L’histoire cachée des exportations militaires israéliennes vers le Sud-Soudan

Des milliers de demandeurs d'asile africains quittent le centre de détention Holot dans le désert du Neguev, en route pour la frontière égyptienne, où ils espèrent attirer l'attention sur leur sort - 25 juin 2014 - Photo : Oren Ziv/Activestills.org

Itai Mack & Idan Landau – Depuis l’indépendance du Sud-Soudan, les Israéliens n’ont pas cessé de lui vendre leurs armes, de la formation militaire, de la sécurité intérieure et de la technologie de surveillance. Le problème ? Tout cela est utilisé pour commettre de possibles crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Nous savons aujourd’hui qu’Israël a vendu des armes au Rwanda dans les années 1990 alors qu’un génocide était perpétré dans tout le pays. Les détails concernant ces accords sont encore gardés secrets et une demande pour les rendre publiques est actuellement examinée par la Haute Court de Justice. Il semble qu’aucune leçon n’ait été apprise de cette affaire.

Durant les derniers 18 mois, une sanglante guerre civile a fait rage dans un autre pays africain, au Sud du Soudan, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité documentés ont été commis. Les médias internationaux couvrent quotidiennement cette guerre. Les médias israéliens ont couvert cette guerre les quelques premiers mois mais depuis, sont restés silencieux, même si des atrocités sont encore perpétrées.

Ce silence a probablement une bonne raison : des hauts responsables du gouvernement et de l’industrie sécuritaire vendent des armes, la formation militaire, la sécurité intérieure et la technologie de surveillance à des factions du Sud-Soudan. Toute publication concernant ces activités pourrait sérieusement les gêner.

Depuis les années soixante, Israël se bat dans une guerre secrète dans le sud du Soudan en soutenant les rebelles qui luttent contre la tyrannie de Khartoum pour obtenir leur liberté. Ce soutien offert par Israël ne reflète nullement ses valeurs humanitaires ni une quelconque solidarité avec un combat juste et légitime pour la liberté, il s’agit plutôt d’intérêts stratégiques divers dans la région.

En 2011, un référendum a eu lieu dans le sud du Soudan suite à une très forte pression de la communauté internationale. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des résidents ont voté en faveur d’une séparation de Khartoum et c’est seulement à la date du 9 Juillet de la même année que le Sud-Soudan est devenu un pays indépendant.

Israël a été parmi les premiers à reconnaître le nouvel État et en 2011 Salva Kiir Mayardit, le président du Sud-Soudan y a effectué une visite officielle. Pour les israéliens, un Sud-Soudan indépendant était une opportunité en or pour poursuivre leurs intérêts sécuritaires et économiques dans la région ; par conséquent, ils y ont effectué de lourds investissements dans les infrastructures civiles et militaires. Les relations entre les deux pays sont exceptionnelles, comparativement aux autres pays africains proches des israéliens, elles montrent des signes de parrainage.

Cette relation spéciale est à comprendre également dans le contexte des luttes régionales pour le pouvoir. Le conflit local entre le Soudan et le Sud-Soudan est sponsorisé par l’Iran et Israël, respectivement. Comme l’Iran a renforcé ses liens avec les musulmans du Soudan, Israël en a fait de même avec les chrétiens du Sud-Soudan qui lui fournit également du pétrole.

Il y a deux ans et demi, Israël aurait bombardé une usine d’armes iranienne à Khartoum ; une année auparavant, l’IDF a intercepté un bateau qui transportait des munitions du Soudan vers Gaza ; et il y a juste un mois, un drone israélien a été abattu au Soudan. Il est évident qu’Israël et l’Iran se font une guerre par procuration par le biais de leurs alliés africains.

La question posée est de savoir si cette stratégie semi-impériale peut, d’une quelconque manière, justifier l’aide apportée aux forces du Sud-Soudan qui ont perpétré des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Aucun intérêt stratégique réel ou imaginaire ne pourrait exonérer Israël quant à sa responsabilité morale et légale pour empêcher la vente d’armes pouvant servir à de telles fins.

La célébration de l’indépendance du Sud-Soudan s’est tristement transformée en une des pires tragédies de notre époque. Depuis mi-décembre 2013, une guerre civile fait rage dans le Sud du Soudan entre des ethnies et des groupes politiques opposés ; il s’agit de la continuation d’une guerre civile sanglante qui a conduit à l’indépendance du pays après 22 ans. Les derniers rapports mentionnent un nombre de 50000 personnes tuées, 2 millions déplacées et 2.5 millions qui risquent la famine à cause de la guerre.

Les organisations humanitaires des droits de l’Homme et les Nations Unies estiment que 12000 enfants soldats combattent dans le Sud-Soudan. Toutes les parties impliquées dans les combats, et particulièrement le gouvernement et ses milices, sont aussi impliquées dans des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et de sévères violations des droits de l’Homme.

Aucune des parties n’est en mesure de mettre fin à la guerre, et il n’y a aucune évidence de majorité ethnique dans le pays. La tribu des Dinka, qui contrôle actuellement le gouvernement représente seulement 35 % de la population. Quelques combattants de l’opposition sont d’anciens membres des forces de sécurité qui ont fait défection au parti adverse, ils utilisent leurs armes et s’entraînent militairement avec eux ce qui rend leur défaite par le gouvernement difficile.

Pour ces raisons, le gouvernement a décidé une stratégie alternative : meurtres de masse, viols systématiques des autres groupes ethniques et violences contre les citoyens identifiés comme faisant partie de l’opposition. Tant que les armes continuent de circuler dans le pays, le gouvernement n’a aucun intérêt à trouver un compromis, et il continue de s’accrocher à l’espoir de vaincre ses ennemis sur le terrain.

Cette situation a conduit les pays européens à déclarer un embargo sur les armes du Sud-Soudan et la suspension de l’aide militaire des USA. Il y eut également des tentatives d’embargo similaires par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Jusqu’à présent, ces tentatives ont été sans succès à cause des conflits et des disputes entre les membres du Conseil mais aussi à cause de la peur que les rebelles réussissent à vaincre les forces du gouvernement.

Malgré les difficultés politiques pour trouver un accord sur une résolution d’embargo, la gravité de la situation dans le Sud-Soudan est évidente pour tous. Le 3 mars de cette année, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2206 sponsorisée par les USA donnant aux deux parties un ultimatum concernant l’embargo sur les armes et autres sanction si le combat ne s’arrêtait pas.

Malgré la réaction mondiale, la guerre secrète israélienne au Sud-Soudan continue selon les rapports et les informations fournis par les militants des droits de l’Homme qui étaient ou sont encore dans le Sud-Soudan. Depuis l’indépendance du pays, Israël n’a pas cessé d’envoyer ses armes, de former les forces du gouvernement et de fournir différentes expertises technologiques liées à la sécurité. Il existe également une collaboration entre les services secrets des deux pays, et des entités israéliennes ont établi un contrôle interne et un système de surveillance dans le Sud-Soudan qu’ils maintiennent toujours.

L’implication israélienne actuelle dans le Sud-Soudan est exceptionnelle dans l’histoire de ses exportations militaires. Cela dépasse l’entendement. Israël se bat actuellement pour la viabilité d’un projet pour lequel, il a tellement investi et ce, depuis des année ; un projet dont l’échec pourrait porter atteinte à sa crédibilité aux yeux des autres dictateurs et régimes qui reçoivent son aide militaire.

Une publication officielle du Ministère de la Défense datant de Novembre 2014 (presque un an après le début de la guerre civile dans le Sud-Soudan) vante les succès des exportations du Département de la défense lors de l’exposition sur la cyber-sécurité, visitée par 70 délégations provenant de plusieurs régions du monde, y compris le Sud-Soudan.

Des témoignages signalent que les militaires du Sud-Soudan utilisent les fusils Galil ACE. Dix-huit mois avant le déclenchement de la guerre civile, un journal soudanais a rapporté que des roquettes et des équipements militaires étaient fournis par le biais d’un pont aérien reliant Israël au Sud-Soudan, allant jusqu’à permettre de ramener des mercenaires africains (après entraînement). Les provisions continuent de circuler. Une délégation sud-soudanaise visitera une exposition israélienne sur l’armement qui aura lieu la semaine prochaine à Tel Aviv.

Réfléchissez-y une minute : un pays où des crimes contre l’humanité sont perpétrés en ce moment même, utilise des armes étrangères tout en étant sous embargo européen et étasunien et envoie des délégations pour une acquisition militaire vers Israël, lesquelles délégations sont accueillies les bras ouverts.

Aussi bien la loi internationale que les la morale fondamentale humaine interdisent la vente d’armes ou tout autre aide militaire pouvant servir dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Par le passé, à cause des conflits politiques liés à la Guerre Froide, la communauté internationale n’a pas pu remplir ses obligations, mais depuis les années 1990 les choses ont changé et on a vu la mise en place d’une loi décisive aux USA et en Europe, mais aussi dans les conventions et les institutions internationales telles que l’ONU et les tribunaux internationaux.

Israël n’a aucun moyen tangible pour s’assurer que les armes vendues au Sud-Soudan ne sont pas utilisées pour massacrer des civiles ou menacer les femmes que violent les soldats ou les milices combattantes. De plus, il n’y a aucun moyen pour s’assurer que la technologie fournie n’est pas utilisée pour persécuter les citoyens pour leurs appartenances politiques ou ethniques – sans oublier l’aide aux horribles crimes de guerre et crimes contre l’humanité – à moins de stopper toute exportation sécuritaire et militaire à ce pays.

Il est important d’expliquer que la loi internationale interdit également la vente des technologies et dispositifs qui ne « tirent pas » s’ils peuvent être utilisés pour commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Le 12 mars de cette année, Adv. Itai Mack a réalisé un entretien sur les exportations militaires vers le Sud-Soudan pour l’émission radio en hébreu « Selon les Médias Étrangers » diffusée sur la station de radio (47:50) « Tous Pour la Paix ». Mack a révélé plus de détails concernant l’implication d’Israël dans l’approvisionnement en armes et les formations militaires apportés aux forces du Sud-Soudan. A la suite de ces découvertes, Adv. Mack a fait appel au Ministère de la Défense pour stopper l’exportation militaire vers le Sud-Soudan. L’appel, sans surprise, a été rejeté.

MK Tamar Zandberg (Meretz) essaie actuellement de rompre le silence en demandant que le Ministère de la Défense cesse immédiatement toutes les exportations militaires vers le Sud-Soudan. La demande a été accompagnée par une expertise préparée par Adv. Mack, elle détaille les aspects factuels et légaux de la question.

Les Israéliens doivent se joindre à cette requête. Et ils doivent le faire de suite.

* Idan Landau est un universitaire israélien de l’université Ben-Gurion. Cet article était publié à l’origine en hébreu sur le blog d’Idan « don’t Die a Fool » ( Ne meurs pas idiot). Il a été posté de nouveau avec l’autorisation de l’auteur.

30 mai 2015 – +972 Mag – Traduction : Lalla Fadhma N’Soumer