L’élection de Yahya as-Sinwar par une forte majorité des voix, comme premier dirigeant du Hamas dans la bande de Gaza, pourrait s’avérer être un tournant pour le mouvement.
Cette élection peut marquer la fin de l’ère de l’actuel dirigeant du bureau politique, Khaled Mish’al, qui se caractérisait par la flexibilité, la diplomatie et les solutions de compromis. Elle signale aussi la montée du courant jihadiste qui croit à la résistance armée et rejette les concessions politiques à l’occupant, et le rapprochement du Hamas avec “l’axe de la résistance” régional, en particulier l’Iran et le Hezbollah.
Cette perspective est renforcée par la réaction de crainte qui a prévalu dans les milieux israéliens dès que la nouvelle de l’élection de Sinwar a été connue, avec la remarque du Premier ministre par intérim Yuval Steinitz disant que “l’affrontement se rapproche” avec le Hamas et que ce n’était qu’une question de temps.
Les autorités israéliennes d’occupation connaissent bien Sinwar. Il a passé 23 ans derrière les barreaux de leurs prisons et il a été le responsable de l’élimination de 12 de leurs agents dans la bande de Gaza.
Il a aidé à établir l’aile militaire du Hamas, les Brigades Izzedin Qassam, et a supervisé la mise en place de son appareil de sécurité Majd qui a rétabli la sécurité dans la Bande et a mis fin au gangstérisme armé et à l’impunité dont jouissaient les clans.
Sinwar est originaire du camp de Khan Younis – un réfugié venu du village ethniquement nettoyé de Majdal – qui croit à la libération de la Palestine du fleuve à la mer et pour qui le droit du retour est sacro-saint. Il est très respecté par les commandants et les combattants d’Izzedin Qassam et il est persuadé que capturer des soldats israéliens est la meilleure façon d’obtenir la libération de ses camarades détenus dans les prisons de l’occupation.
Ceux qui le connaissent de près parlent avec admiration de son patriotisme sincère, de la fermeté de sa position politique, de sa modestie personnelle et de son style de vie austère. Ils s’attendent à ce que sa direction reflète ses qualités personnelles et sa longue liste de références dans la résistance.
Beaucoup d’observateurs de la bande de Gaza croient que le Hamas a perdu une grande partie de sa popularité après avoir suivi une voie vers de plus en plus de “flexibilité”, se rapprochant du camp dit “modéré” dans le monde arabe et s’engageant dans des pourparlers de réconciliation avec l’Autorité palestinienne à Ramallah, mais sans pouvoir empêcher celle-ci de faire des concessions et de poursuivre une “coopération répressive” avec la puissance occupante.
L’élection de Sinwar comme premier dirigeant de la bande de Gaza et de Khalil al-Hayyeh comme adjoint, ainsi que le rôle croissant de l’ancien prisonnier Rawhi Mushtaha dans le bureau politique, sont des signes que le Hamas tente sérieusement de récupérer une partie de cette popularité en ramenant le mouvement à ses racines et à ses principes fondateurs.
Ni Sinwar, ni Mushtaha, ni le commandant des Brigades al-Qassam, Muhammad Deif, ne seront probablement inquiets d’avoir été désignés comme “terroristes à l’échelle mondiale” par le département d’État américain. Ils peuvent au contraire considérer cela comme une marque d’honneur. En tout cas, Sinwar a rarement voyagé à l’extérieur de la bande de Gaza, et n’a pas de biens ou d’actifs aux États-Unis qui peuvent être gelés…
L’élection de Sinwar marque la résurgence des “faucons”, mais à notre avis, elle reflète également un mouvement correctif démocratique au sein des dirigeants du Hamas. Beaucoup d’observateurs et d’experts s’attendent à ce que cela ouvre une phase dans laquelle le mouvement donne la priorité à la lutte armée par rapport à la politique. La situation se sera encore éclaircie une fois que les élections internes pour un nouveau bureau politique et le premier dirigeant du Hamas auront été bouclées en avril.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
15 février 2017 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine