Par Ramzy Baroud
Les intenses campagnes de relations publiques d’Israël à destination de ses partenaires et des médias occidentaux toujours bien disposés, conjuguées aux implacables pressions exercées par ses puissants lobbies à Washington, à Londres, à Paris et ailleurs, ont donné des résultats surprenants.
Pendant un moment, il a semblé qu’Israël était capable de maintenir son occupation et de refuser indéfiniment leurs droits aux Palestiniens, tout en se proclamant “seule démocratie au Moyen-Orient”.
Ceux qui ont osé défier ce paradigme à travers la résistance en Palestine ont été éliminés ou emprisonnés; ceux qui ont contesté Israël dans les arènes publiques n’importe où dans le monde ont été vilipendés comme “antisémites” ou “juifs ayant la haine d’eux-mêmes“.
Les choses semblaient aller très bien pour Israël. Avec l’aide financière et militaire des Etats-Unis, la taille, la population et l’économie des colonies illégales ont augmenté à un rythme rapide. Les partenaires commerciaux d’Israël semblaient inconscients du fait que les produits des colonies étaient fabriqués ou cultivés sur des terres palestiniennes volées et occupées illégalement.
En effet, durant longtemps l’occupation a paru très rentable, subissant très peu de censure ou de pression.
Tout ce que les dirigeants israéliens avaient à faire était de se conformer au scénario suivant : les Palestiniens sont des terroristes, nous n’avons pas de partenaire pour la paix, Israël est une démocratie, nos guerres sont toutes menées en légitime défense, etc… Les médias ont repris ces mensonges à l’unisson. Les Palestiniens, les opprimés, les occupés et les rejetés étaient dûment diabolisés. Ceux qui savaient la vérité sur la situation ont pris des risques en disant leur opinion – et en ont subi les conséquences – soit sont restés silencieux.
Mais comme le dit le proverbe: «Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps et certaines personnes tout le temps, mais vous ne pouvez pas tromper tout le monde tout le temps».
La justice pour les Palestiniens, qui paraissait autrefois comme une «cause perdue», a revenue comme une exigence forte lors de la deuxième Intifada palestinienne (soulèvement) en 2000.
La sensibilisation croissante impulsée par le militantisme dévoué de nombreux intellectuels, journalistes et étudiants a vu l’arrivée de milliers de militants internationaux en Palestine dans le cadre du Mouvement international de solidarité (ISM).
Des universitaires, des artistes, des étudiants, des responsables religieux et des gens de tous horizons sont venus en Palestine et s’en sont retournés vers toutes les parties du globe, en utilisant tous les moyens disponibles pour diffuser un seul et unique message dans leurs nombreuses communautés.
Ce fut ce militantisme de base qui a pour partie produit le succès du mouvement Boycott, Divestment and Sanctions (BDS).
Mis en place en 2005, BDS est un appel lancé par des organisations de la société civile palestinienne aux citoyens du monde entier pour participer à la dénonciation des crimes israéliens et pour exiger des comptes au gouvernement, à l’armée et aux entreprises israéliennes qui tirent leurs profits de l’assujettissement des Palestiniens.
Avec ces larges réseaux en constante extension déjà en place, BDS s’est propagé rapidement et a pris le gouvernement israélien par surprise.
Au cours de la dernière décennie, la campagne BDS s’est révélée résistante et ingénieuse, ouvrant de nombreux nouveaux canaux et plateformes pour forcer le débat sur Israël, son occupation, les droits des Palestiniens et la responsabilité morale pour ceux qui soutiennent ou ignorent ses violations des droits de l’homme.
Ce qui inquiète le plus [le gouvernement israélien] à propos de la campagne BDS, est ce qu’il appelle la tentative du mouvement de “délégitimer” Israël.
Depuis sa création, Israël a tout fait pour paraître légitime. Mais il est difficile d’obtenir une légitimité sans respecter les règles requises pour cela. Israël veut la gagner sur tous les tableaux : en maintenant sa profitable occupation, en testant son arsenal militaire dernier-cri, en emprisonnant et en torturant, en assiégeant et en assassinant tout en recevant des félicitations internationales.
À l’aide de menaces, d’intimidation, de coupure de fonds, les États-Unis et Israël ont travaillé dur mais en vain, pour faire taire les critiques d’Israël, le principal allié des États-Unis au Moyen-Orient.
Il y a quelques jours à peine, un rapport des Nations Unies disait clairement qu’Israël avait établi un “régime d’apartheid“. Bien que l’auteure du rapport, Rima Khalaf a dû démissionner suite aux pressions, il est maintenant impossible de “forcer le génie à rentrer dans sa bouteille”.
Progressivement, BDS est devenue l’incubateur d’une grande partie de la condamnation internationale d’Israël. Son impact a rapidement touché des artistes qui ont alors refusé de se produire en Israël, puis les entreprises ont commencé à fermer leurs représentations en Israël, suivies par des églises et des universités qui se sont extraites de l’économie israélienne. Avec le temps, Israël s’est trouvé confronté à un défi unique et formidable.
Alors, que doit faire Israël ?
Ignorer la campagne BDS s’est avéré dangereux et coûteux. Mais lutter contre cette même campagne est comme lancer un caillou contre la société civile. Plus problématique pour lui, plus Israël essaie de bloquer le travail des militants BDS, plus il accorde de légitimité le mouvement, lui offrant de nouvelles plateformes pour faire progresser ses idées, avec plus de couverture médiatique et plus de débats sur la place publique.
En mars 2016, une grande conférence a réuni des représentants du gouvernement israélien, des dirigeants de l’opposition, des experts des médias, des intellectuels (?) et même des vedettes de la télévision venues d’Israël, des États-Unis et d’autres pays.
La conférence a été organisée par l’une des plus grandes sociétés de médias d’Israël, Yediot Achronot.
C’était une rare démonstration d’unité dans la politique israélienne, des centaines d’Israéliens influents et leurs partisans essayant de forger une stratégie visant à vaincre la campagne BDS.
De nombreuses idées ont été mises sur la table.
Le ministre israélien de l’Intérieur, Aryeh Dery, a menacé de faire révoquer le droit de résidence d’Omar Barghouti, cofondateur de BDS et l’une de ses voix les plus efficaces.
Le ministre du Renseignement et de l’Énergie Atomique, Israël Katz, a appelé aux “éliminations civiles ciblée” des dirigeants BDS, visant en particulier Barghouti.
Le ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan, a souhaité que les militants BDS “paient le prix”.
La guerre contre la campagne BDS avait officiellement commencé, bien que les prémisses de cette bataille avaient déjà eu lieu.
Le gouvernement britannique a annoncé au début de l’année qu’il était illégal de “refuser d’acheter des biens et des services auprès de sociétés impliquées dans le commerce des armes, les combustibles fossiles, les produits du tabac ou les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée”.
Le même mois, le Canada a adopté une motion qui criminalise la campagne BDS.
Quelque mois plus tôt, le Sénat américain a adopté la Loi sur la sensibilisation à l’antisémitisme, biaisant la définition de l’antisémitisme pour y inclure les critiques d’Israël sur les campus américains, dont beaucoup ont répondu positivement à l’appel lancé par BDS.
Pour finir, le Royaume-Uni a adopté une définition similaire qui fait délibérément la confusion entre les crimes de haine anti-juifs et les critiques légitimes d’Israël.
Plus récemment, Israël a adopté une loi qui interdit l’entrée en Israël aux personnes accusées de soutenir le mouvement BDS. Considérant que l’entrée en Israël est le seul moyen d’accéder aux territoires palestiniens occupés, l’interdiction israélienne vise à interdire les témoignages qui ont établi le lien entre les Palestiniens et le mouvement mondial de solidarité.
L’offensive anti-BDS a finalement abouti à la détention et à l’interrogatoire d’Omar Barghouti lui-même.
Le 19 mars, les autorités fiscales israéliennes ont arrêté Barghouti et l’ont accusé d’évasion fiscale.
Ce faisant, Israël a révélé la nature de la prochaine étape de sa lutte, utilisant des tactiques basées sur des accusations fantaisistes et apparemment apolitiques pour ne pas avoir à révéler la nature politique de ses initiatives.
Israël croit donc pouvoir vaincre la campagne BDS grâce à la censure, aux interdictions de voyage et aux intimidations.
Cependant, la guerre israélienne contre la campagne BDS est destinée à l’échec, et la conséquence directe de cet échec sera que cette campagne pour le boycott continuera de prospérer.
Israël a maintenu la société civile mondiale dans l’obscurité pendant des décennies, vendant une version trompeuse de la réalité. Mais à l’ère des médias numériques et du militantisme mondialisé, l’ancienne stratégie ne fonctionnera plus.
Indépendamment du cas de Barghouti, le mouvement BDS ne s’affaiblira pas. C’est un mouvement décentralisé avec des réseaux locaux, régionaux, nationaux et mondiaux couvrant des centaines de villes à travers le monde.
Immobiliser un individu, ou cent, ne modifiera pas le mouvement BDS en pleine ascension.
Israël va bientôt se rendre compte que sa guerre contre le BDS, la liberté de parole et d’expression, est vouée à l’échec. Il s’agit d’une tentative futile et vaine de museler une communauté mondiale qui agit maintenant à l’unisson de Cape Town en Afrique du Sud, à Uppsala en Suède.
* Dr Ramzy Baroud écrit sur le Moyen-Orient depuis plus de 20 ans. Il est chroniqueur international, consultant en médias, auteur de plusieurs livres et le fondateur de PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Scribest. Visitez son site personnel.
30 mars 2017 – Transmis par l’auteur – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah