Le soutien du Qatar aux Palestiniens semble être l’une des principales causes du blocus imposé par les Saoudiens à Doha, dans le cadre d’une convergence de plus en plus appuyée entre Riyad et Abu Dhabi et l’administration du président américain Donald Trump – le président qui a le plus appuyé Israël au cours de ces dernières décennies.
Mardi, Adel al-Jubeir, le ministre saoudien des Affaires étrangères, a clairement fait savoir qu’une demande clé de son gouvernement en échange du rétablissement des liens avec Doha était que le Qatar mette fin à son “soutien” au groupe palestinien du Hamas, qui défend la résistance armée contre Israël et avait été le vainqueur des dernières élections générales tenues dans les territoires palestiniens occupés.
Jubeir, pour la première fois dans l’histoire saoudienne, a traité le Hamas de groupe “extrémiste”. Au cours de la visite de Trump à Riyad à la fin de mai, le président américain a proclamé que le groupe était “terroriste” comme l’étaient l’État islamique et al-Qaïda, sans que Riyad ne rétorque.
L’Arabie Saoudite avait précédemment apporté son soutien au Hamas et accueilli ses dirigeants jusqu’à aussi récemment que 2015. Cependant, suite à l’accord nucléaire iranien, le Royaume et son allié, les Émirats arabes unis, ont fait des offres de plus en plus appuyées de normalisation avec Israël – leur ennemi commun étant l’Iran.
Depuis les événements du printemps arabe, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sont également devenus hostiles aux Frères musulmans auxquels le Hamas est affilié, les considérant comme une menace de tous les instants pour leurs régimes.
Le Qatar, en revanche, a maintenu de bonnes relations avec la plupart des factions palestiniennes y compris le Hamas et le Fatah, et a investi des dizaines de millions de dollars dans la reconstruction de Gaza assiégée et décimée par des années de guerres israéliennes.
Le Qatar, bien qu’étroitement lié aux États-Unis, a maintenu une politique indépendante sur la Palestine, ce qui a souvent causé des problèmes avec des officiels pro-israéliens en Occident.
Aujourd’hui, les voisins du Qatar semblent se joindre à la mêlée, reprenant à leur compte le discours israélien sur des groupes comme le Hamas, au nom de la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme, sans définir ni l’un ni l’autre.
Il convient de noter que les Émirats Arabes Unis accueillent et soutiennent l’archi-rival du Hamas, le leader exilé du Fatah Mohammed Dahlan qu’ils espèrent imposer comme prochain président palestinien.
“Le Qatar est puni pour son rôle et son influence sur l’arène palestinienne auprès du président Mahmoud Abbas et du Hamas”, a déclaré l’analyste politique Ibrahim al-Madhoun, à The New Arab.
“Le rôle du Qatar est l’une des causes de la crise du Golfe, car sa position équilibrée et son influence sont devenues une cause de souci pour ses rivaux”, a-t-il ajouté.
Taysir Muhaisen, commentateur politique, est d’accord avec cette analyse. “Toutes les parties, à l’occasion de l’émergence d’une nouvelle administration américaine, ont décidé de faire pression sur le Qatar qui a eu une approche différente sur plusieurs questions dont la question palestinienne, et traite avec le Hamas et toutes les factions palestiniennes … tout en aidant Gaza à limiter les effets du blocus”, a-t-il dit de son côté.
Un désastre pour Gaza
Le Qatar est l’un des rares soutiens étrangers du Hamas et il fait face à la forte pression de ses voisins du Golfe pour réduire ses liens avec le groupe militant islamique. Si tel est le cas, le résultat pourrait être désastreux pour Gaza, selon une analyse de l’Associated Press.
Le Qatar a investi des centaines de millions de dollars dans les routes, le logement et un grand hôpital dans le petit territoire assiégé. Ses projets d’infrastructure sont l’un des rares pourvoyeurs d’emplois dans une économie dévastée.
Gaza souffre déjà d’un blocus israélo-égyptien, d’une destruction massive suite à la série de guerres lancées par Israël contre le Hamas, de la misère économique et d’une pénurie d’électricité chronique. Pour le Hamas, l’injection de l’argent du Qatar dans l’économie est vitale et lui permet de garder son administration à flots.
La simple perspective de perdre le soutien du Qatar a incité mercredi le Hamas à émettre une rare critique contre l’Arabie saoudite, le pays à l’origine de la campagne contre son petit voisin du Golfe.
Le responsable du Hamas, Mushir al-Masri, a déclaré que l’appel saoudien au Qatar pour réduire ses liens avec le groupe palestinien était “regrettable” et contredisait le soutien arabe traditionnel pour la cause palestinienne. Il a accusé l’Arabie saoudite de céder aux “appels américains et sionistes pour mettre le Hamas sur la liste des groupes dits ‘terroristes'”.
Le Qatar a nié les accusations lancées contre lui par Riyadh. Mais sa petite taille et sa dépendance à l’égard des importations de produits alimentaires en provenance d’Arabie saoudite pourraient être susceptibles d’exercer une pression.
Cela pourrait affecter le Hamas. Le groupe – qui appelle à la disparition d’Israël, même s’il a offert des cessez-le-feu intérimaires à long terme – est considéré comme une organisation terroriste par Israël et ses soutiens occidentaux. Israël a lancé trois guerres transfrontalières contre le Hamas, et ces guerres ont causé des dommages à grande échelle à Gaza.
Le Qatar ne soutient pas directement le Hamas, mais ses importants projets ont considérablement soulagé le fardeau sur les autorités du Hamas et lui ont donné un certain crédit pour l’apport de cet argent dans Gaza.
En 2012, l’ancien émir du Qatar, Hamad bin Khalifa al-Thani, a visité Gaza, et il a été le premier et le seul chef d’État à le faire depuis que le Hamas a pris le pas sur le Fatah de l’ex-président palestinien Mahmoud Abbas à Gaza, lors d’une lutte intestinale un an après que le Hamas ait remporté les élections législatives de 2006. L’émir avait alors annoncé une subvention de 407 millions de dollars pour des projets humanitaires.
Cette subvention est utilisée pour construire un complexe résidentiel de 3000 unités. Deux phases du projet ont été réalisées et les familles ont emménagé dans leurs nouvelles maisons, dans ce qui est appelé la zone résidentielles de Hamad dans la ville de Khan Younis, au sud de la bande de Gaza.
Le mois dernier, des entrepreneurs palestiniens et des envoyés du Qatar ont signé des accords pour entamer la troisième et dernière phase de la construction du complexe de Hamad. A présent, ces accords pourraient être gelés.
À l’aide de cette subvention, le Qatar a également construit un centre spécialisé en prothèses, le premier de son genre à Gaza. Le Qatar a refait des routes, réparé ou reconstruit des mosquées et supervisé des dizaines d’autres projets d’infrastructure.
Après une guerre de 50 jours d’Israël contre le Hamas en 2014, le Qatar a été le plus grand donateur pour la reconstruction de Gaza, promettant 1 milliard de dollars dans une conférence internationale réunie au Caire.
Le Qatar a également aidé à payer les livraisons de carburant et d’électricité venues d’Israël, qui, malgré son inimitié envers le Hamas, fournit de l’énergie à Gaza, prétendument pour des raisons humanitaires.
Mercredi, des bulldozers avec des drapeaux qataris ont été vus nivelant de la terre à proximité de la route côtière de la ville de Gaza. L’endroit est censé abriter le siège de la “Mission de reconstruction” du Qatar à Gaza et une résidence pour un envoyé.
Dans la ville de Hamad, des boutiques et des magasins s’ouvrent, dont une pharmacie nommée Qatar, des coiffeurs et un café équipé de jeux vidéo, tandis que les familles emménagent. Le complexe est le plus important de Gaza.
Wael al-Naqla, un entrepreneur, a gagné un appel d’offres pour construire plusieurs bâtiments dans la phase finale. Grâce à l’argent du Qatar, il est l’un des rares propriétaires d’entreprises qui peuvent embaucher des travailleurs dans la bande de Gaza aujourd’hui.
“Sans ces projets, nous aurions fermé depuis longtemps”, a-t-il déclaré, exprimant sa crainte que le financement puisse bientôt se tarir. “Nous avons peur de ne pouvoir continuer de payer nos 20 travailleurs et ils ne pourront plus subvenir à leurs besoins”.
La construction est l’un des rares points positifs dans Gaza.
La situation est sombre. Le territoire souffre de coupures de courant, avec seulement quatre heures d’électricité continues, suivies de 14 à 18 heures d’interruption. L’eau du robinet est imbuvable, le chômage des jeunes est estimé à 60%, et des milliers attendent l’occasion rare de pouvoir sortir du territoire bloqué.
Mkhaimar Abusada, un analyste politique indépendant de Gaza, a déclaré que la pression sur le Qatar pourrait augmenter l’isolement politique et financier du Hamas.
Cette semaine, une délégation de haut niveau du Hamas a été convoquée dans l’Égypte voisine, dont les relations avec le Hamas se sont refroidies. “Si ces discussions ne conduisent pas à une nouvelle entente pour éviter que le Hamas ne se retrouve dans une situation politique difficile, je pense que la crise va empirer”, a déclaré Abusada.
8 juin 2017 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine