Les Palestiniens de Jérusalem se battent pour sauver leurs maisons

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Nora Sub Laban et sa famille ont passé des années à lutter pour pouvoir rester dans leur ville et leur quartier - Photo : Al Jazeera/Rami Khateeb

Par Jaclynn Ashly

Des dizaines de familles palestiniennes vivent sous la menace constante d’expulsion par les groupes de colons israéliens dans la ville occupée.

Ahmad Sub Laban a légèrement entrouvert les stores qui recouvraient une fenêtre dans sa maison, révélant le Dôme d’or du Rocher dans le complexe de la Mosquée Al-Aqsa.

“Si vous regardez à l’extérieur de cette fenêtre, vous comprendrez exactement pourquoi les Israéliens veulent nous expulser”, dit-il à Al Jazeera.

Les Sub Labans font partie des au moins 180 familles palestiniennes menacées d’expulsion par les groupes de colons israéliens dans Jérusalem-Est occupée, dont 21 familles dans la vieille ville.

Les Sub Labans sont considérés comme des “locataires protégés”, un statut issu d’une loi de l’ère ottomane qui protège contre les expulsions arbitraires et établit des contrôles de prix du loyer. Après l’annexion par Israël de Jérusalem-Est en 1967, le statut a été supprimé, sauf pour ceux qui l’avaient déjà obtenu. Puis le gouvernement israélien a publié la loi dite “de troisième génération“, qui dépouille les Palestiniens de ce droit après trois générations de “loyer protégé”.

Les conditions pour le maintien de ce système sont également extrêmement strictes. Même la rénovation d’une petite pièce d’un appartement peut conduire à la révocation, a déclaré Daniel Seidemann, directeur de l’ONG Jerusalem Terrestrial. Des centaines de Palestiniens dans la ville sont des locataires protégés, selon un chercheur sur le terrain de l’ONG Ir Amim, basée à Jérusalem.

Certains Palestiniens possédant un logement ainsi protégé dans la vieille ville, disent que des groupes de colons israéliens se sont rapidement mobilisés pour les expulser après la mort du dernier membre de la troisième génération de leur famille. D’autres disent que leurs droits ont été systématiquement érodés dans le système judiciaire israélien, dans un volonté d’augmenter la présence juive dans Jérusalem-Est occupée.

Entourés par des colons israéliens, les Sub Labans sont les derniers Palestiniens à avoir pu rester dans leur immeuble dans le quartier d’al-Khaldiya. Les marches pavées de leur rue en dehors de leur bâtiment, mènent à une grande étoile de David et à une chaîne de drapeaux israéliens.

La famille a reçu son dernier ordre d’expulsion en 2010, après avoir été accusée par les colons israéliens de ne pas vivre dans l’appartement, ce qui annulerait leur contrat de location protégé. La famille a violemment nié l’accusation.

À la fin de l’année dernière, la Cour suprême israélienne a conclu le litige relatif à la propriété long de 10 ans, avec une décision controversée : Nora et Mustafa Sub Laban, les parents d’Ahmad, seraient autorisés à rester dans leur appartement pendant 10 ans, mais Ahmad, sa femme, et leur deux enfants (une petite fille et un petit garçon) seraient expulsés.

“C’est comme si j’étais détenue dans le couloir de la mort”, a déclaré Nora à Al Jazeera. “Ils ont condamné un morceau de moi à la mort, et maintenant mon mari et moi avons 10 ans à attendre dans l’isolement pour le jour où les colons viendront nous expulser.”

Ahmad raconte que sa grand-mère a signé un contrat de location avec le gouvernement jordanien en 1953, faisant de Nora la deuxième génération de la location protégée. Cependant, la cour israélienne a retiré le même droit à Ahmad et à ses frères et sœurs, qui ont continué à contester la décision, disant qu’ils devraient être protégés de l’expulsion comme troisième génération de la famille.

“Ils ont révoqué nos droits dans les tribunaux israéliens”, a déclaré Ahmad. “C’est une politique israélienne : utiliser tous les moyens possibles pour expulser les résidents palestiniens et les remplacer par des colons israéliens”.

L’immeuble d’habitation où vivent les Sub Labans avait autrefois été une fiducie pour les juifs du XIXe siècle qui émigraient d’Europe de l’Est. Beaucoup de ces propriétés ont été réutilisées par le gouvernement jordanien pour abriter des réfugiés palestiniens déplacés de leurs villages après la guerre de 1948.

En 1967, les propriétés ont été transférées au Dépôt Général d’Israël. Plusieurs années plus tard, Israël a adopté la loi sur les questions juridiques et administratives, permettant aux Israéliens de revendiquer des biens à Jérusalem-Est qui auraient appartenu à des juifs avant 1948.

