Rejeter la normalisation avec Israël est un enjeu majeur du monde arabe, mais qu’en est-il de la lutte contre la normalisation à l’intérieur même de la Palestine historique ?
Dans les territoires occupés en 1967, ce rejet s’est manifesté par le refus des communautés et des institutions palestiniennes, telles que les universités et les syndicats, de coopérer avec les institutions israéliennes.
Soit dit en passant, ce type de lutte contre l’occupation a été compromis par les Accords d’Oslo, suite auxquels la direction palestinienne a normalisé ses relations avec les Israéliens, au point de collaborer avec eux sur les sujets de sécurité, ce qui à mon avis est la pire forme de normalisation avec Israël.
Coordination sécuritaire avec l’occupant et boycott sont incompatibles
Les discours de ceux qui veulent combattre la normalisation et boycotter Israël en Cisjordanie et à Gaza, tout en s’accommodant de la coordination sécuritaire, sont vides de sens et sans aucune crédibilité.
Un grand nombre d’institutions civiles palestiniennes continuent de rejeter toute collaboration avec les institutions israéliennes, malgré la multitude d’organisations financées par l’Occident qui encouragent le dialogue et les rencontres entre Israéliens et Palestiniens. Mais les échanges israélo-palestiniens n’ont pas réussi à transformer la société israélienne. Ca n’a été qu’un babillage marginal qui, outre que certains ont tiré subsistance, a surtout permis aux donateurs de verser des subventions à la Palestine sans contrarier les lobbys pro-Israéliens de leur pays d’origine.
A l’intérieur d’Israël, parler de normalisation n’a pas de sens. Les Arabes palestiniens nés en Israël sont des citoyens israéliens. C’est cette citoyenneté qui constitue la base juridique qui leur permet de rester sur leurs terres sous souveraineté israélienne.
Avec le temps, ce simple droit de résidence s’est transformé en revendications pour des droits civils dans le cadre de la citoyenneté israélienne. Au cours des dernières décennies, nous avons travaillé dur à élargir cette citoyenneté, en s’appuyant sur les droits des peuples autochtones.
Ce combat a fait évoluer en profondeur la culture politique des résidents palestiniens d’Israël. Mais la traduction juridique de ces revendications est limitée par le système légal et institutionnel israélien.
Les Palestiniens qui vivent en Israël suivent les programmes israéliens dans les écoles et les universités. Ils paient des impôts sur le revenu à l’État d’Israël, sollicitent des permis à Israël et utilisent les services israéliens. Par conséquent, le terme de normalisation n’a pas de sens en ce qui concerne les Israéliens palestiniens, à la différence des Égyptiens, par exemple; c’est une erreur de voir les choses ainsi car cela ferait de la lutte pour les droits civils, une lutte pour la normalisation.
Affirmer sa fierté de peuple autochtone
Pourtant, il y a vraiment une grande différence entre accepter de servir dans l’armée israélienne et refuser d’y servir, ou entre accepter les symboles israéliens et rester fidèle aux symboles palestiniens. C’est très différent de se résigner à être traité par Israël comme une minorité étrangère dans son propre pays, ou d’affirmer sa fierté de peuple autochtone.
Les différences dont je parle peuvent se manifester dans les prises de position politiques, les discours culturels et le comportement. Ce n’est pas un détail quand il s’agit de la lutte politique à l’intérieur d’Israël.
Ce n’est pas voter ou non, ni se présenter aux élections législatives israéliennes ou non, qui fait la différence, parce que rien de cela ne changerait la relation des Palestiniens, ici en Israël, avec les institutions israéliennes, que ce soit le gouvernement, une municipalité ou un conseil local. Ce qui fait la différence c’est la posture politique, l’identité nationale, et la position adoptée sur la lutte palestinienne pour l’autodétermination.
Il y a des comportements révélateurs. Par exemple, le Palestinien israélien élu cherche-t-il à devenir membre des affaires étrangères de la Knesset et du comité de sécurité? Accepte-t-il (ou elle) de devenir membre d’un groupe d’amitié entre Israël et un autre État?
Il (ou elle) appelle-t-il Israël à conclure des accords avec les « Palestiniens modérés » ? demande-t-il (ou elle) à Israël d’accéder à certaines demandes des citoyens palestiniens pour protéger la réputation d’Israël dans le monde? Il (ou elle) adhère-t-il à la narrative sioniste du conflit ? Accepte-t-il (ou elle) le présupposé qu’il y a deux vraies visions historiques concurrentes ?
Il y a une liste interminable de questions qu’il faut se poser à propos des représentants élus de la communauté arabe. En effet, ces questions – et les réponses qu’on leur apporte – sont capitales car d’elles dépend la préservation de l’identité culturelle palestinienne, en tant que peuple autochtone, du fait même que cette lutte doit être menée dans le cadre des institutions israéliennes, sous le joug de l’israélisation et de la narrative sioniste de l’Etat juif autoproclamé.
Inutile de préciser que le boycott des produits israéliens n’est pas possible pour les Palestiniens israéliens. Toutes les marchandises sont israéliennes, et même les produits arabes peuvent être fabriqués à partir de matières premières israéliennes; les Palestiniens israéliens paient des impôts israéliens et ont affaire aux banques israéliennes.
Rejeter la normalisation dans la Palestine de 48
Par conséquent, rejeter la normalisation en Palestine historique signifie rejeter le discours et la vision sionistes de l’histoire et de la réalité, dans le contexte de la lutte contre l’occupation. Ceux qui prétendent boycotter et rejeter la normalisation, tout en vivant en Palestine historique sans se battre contre l’occupation, ne sont pas ne sont pas crédibles.
Pour résumer, tous les Arabes doivent rejeter la normalisation, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza doivent rejeter la normalisation à des degrés divers, et il est crucial que le monde arabe et le reste du monde boycottent les produits israéliens. Mais à l’intérieur de la Palestine historique, ce qui prime, c’est la lutte contre l’occupation et contre le racisme.
Les moyens de lutte sont une autre question que je n’aborderai pas dans cet article.
Ici, il est important de ne pas se tromper de contexte. Les Palestiniens en Israël sont des citoyens israéliens, juridiquement parlant, et la plupart opèrent à travers les institutions israéliennes. Ils ne peuvent pas faire autrement, sauf à émigrer.
Il faut aussi reconnaître qu’il y a des résidents palestiniens d’Israël qui comparent leurs droits en Israël à ceux des réfugiés palestiniens dans le monde arabe, et qui n’ont aucun désir de changer de lieu de résidence. Pour eux, la citoyenneté israélienne n’est pas un gros problème. Ceux-là manifestent leur résistance à travers leurs opinions politiques et la lutte pour la démocratie au niveau national.
Il ne serait pas logique que les Palestiniens de Cisjordanie imitent, par exemple, le modus operandi politique d’un Palestinien qui a la citoyenneté israélienne et qui jouit des droits acquis dans ce cadre. Les Palestiniens qui vivent en Palestine historique sont obligés d’avoir des contacts avec les institutions israéliennes, mais si des Egyptiens, Jordaniens, Marocains, Saoudiens, Emiratis ou Qataris faisaient la même chose, cela signifierait qu’ils sont prêts à normaliser leurs relations avec Israël.
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Lire la première partie de cette série : (1) : problèmes de terminologie, la seconde partie : (2) : Questions problématiques, et la quatrième partie : (4) : pour un boycott systématique.
* Azmi Bishara est un intellectuel palestinien, universitaire et écrivain. Consultez son site personnel et suivez-le sur Twitter: @AzmiBishara
26 août 2016 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet