Par Rima Najjar
Au cours de la période que les Palestiniens appellent La Grande Rébellion ou Révolte contre les politiques pro sionistes des Britanniques en Palestine, 1936-1939, les choses ont commencé à sérieusement mal tourner pour les Arabes palestiniens vivant à Jaffa et ont continué à se détériorer sans répit jusqu’à ce jour.
Jaffa était alors un important centre économique en Palestine, un port et un pôle commercial. Au 19ième siècle, les producteurs d’agrumes avaient introduit des techniques innovantes de greffage dans la culture des oranges, ce qui fait la renommée de Jaffa jusqu’à ce jour – mais c’est aux usurpateurs juifs que va le crédit de l’industrie florissante des agrumes plutôt qu’aux Arabes palestiniens.
En fait, l’existence même de ces Arabes palestiniens est souvent niée par le mythe sioniste d’Israël sur les sites de la hasbara ou propagande.
Dès les années 1930, l’industrie florissante des agrumes de Jaffa et ses exportations en avaient fait un centre économique majeur, fournissant des milliers d’emplois et stimulant le développement de secteurs économiques connexes comme la banque, le textile, les transports, l’industrie manufacturière, et le tourisme. Surnommée la Mariée de la Mer, c’était également un centre culturel majeur.
Les graines de la Grande Rébellion ont été semées lorsque la Société des Nations, a inclus dans le « mandat » qu’elle a accordé au gouvernement britannique sur la Palestine en 1922, une formulation facilitant l’immigration juive européenne dans le pays.
La vie à Jaffa pour les Palestiniens a été affectée de façon extrêmement horrible à la fois pendant et après la Grande Rébellion et pendant et après la Nakba de 1948, qu’Israël qualifie d’« indépendance », mais qui en réalité est une conquête et une colonisation de la Palestine par des forces étrangères, fait qui perdure jusqu’à ce jour.
Il est incorrectement fait référence à la dépossession sanglante des Palestiniens sur l’internet comme étant une « guerre civile ». C’est ce que Google crache à la pelle.
L’immigration juive étrangère massive qui, en fait, s’en suivit en Palestine conformément aux politiques du mandat britannique a, naturellement, causé du ressentiment chez les Arabes palestiniens ; ils ont opposé résistance à l’appropriation de la Palestine par le mouvement sioniste juif, qui était orchestré depuis l’Europe.
Jaffa a subi un bouleversement violent important en 1936 quand l’armée britannique a fait exploser de grandes parties (de 220 à 240 bâtiments) de la Vieille Ville de Jaffa, prétendument à des fins d’ « urbanisme », mais en réalité par représailles contre la rébellion palestinienne.
Des tracts furent lâchés sur Jaffa et ses environs intimant aux habitants de quitter leur maison avec pour résultat final le fait que 6000 Palestiniens se sont retrouvés sans abri.
La vie pour ces Palestiniens pendant les évènements de la Grande Révolte s’est gravement détériorée. Il existe de nombreux témoignages des difficultés dévastatrices de cette période, y compris , par exemple, le récit d’un policier britannique exécutant un Arabe palestinien dans le district Manshiya de Jaffa, et d’incidents impliquant des soldats britanniques dérobant l’argent de poche de Palestiniens – même celui d’enfants.
Les évènements de la Nakba qui ont mené à l’établissement par la force de l’état d’Israël ont poursuivi la destruction du tissu économique et social palestinien à Jaffa commencée par les Britanniques comme décrit ci-dessus.
Dès les années trente, la fabrication du mythe selon lequel la Palestine était une terre inhabitée avait commencé.
« Dans les années trente le peintre juif Nahum Gutman réalisa une peinture de la zone entre la Vieille Mosquée de Jaffa et Tel Aviv comme si elle était déserte, rien que du sable. Il a effacé de sa vue les maisons arabes qui s’y trouvaient, illustrant le concept sioniste d’une terre vide, ignorant les Palestiniens qui en réalité y vivaient. En 1948 il y avait à Jaffa 100 000 habitants, palestiniens et juifs. Les photos qui le montrent ne sont pas exposées dans les musées israéliens.
En 1931, la population de Jaffa comptait 44 638 Palestiniens (non juifs) et 7209 Juifs palestiniens.
En vertu du Plan de Partition de l’ONU, Jaffa devait faire partie d’un état arabe. Cependant, les forces terroristes juives (l’Irgoun) et les milices de la Haganah ont fait le siège de Jaffa, la coupant de fait du reste de la Palestine, et ont bombardé indistinctement la population palestinienne avec des obus de mortier pendant quatre jours et quatre nuits en avril 1948.
Des recherches israéliennes, comme celle d’Amiram Gonen font état de l’ « émergence d’un berceau géographique » après la Nakba à Jaffa et Tel Aviv.
Mais le fait est, qu’après l’établissement en 1948 d’Israël comme état juif dans une Palestine partagée, la vie à Jaffa a cessé d’exister pour un nombre considérable de Palestiniens, pour la simple raison qu’ils ont été expulsés de la ville et qu’il leur était interdit d’y retourner. Les Britanniques ont essayé d’empêcher l’expulsion des Arabes palestiniens de Jaffa, mais ont échoué, cédant leurs bases militaires aux forces sionistes.
Aujourd’hui, les réfugiés et exilés de Jaffa sont dispersés en Cisjordanie et dans le monde entier, mais ils n’ont pas oublié la vie qu’ils y menaient avant la Nakba.
Pour donner un exemple, jusqu’à 80% de la population du camp de réfugiés de Balata en Cisjordanie, à l’est de Naplouse, est originaires de Jaffa. C’est un camp destiné à accueillir 5000 réfugiés, mais il compte actuellement plus de 27200 Palestiniens et est connu comme symbole de résistance.
Seulement 30%de la population de Jaffa aujourd’hui est arabe palestinienne. C’est une histoire qui vaut la peine qu’on s’en souvienne et qu’on la raconte encore et encore parce qu’elle continue à être enterrée sous une avalanche de hasbara israélienne.
« L’expulsion des Palestiniens – non seulement les combattants mais les civils – avaient été soigneusement préparée. Tout au long des années 1930 et 40, des dossiers sur tous les villages palestiniens avaient été méticuleusement constitués par les milices sionistes et conservés dans les archives de la Haganah (L’organisation militaire sioniste en activité pendant la période du mandat britannique, 1921-48, à la suite de quoi elle a formé la base de l’IDF). On peut encore aujourd’hui consulter ces dossiers dans les archives de la Haganah (Pappe, Ethnic cleansing, passim).
« La Haganah a envoyé des espions dans les villages palestiniens, où ils ont profité de l’hospitalité arabe qui leur était offerte et, sous prétexte de se soucier du bien-être de leurs hôtes, ils se sont renseignés sur le nombre d’animaux et la superficie de terre que chaque famille possédait. Ces informations se sont révélées utiles quand la moitié des villages ont été détruits au cours de la Nakba. Elles ont aussi certainement constitué une base de données pour le « Grand Vol de Livres » qui s’est produit en même temps, quand 70 000 volumes ont été dérobés dans les maisons de Palestiniens aisés et dans des mosquées, certains d’entre eux devant être réduits en pâte à papier car jugés ‘hostiles’ au nouvel état israélien, et d’autres atterrissant dans la bibliothèque nationale avec ‘AP’ (bien abandonnée) gravé au dos. »
Pour les Palestiniens qui restent, la vie à Jaffa aujourd’hui, comme l’écrivent Sami Abu Shehadeh et Fadi Shbaytah ci-dessous, est dure ;
« L’histoire de la Nakba de Jaffa qui se poursuit est l’histoire de la transformation de ce centre urbain moderne florissant en un quartier marginalisé souffrant de pauvreté, de discrimination, d’embourgeoisement, de criminalité, et de démolition depuis la vague initiale d’expulsion massive en 1948 jusqu’à nos jours.
La vie des Palestiniens de Jaffa (et d’autres villes palestiniennes) pendant le mandat britannique a été documentée (et illustrée par des photos de l’époque) dans un livre merveilleux publié sous la direction de Walid Khalidi intitulé ‘Before their Diaspora.” (Avant leur diaspora)
[Pour ceux que le sujet intéresse, The Institute for Palestine Studies, a mis en ligne le livre de Walid Khalidi est consultation gratuite]
Auteur : Rima Najjar
* Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille du côté paternel vient du village de Lifta dans la banlieue ouest de Jérusalem, dont les habitants ont été expulsés. C’est une militante, chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise, Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée. Ses articles sont publiés ici.Son compte Twitter.
27 avril 2018 – The Palestine Chronicle – Traduction: Chronique de Palestine – MJB