Les colons qui se sont ensuite installés dans la région sont arrivés avec la mentalité de “dépouiller les Palestiniens autant qu’ils le peuvent “, explique Ahmad.

L’année dernière, des colons israéliens ont foré plusieurs trous dans le mur de la chambre des enfants d’Ahmad. Les restrictions sévères sur les rénovations à domicile pour les résidents disposant d’une location protégée, ont empêché la famille de réparer les dommages.

“Ils essaient de nous rendre la vie aussi difficile que possible”, a déclaré Ahmad.

A des mondes à l’écart de l’agitation de la vieille ville, Mazen Qerish vit dans une nouvelle maison dans le quartier de Jérusalem-Est d’Issawiya. Il a été expulsé de la vieille ville l’année dernière après y avoir vécu pendant près de six décennies.

L’appartement de Qerish, loué par son grand-père en 1936, avait toujours appartenu à des Palestiniens. Mais en 1987, le propriétaire palestinien a vendu la propriété à une société affiliée à l’organisation de colonies Ateret Cohanim, qui s’active à augmenter la population des colons israéliens dans la ville en facilitant les transactions immobilières et en y créant des communautés juivesn le tout en violation du droit international. Qerish dit que le groupe des colons a alors entamé une offensive légale longue d’une décennie pour expulser sa famille.

Le directeur général d’Ateret Cohanim, Daniel Luria, a nié les allégations, affirmant à Al Jazeera que son organisation “n’a rien à voir avec les soi-disant ‘expulsions’ dans la vieille ville”. Qerish a dû quitter son domicile parce qu’il “n’y avait plus aucun droit”, a ajouté Luria.

Après la mort du père de Qerish, une bataille judiciaire de sept ans a eu lieu, les colons israéliens tentaient de contester le statut de locataire protégée dont bénéficiait sa mère.

Le juge a statué qu’elle continuait d’avoir une location protégée, mais après sa mort en 2009, la famille a été renvoyée devant la cour. Qerish a soutenu qu’il devrait être considéré comme la troisième génération, en se basant sur un vieux contrat qui faisait référence à sa mère comme étant de la deuxième génération de la location protégée. En 2016, cependant, la famille Qerish a perdu le procès et a été forcée de quitter son immeuble.

“Je n’ai jamais pensé que je ne vivrai plus dans la vieille ville”, a déclaré Qerish à Al Jazeera. “Je pensais que j’avais des droits et que j’étais protégé. Mes racines s’y rattachent, toute ma vie a été façonnée dans la vieille ville.”

La famille vit de graves difficultés financières depuis l’expulsion, avec leur loyer grimpant en flèche de 265 dollars par an à 530 dollars par mois. En outre, les tribunaux israéliens ont infligé depuis 2010 une amende de plus de 71 000 dollars à ceux qui vivent dans leur foyer “illégalement”.

Mais pour Qerish, la partie la plus difficile de l’éviction a été l’impact émotionnel. “J’étais au milieu du monde,” dit-il. “J’avais les marchés, mes amis et mon voisinage. Si je voulais prier à Al-Aqsa, je n’avais qu’à sortir de chez moi et à m’y rendre.”

Aujourd’hui, il retourne souvent dans son ancien quartier d’al-Saadiyeh et installe une chaise à l’extérieur de son ancienne demeure. “Même si c’était une vie très dure que de rester à côté de ces colons, je n’ai jamais voulu quitter ma maison”, dit-il. “La vieille ville fait partie de mon âme.”

En face de l’immeuble des Sub Labans, quatre autres familles palestiniennes en location protégée ont également reçu des ordres d’expulsion.

Un des résidents, Sami Sidawi, a dit à Al Jazeera que les colons israéliens ont affirmé que son appartement était inhabité – même si Sidawi a continué à y résider pour soigner sa sœur handicapée physiquement. Sidawi et sa sœur sont la dernière génération de locataires protégés, explique-t-il.

Et Abu Naser Kastaro, qui vit dans une petite unité au rez-de-chaussée de la même résidence, a déclaré que son ordonnance d’expulsion prétend qu’il a perdu l’appartement dans une décision de 1982 – même s’il n’avait jamais été devant les tribunaux. Il croit que son cas a été confondu avec celui d’une famille palestinienne précédemment expulsée.

Les autres familles vivent dans la crainte que, à tout moment, elles puissent être expulsées de leurs foyers.

“J’ai vécu dans cet appartement toute ma vie, mais nous voyons des Palestiniens être expulsés de leurs maisons tout autour de nous”, a déclaré Kastaro à Al Jazeera. “Chaque fois que je vois la police dans notre rue, je crains qu’ils viennent nous jeter hors de chez nous.”

13 février 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah