Par Yumna Patel
« Nous voulons qu’on nous rende nos enfants ». La mère d’un combattant palestinien tué, lutte pour que son corps lui soit restitué.
BETHLEHEM (Ma’an) – C’était une journée ordinaire d’avril pour la famille Abu Srour dans la ville de Beit Jala en Cisjordanie occupée du sud.
Le printemps était bien avancé et il commençait à faire chaud. Abd al-Hamid, le deuxième enfant de la famille âgé de 19 ans, était enfoui dans ses livres de classe en train de préparait le «tawjihi», son examen de fin d’études.
« C’était une journée ordinaire, rien d’extraordinaire », a déclaré à Ma’an Azhar Abu Srour, la mère d’Abed comme on l’appelle généralement. « Il étudiait comme s’il allait vraiment passer ses examens. Nous avons même parlé de rendre visite à un de ses professeurs le lendemain. »
Azhar a dit que son fils de 19 ans était «le sel de la maison», une expression arabe signifiant que, sans lui, la maisonnée n’aurait aucune saveur; il riait et plaisantait sans cesse, il jouait des tours à sa famille et à ses amis; il était aimé et apprécié de tout le monde dans le camp de réfugiés d’Aida, où la famille avait précédemment vécu pendant des décennies.
Les larmes commençaient à remplir ses grands yeux verts, mais sa voix restait calme. « Quand il est sorti, il a dit qu’il allait juste chercher de la glace pour sa petite sœur, Sham. Jusqu’à maintenant, si vous demandez à Sham où est Abed, elle vous dira qu’il est parti lui chercher de la glace. »
Mais quand Abed est parti de chez lui ce jour-là le 18 avril 2016, il était en réalité parti faire une attaque à la bombe contre un autobus à Jérusalem, qui a fait plus de 20 blessés.
Abed lui-même perdu tous ses membres et il était si gravement brûlé que quand son père a été emmené pour l’identifier, il ne pouvait presque rien reconnaître de son fils, son grand et beau fils, son fils qui aimait tant rire.
10 mois plus tard, tandis que Sham attend encore que son frère rentre à la maison avec de la glace, Azhar attend qu’on lui rapporte les restes de son fils pour pouvoir l’enterrer.
« Si j’avais su… »
Azhar s’est demandé ce qui avait conduit son fils – un garçon sociable constamment entouré d’amis, qui adorait sa sœur de trois ans, et qui était élevé par une famille aisée dans une maison spacieuse à Beit Jala contrairement à la vieille maison familial d’Aida – à commettre cet acte.
Elle est certaine que c’est la mort du cousin de 21 ans d’Abed, Srour Ahmad Abu Srour, tué d’un coup de feu en pleine poitrine quand il s’était retrouvé pris dans un affrontement sur le chemin de l’école trois mois avant, qui a eu le plus grand impact sur son fils.
Depuis que la vague de violence a éclaté en octobre 2015, des centaines d’autres jeunes Palestiniens ont été abattus par les forces israéliennes et Abed regardait les nombreuses vidéos et des photos horribles, documentant des exécutions sommaires, postées pendant les troubles.
« Bien que j’aime mon pays et que je crois à la résistance, en tant que mère, si j’avais su où il allait ce jour-là, je ne l’aurais jamais laissé partir », a dit Azhar, en secouant la tête. Le froid de janvier rosissait les joues pâles de sa plus jeune fille, Sham, qui s’endormait dans ses bras.
« Il n’y a rien de trop précieux pour notre pays… mais Abed, il était trop précieux pour moi, » a répété Azhar. Je n’aurais pas été capable de le laisser partir ».
Rallier le Hamas
La famille Abu Srour, selon l’un des cousins d’Abed, est l’une des plus grandes familles du camp de réfugiés d’Aida, et elle est aussi politiquement diversifiée qu’elle est forte en nombre.
Comprenant des membres apolitiques, comme le père d’Abed, et d’autres révolutionnaires de gauche comme son grand-père maternel, la famille Abou Srour permettait à ses enfants de choisir leur propre voie politique.
Comme beaucoup de jeunes de son âge, Abed a été inspiré par le Hamas, en particulier à cause de sa « résistance » plus cohérente que celle des autres mouvements politiques palestiniens, selon son cousin qui préfère garder l’anonymat.
« Plus que tout, il était fasciné par Yahya Ayyash. Il écoutait sans arrêt ses chants de résistance, lisait tout ce qui concernait ses opérations », a dit le cousin d’Abed, un jeune homme de gauche qui a également admis avoir été inspiré dans sa jeunesse par le tristement célèbre « ingénieur » et spécialiste de la fabrication de bombe de l’aile militaire du Hamas dans les années 1990.
Abed, ou « Aboud » comme on l’appelait, ne partageait pas nécessairement les opinions religieuses du Hamas, et il n’avait pas été endoctriné dans le mouvement dès son jeune âge par des membres de sa famille.
« Ça a été sa décision, courageuse et difficile », a dit Azhar à propos de la décision de son fils de travailler avec le Hamas et de mener une opération qui, selon elle, lui a été inspirée par Ayyash.
Les restes d’Abed font partie d’un certain nombre de corps de Palestiniens, morts en exécutant des attaques contre des Israéliens, que le cabinet israélien de sécurité a décidé de ne pas rendre à leurs familles en raison de leur affiliation au Hamas.
Les corps sont au contraire enterrés dans un cimetière « ennemi », pour être utilisés dans de futurs échanges de prisonniers avec le Hamas qui prétend détenir les corps de deux soldats israéliens, Oron Shaul et Hadar Goldin, déclarés morts par Israël lors de la guerre de 2014 à Gaza.
« Nous voulons que nos enfants reviennent »
Pendant qu’Azhar parlait de son fils, elle a reçu un appel de l’avocat représentant les familles des Palestiniens tués dont les corps restent détenus par Israël, l’informant que leur dernière et probablement dernier Appel possible pour récupérer les corps avait été rejeté.
Yumna Patel) Azhar a balayé l’appel téléphonique comme s’il n’avait pas d’importance. Elle a souri en laissant échapper un petit rire : « Ils (les autorités israéliennes) l’ont dit tant de fois. Ils peuvent le répéter tant qu’ils veulent. On ne va pas renoncer ».
Lorsqu’on lui a demandé comment elle pouvait être aussi sûre de ramener le corps de son fils à la maison, Azhar a parlé du droit international, bien qu’elle soit parfaitement consciente que le gouvernement qui refuse de lui rendre le corps de son fils ne cesse de violer ce droit. »
Selon le droit international, les morts ont le droit d’être enterrés conformément aux traditions de leur famille, de leur société et de leur religion, quelles que soient les circonstances de leur mort, » a souligné Azhar, en laissant transparaître une colère qu’elle cache habituellement. « Nous exigeons quelque chose qui est spécifié dans le droit international, ce n’est pas quelque chose que nous avons inventé ou fabriqué. »
Azhar ne renonce pas. Elle va à toutes les réunions organisées avec les familles d’autres Palestiniens tués, elle se rend à toutes les manifestions qui ont lieu en Cisjordanie occupée et elle prend le micro à chaque manifestation, captivant l’attention des foules à qu’elle adresse.
« Bien qu’ils affirment qu’ils ne nous rendront pas le corps d’Aboud, nous continuerons la lutte, même si je dois prendre un drapeau palestinien et une photo de mon fils et aller toute seule au mur de séparation à Bethléem, pour dire aux gens et aux soldats que je veux récupérer le corps de mon fils », a déclaré Azhar. « Les familles de tous les martyrs sont unies. Nous voulons simplement qu’on nous rende nos enfants ».
Auteur : Yumna Patel
* Yumna Patel est directrice de l'information sur la Palestine pour la publication américaine Mondoweiss. Elle est basée à Bethléem, en Cisjordanie occupée et fait des reportages sur le territoire depuis plusieurs années. Son compte twitter.
22 février 2017 – Ma’an News – Traduction : Chronique de Palestine – Marie Staels