Par Abdel Bari Atwan
Il est difficile de comprendre le tumulte que suscitent actuellement certains milieux égyptiens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, au sujet des amendements constitutionnels permettant au président Abdelfattah as-Sisi de rester au pouvoir jusqu’en 2034. Ce n’est pas comme si le parlement qui l’avait voté avait été lui-même élu de manière transparente et démocratique. Il est entièrement composé de partisans du président, à l’exception de 16 membres sur environ 600 députés de ce qui se prétend un parti “d’opposition”. De plus, le résultat du référendum populaire pour approuver ces amendements dans deux mois est bien connu à l’avance, pour ne pas dire que la proportion de votes favorables a déjà été fixée.
Prédateurs
Sisi représente l’armée militaire égyptienne qui a pris la place de l’ex-président Hosni Moubarak, puis ensuite détruit le processus démocratique et renversé le président Mohammad Morsi, élu en juillet 2013. Il a mis en place une “monarchie militaire” qui dirige désormais le pays et son peuple avec une poigne de fer, à la main haute sur toutes les institutions et les ressources de l’État, ne tolérant aucun concurrent. Quiconque s’y oppose et se place donc dans l’opposition est considéré comme une menace à envoyer derrière les barreaux, sinon à la potence du bourreau.
Ce n’est pas un hasard si ces amendements – dont le plus important consacre le rôle de l’armée égyptienne dans “la défense de la constitution et de la démocratie” – ont été présentés quelques jours après l’anniversaire de la révolution du 25 janvier 2011 qui a renversé le régime corrompu et dictatorial de Moubarak. Le moment choisi était délibéré et visait à enterrer cette grande révolution populaire et son héritage démocratique.
Les partisans de Sisi ont déclaré qu’il était nécessaire de prolonger son mandat jusqu’en 2034 pour lui donner plus de temps pour réaliser les plans de développement économique qu’il est supposé avoir lancés et pour assurer la stabilité de l’Égypte face aux nombreuses menaces à sa sécurité dans une région en turbulence. Ses opposants disent que cela transformera l’Égypte en une dictature militaire et mettra fin à toutes les libertés démocratiques, y compris le transfert pacifique du pouvoir via les urnes lors d’élections non-truquées.
Il y a bien sûr d’autres amendements, tels que l’abolition du Conseil suprême des médias et du Conseil suprême de la presse.
Mais où sont les médias et la presse quand l’Égypte se classe au 105e rang de l’indice des libertés de Transparency International ? On peut en dire autant de la clause qui institue un Sénat de 250 membres, dont un tiers sera nommé par le président. Cela en fera un simple clone du parlement, à peine symbolique, existant.
En concentrant tous ses pouvoirs entre ses mains, Sisi imite des éléments du modèle chinois, tels que l’abolition des limites de mandat du président Xi Jinping. Mais le président et le parti au pouvoir chinois ont transformé leur pays en une superpuissance. La deuxième économie mondiale après les États-Unis est la plus forte et devrait se hisser à la première place d’ici cinq ans. Sisi réussira-t-il à obtenir quelque chose de similaire pour l’Égypte et à lui redonner son rôle de chef de file avant-gardiste au Moyen-Orient et dans le monde ? Cette question est hypothétique et prématurée, mais nombreux sont ceux qui doutent beaucoup de cette perspective, notamment le grand nombre d’opposants égyptiens de Sisi.
Une “monarchie militaire”
Les confidents de Sisi laissent entendre que la sécurité et la stabilité l’emportent sur le reste, dont la démocratie, et que le développement économique ne peut être réalisé dans un climat d’anarchie et de terrorisme. Mais il est facile de réfuter de telles affirmations. La plupart des pays du monde qui sont devenus des “tigres” économiques l’ont fait par le biais de la démocratie et de la liberté – de toute évidence la Malaisie et l’Indonésie, sans parler des États occidentaux.
Le journaliste renommé Muhammad Hassanein Heikal, qui était à l’origine un des partisans les plus en vue de Sissi, a affirmé lors d’une réunion privée à Beyrouth, quelques mois avant sa mort, que l’armée égyptienne n’autoriserait personne d’autre qu’elle à gouverner l’Égypte, et plus précisément un officier de l’armée, qu’il porte un uniforme ou un costume civil. La raison pour laquelle l’armée militaire a renversé Moubarak, c’est que, dans ses dernières années, il a succombé sous la pression de son épouse afin de préparer leur fils Gamal à la succession, lui accordant ainsi qu’à ses sbires des pouvoirs étendus et faisant de lui le dirigeant de facto du pays.
Ce qui s’est passé et qui se passe encore aujourd’hui confirme la véracité de la prédiction de Heikal. Une “monarchie militaire” est en train de consolider son emprise sur l’Égypte. Sisi restera au pouvoir non seulement jusqu’en 2034, mais aussi longtemps qu’il restera en vie et conservera le soutien de l’armée. Pour ce faire, il devra modifier à nouveau la constitution, mais cela ne lui prendra que quelques secondes. À moins, bien sûr, qu’un miracle ne se produise, bien que nous soyons hélas certain que nous ne sommes pas dans l’ère des miracles.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
7 février 2019 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah