélien de la Défense, Avigdor Lieberman : la normalisation entre les États arabes et Israël devrait être atteinte en premier, puis suivi d’une paix palestino-israélienne. Israël ne peut pas accepter une situation dans laquelle la normalisation avec les États arabes dépendrait de la résolution de la question palestinienne. Après tout, Israël a signé des accords de paix avec l’Égypte et la Jordanie sans mettre fin au conflit avec les Palestiniens.
Le chef de la commission de la défense et de la sécurité nationale du parlement égyptien, le général Kamal Amer, a souligné le fait que la remise de Tiran et Sanafir impliquaient l’Arabie saoudite dans les accords de Camp David et à toutes les obligations qui en découlent.
La conclusion à en tirer est que le but principal de cette précipitation pour placer les deux îles sous souveraineté saoudienne était d’accélérer le rythme de la normalisation entre Israël et l’Arabie Saoudite et de “légitimer” leur alliance en cours de réalisation. Après tout, l’Arabie Saoudite possède d’innombrables îles négligées tout au long de ses côtes de la Mer Rouge et du Golfe. Elle n’a pas besoin de deux autres affleurements de taille réduite, stériles et inhabités. Même si c’était le cas, elle s’en est privée pendant les 50 ans où ces deux îles étaient sous occupation israélienne ou protection égyptienne. Elle aurait pu sans problème attendre et remettre cette question épineuse à dix, vingt ou cent ans plus tard, afin d’éviter d’embarrasser le gouvernement égyptien et d’irriter le peuple égyptien.
La mise en scène du gouvernement saoudien pour la normalisation avec l’État sioniste est déjà en bonne voie et a progressé.
Après les visites “académiques” d’Eshki en Israël et les rencontres sécuritaires du premier responsable du renseignement, le prince Turki al-Faisal, nous avons commencé à voir des analystes saoudiens apparaître à la télévision israélienne. La prochaine étape sera sans doute que les ministres et les princes saoudiens fassent de même.
Concernant les “citoyens saoudiens” qui selon Eshki ont affiché leur soutien à une normalisation avec Israël au motif que ce pays n’a jamais attaqué leur pays, sont en service commandé dans l’armée électronique saoudienne. Ils sont des milliers et ils travaillent sous les auspices des services de renseignement et de la police. L’écrasante majorité des Saoudiens s’oppose à toute forme de normalisation avec l’état de l’occupation, pour des raisons religieuses, nationalistes arabes, patriotiques et morales. Nous n’en avons absolument aucun doute. Mais nous pouvons imaginer la pression que les Saoudiens subissent quand un simple tweet exprimant de la sympathie pour le Qatar ou la moindre critique du plan officiel “Vision 2030” peut coûter au tweeter 15 ans d’emprisonnement ou une amende de 250 000 dollars…
Selon Haaretz et d’autres médias israéliens, le prince héritier Muhammad bin-Salman, qui dirige le processus de normalisation et d’alliance avec Israël, a visité Jérusalem occupée en 2015. Il a également tenu des réunions régulières avec des responsables israéliens, plus récemment encore à l’occasion du sommet arabe tenu à Amman en mars dernier.
Il n’y a pas longtemps, Riyadh a accueilli le journaliste américain Thomas Friedman. (Peut-être que c’était une récompense pour son commentaire après les attentats du 11 septembre selon lesquels les États-Unis auraient dû envahir l’Arabie saoudite – la véritable source de terrorisme – plutôt que l’Irak en représailles…) Friedman a rencontré un certain nombre d’officiels avant d’obtenir une longue entrevue avec Muhammad bin-Salman. Il a signalé par la suite qu’à aucun moment lors de la rencontre de cinq heures, le prince n’a prononcé le mot “Palestine” ou n’a mentionné le conflit israélo-arabe.
Mais je défie quiconque de trouver un seul exemple où l’homme fort saoudien ait fait référence à la “Palestine” dans ses interviews télévisées…
Pendant ce temps, la priorité a été accordée à l’étouffement des voix arabes – que ce soit sur les médias sociaux ou dans les médias conventionnels – qui s’opposent à cette alliance israélo-saoudienne et dénoncent ses objectifs, ses implications et ses conséquences prévisibles. L’exigence de Riyad de la fermeture de la chaîne Al-Jazeera confirme que la guerre que l’Arabie saoudite mène actuellement n’est pas contre le “terrorisme” mais contre les médias critiques et libres.
Nous aussi sommes une cible dans cette guerre, sous le coup d’une attaque furieuse par l’armée électronique saoudienne et d’une vicieuse et délibérée campagne de diffamation. Tout ce que l’on peut dire en réponse est de citer le dicton : “Le lâche meurt chaque jour, le brave ne meurt qu’une fois !”.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
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2 juillet 2017 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine