Par Abdel Bari Atwan
Il ne fait aucun doute que le mouvement Hamas a commis des erreurs à Gaza. Il a dirigé la bande de Gaza de manière partisane et sectaire, en faisant appel à ses loyalistes et en s’aliénant ses opposants, voire même ceux qui étaient neutres. Il s’est ainsi donné une longue ligne d’adversaires : cela commence à l’intérieur de Gaza avec les opposants locaux qui appartiennent au mouvement Fatah et certains groupes islamistes radicaux opposés au maintien du calme ; puis cela passe par Ramallah où l’Autorité palestinienne (AP) veut reprendre la mains sur la bande de Gaza à ses propres conditions, la principale étant de désarmer la résistance; et cela se termine à Tel-Aviv, où l’État israélien d’occupation est de plus en plus inquiet de la résistance armée de Gaza, des missiles et des manifestations de masse.
Malgré tous ces défis, rien ne peut justifier la façon très laide, insultante et brutale avec laquelle la police du Hamas a traité les manifestants alors que ceux-ci cherchaient à exprimer leur colère face à la dégradation des conditions de vie dans le territoire sous blocus. Ces manifestants utilisaient des moyens purement pacifiques pour protester contre les impôts et les taxes qui pèsent sur eux, l’inflation qui rendre la vie impossible et, plus important encore, le taux de chômage des jeunes de 60% ou plus qui les incite à prendre la mer et à risquer leur vie pour tenter de migrer.
Le Hamas a raison de dire qu’il est confronté à un complot aux multiples facettes visant à remettre en cause son pouvoir à Gaza en déstabilisant le territoire et en le faisant exploser de l’intérieur. Le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, et ses assistants ne cachent pas leur intention d’atteindre cet objectif en multipliant les pressions sur les habitants de la bande de Gaza. C’est la raison pour laquelle ils ont largement rogné sur les salaires des fonctionnaires – y compris les partisans du Fatah -, forcé des milliers de personnes à prendre une retraite anticipée et cessé de payer la facture de carburant de la seule centrale électrique de la bande côtière. Israël – confronté à des missiles de plus en plus efficaces, des ballons et des cerfs-volants incendiaires, des Marches du retour et des dommages croissants à sa réputation internationale – est naturellement le principal comploteur.
Chaque fois que j’appelais des parents ou des amis dans la bande de Gaza, quelle que soit leur conviction politique, ils se plaignaient de moments difficiles et de la difficulté à joindre les deux bouts. Mais tous, même les partisans du Fatah, étaient d’accord sur un point : le Hamas avait instauré la sécurité et mis fin à l’anarchie qui régnait avant sa prise du pouvoir par son célèbre coup de force de 2007.
La bande de Gaza n’est ni l’Algérie, ni la Libye ni même le Soudan appauvri. Il n’y a pas de puits de pétrole ou de gaz, pas d’agriculture, pas d’industrie et même pas d’eau. Plus de deux millions d’âmes y vivent, la majorité dans des camps de réfugiés, enfermés dans une grande prison de près de 150 km2. Il existe de plus grands parcs publics dans certains pays européens. Mais cette prison n’a pas d’arbres, ou très peu, à cause de la densité de ses logements de béton.
Il faut admettre que le Hamas est soumis à un siège financier suffocant qui l’a laissé en ruine. Il ne peut plus payer les salaires, ni même le quart des salaires de ses employés ou des membres de ses forces de sécurité ou de sa branche militaire. Il est naturel que cette douloureuse situation affecte l’ensemble de la population de la bande de Gaza, où tous sont égaux en pauvreté, face à la faim, aux besoins et aux souffrances.
Mais cela ne saurait excuser la police du Hamas qui frappe brutalement les manifestants, femmes et jeunes compris, avec des gourdins. Il s’agit des enfants, des frères et sœurs et des cousins des combattants de la résistance des Brigades al-Qassam, des participants aux manifestations de la Marche du Retour, des martyrs assassinés par les troupes israéliennes et des milliers de blessés et mutilés.
La police du Hamas aurait dû se comporter comme la police algérienne, qui a respecté le droit du peuple de manifester et a éviter les affrontements avec les manifestants. La vaste majorité de la population de la bande de Gaza manque d’électricité, de nourriture et de médicaments. Laissez-les pleurer de douleur ! Où est-ce interdit aussi de pleurer ? Il faut espérer que les personnes qui dirigent Gaza, et plus particulièrement au sein du Hamas, réagissent de manière à punir tous ceux impliqués dans les attaques contre les manifestants et présentent leurs excuses aux victimes. C’est le seul moyen de remédier à l’indignation et de bloquer la route à tous ces conspirateurs.
Les dirigeants et les membres du Hamas doivent comprendre qu’ils sont entourés d’ennemis qui ne veulent surtout pas la survie de leur mouvement et ont l’intention de le déraciner. Sa base populaire est leur seul et dernier recours. Si le Hamas perd cette base, il risque de tout perdre, tout comme la cause palestinienne, du moins pour le moment.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
19 mars 2019 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah