Réfugiés : la traversée de la Méditerranée devient de plus en plus meurtrière

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Opération de sauvetage menée par l'organisation Médecins Sans Frontières - Les entraves aux opérations de sauvetage en Méditerranée auront des conséquences meurtrières pour les réfugiés - Photo : MSF
Anealla SafdarLes groupes de défense des droits humains s’inquiètent de la probabilité de plus en plus grande de mourir noyé sur la route migratoire « la plus dangereuse », et de l’aggravation des conditions de vie en Libye.

Les réfugiés et les migrants sont en train de mourir en Méditerranée à un rythme plus élevé que l’année dernière, a annoncé l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et les groupes de défense des droits humains alertent l’opinion sur les conditions désastreuses qui règnent en Libye, désormais le principal pays de départ.

Alors que moins de réfugiés se sont noyés en 2017 que l’année dernière à la même période, le nombre d’arrivées a diminué drastiquement, ce qui signifie que ceux qui partent de la côte libyenne ont plus de chances de mourir.

Au moins 2 500 réfugiés et migrants sont morts du 1er janvier au 13 septembre 2017, contre 3 262 sur la même période de 2016, selon l’OIM, soit une baisse de 22%.

Toutefois, les arrivées vers l’Europe ont fortement diminué, passant de 293 806 à 128 863, soit une baisse de 57 %.

Au rythme de cette année, un réfugié sur 50 meurt sur la route de l’Europe. L’année dernière, c’était un sur 90.

« Le nombre des décès de migrants qui tentent de traverser la Méditerranée est presque deux fois plus élevé en 2017 qu’en 2016 », a déclaré l’OIM dans un récent rapport.

« En dépit de l’attention considérable des médias et des politiques et de l’intensification des efforts de recherche et de sauvetage par toute une série d’acteurs, le nombre de morts en Méditerranée a continué à croître … Le taux de décès est passé de 1,2% au premier semestre de 2016 à 2,1% pendant la première moitié de 2017.

« Bien que moins de migrants aient traversé la Méditerranée en 2017, un pourcentage plus élevé d’entre eux a péri pendant le voyage ».

Le voyage en Méditerranée centrale, depuis la Libye vers Malte ou l’Italie, est maintenant la route la plus fréquentée par les réfugiés.


Récits de réfugiés, parlant des conditions de vie
dans les prisons en Libye

En mars de l’année dernière, deux événements ont ralenti le flux des réfugiés européens qui migrent depuis la Turquie et la Grèce.

Tout d’abord, une série de pays a fermé concrètement la route des Balkans qui permettait aux réfugiés de voyager par voie de terre de la Grèce vers l’Europe occidentale. L’accord UE-Turquie est également entré en vigueur : il incite les demandeurs d’asile arrivés en Grèce à repartir en Turquie, et il a fermé la route de la mer Egée. La plupart des personnes concernées venaient du Moyen-Orient et d’Asie.

La plupart des migrants qui tentent de venir en Europe en passant par la Libye sont africains, marocains ou bangladais.

« Une partie de cette hausse [du taux de mortalité] est due à la plus grande proportion de migrants qui suivent désormais la route la plus dangereuse – celle de la Méditerranée centrale », indique le rapport de l’OIM.

Les trafiquants ont également rendu le voyage de plus en plus dangereux, en remplaçant les bateaux par des canots en caoutchouc, en utilisant moins de carburant et en empêchant les réfugiés d’emporter beaucoup d’eau potable, ont expliqué des groupes de défense des droits humains à Al Jazeera.

15 000 personnes tuées en quatre ans

Depuis que ces déplacements meurtriers ont commencé à faire les grands titres, en octobre 2013, il y a 4 ans, la traversée de la Méditerranée a coûté la vie à au moins 15 000 réfugiés et migrants, ce qui représente plus de la moitié des 22 500 réfugiés et migrants décédés ou disparus dans le monde.

Ces chiffres remettent en perspective les déclarations des responsables européens qui se sont empressés de se féliciter de fait qu’on trouvait dernièrement moins de corps en mer ou sur les rivages.

Par exemple, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en prononçant son troisième discours sur l’état de l’Union au Parlement européen le 13 septembre, a affirmé : « Nous avons considérablement réduit les pertes humaines en Méditerranée ».

Cependant, Juncker a tempéré cette affirmation en appelant l’Europe à « améliorer de toute urgence les conditions de vie des migrants en Libye » et en reconnaissant que les conditions qui règnent dans les centres de détention sont « inhumaines ».

« Moins de départs de Libye signifient plus de personnes qui vivent dans des conditions insupportables en Libye », a déclaré à Al Jazeera Judith Sunderland, directrice associée pour l’Europe à Human Rights Watch (HRW).

Les groupes de droits humains ont accumulé, au fil des mois, les preuves d’un vaste système d’exploitation et d’abus des milliers de réfugiés qui se trouvent en Libye.

Bien qu’il soit possible que tous les réfugiés et les migrants piégés en Libye ne se soient pas enfuis de chez eux parce qu’ils y subissaient des violences, ils veulent certainement tous échapper aux horribles conditions de vie qui règnent dans ce pays déchiré par la guerre et l’insécurité, a ajouté Sunderland, en citant des rapports faisant état de coups, de torture, de violences sexuelles et de travail forcé.

Les ONG ont également condamné les tirs des garde-côtes libyens soutenus par l’UE sur les travailleurs humanitaires et les réfugiés en mer.

« En Méditerranée, nous sommes actuellement témoins d’une offensive pure et dure contre les migrants et les organisations de recherche et de sauvetage de migrants, menée par les institutions et les États membres de l’UE, main dans la main avec leurs alliés autoritaires de Libye, pour fermer la route de migration de la Méditerranée centrale », a déclaré un porte-parole d’Alarmphone, un réseau de groupes d’activistes et de migrants qui a ouvert une ligne téléphonique 24 heures sur 24 pour les réfugiés en détresse en mer.

« Actuellement, il n’y a aucune raison de se réjouir. Les causes profondes de la migration et de la fuite n’ont pas changé. »

Des officiels italiens se félicitent également de la baisse du nombre des arrivées qu’ils attribuent à une lutte plus intensive contre les passeurs.

« Ce n’est pas surprenant, » selon Sutherland de HRW que « les Italiens se félicitent de la baisse des départs de Libye et cherchent à s’en attribuer le mérite – c’est un énorme problème politique en Italie ; et c’est le début de la campagne pour les élections de 2018. »

L’offensive occidentale contre les réfugiés s’est intensifiée aussi en février de cette année, lorsque l’Union Européenne a signé un accord de 215 millions de dollars avec le fragile gouvernement libyen pour arrêter les bateaux migrants, encourager le rapatriement volontaire et mettre en place des camps « sécurisés » en Libye.

« Réduire le nombre de bateaux qui partent des rivages de la Libye ne résout pas le problème, il le repousse tout simplement à l’intérieur de la Libye et dans les centres de détention », a déclaré à Al Jazeera Marcella Kraay, coordonnatrice de Médecins Sans Frontières (MSF) à bord du bateau de sauvetage Aquarius.

« Presque toutes les personnes que les équipes de recherche et de sauvetage de MSF sauvent de la noyade en Méditerranée ont été violentées et exploitées en Libye d’une manière ou d’une autre : enlèvement avec rançon, travail forcé, violences sexuelles et prostitution forcée, captivité ou détention arbitraire ».

L’ONG affirme qu’elle a aidé des femmes enceintes à cause d’un viol, et traité des personnes qui avaient subi des violences : os brisés, plaies infectées et vieilles cicatrices de coups et d’abus.

« L’UE doit changer de stratégie et faire passer la sécurité des réfugiés et des migrants avant tout », a déclaré Kraay. « Au lieu de se concentrer sur les symptômes de la guerre et d’empêcher les gens de partir, les États membres de l’UE devraient trouver des solutions pour les aider… L’injection d’argent sans transparence, sans contrôle et sans obligation de rendre des comptes, risque d’alimenter le business de la détention et les abus ».

Les groupes de défense des droits humains craignent que, dans l’avenir, le nombre des personnes qui embarquent en Libye dans de fragiles embarcations ne revienne aux niveaux antérieurs, avec des passeurs qui mettent en danger la vie de milliers de réfugiés de plus.

« [Les réfugiés] doivent pouvoir échapper aux terribles conditions de vie de la Libye. Il faut leur procurer des moyens légaux et sécurisés d’atteindre le territoire de l’UE », a déclaré à Al Jazeera, le porte-parole d’Alarmphone.

Annexe : nombre de réfugiés morts en Méditerranée les quatre dernières années :

2013 : 700
2014 : 3 279
2015 : 3 784
2016 ; 5 143
Du 1er janvier au 13 septembre 2017 : 3 262
Source: OIM

* Anealla Safdar est éditrice adjointe de Al-Jazeera version anglaise.
Elle peut être jointe sur Twitter : @anealla


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18 septembre 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet