Répression et résistance : les Cachemiris et les Palestiniens ont des points communs

Avril 2017 - Affrontement entre des Cachemiris et l'armée indienne

Par Usaid Saddiqui

Usaid Saddiqui établit un parallèle entre les expériences et les défis auxquels sont confrontés les Cachemiris et les Palestiniens en vue d’encourager la formation d’une alliance entre les deux populations.

La recrudescence des tensions qui a eu lieu ce mois-ci au Jammu-et-Cachemire, sous contrôle indien, a coûté la vie à plus de 50 personnes et constitue l’un des pires cycles de violence observés au cours des dernières années. Lors de ces manifestations, les Cachemiris sont descendus dans les rues pour protester contre la mort d’un chef militant local très populaire, Burhan Wani, tué au cours d’une confrontation avec les forces de sécurité indiennes. 

Le différend du Cachemire remonte à 1947 (à peu près à la même époque que le conflit israélo-palestinien) ; l’Inde et le Pakistan ont alors livré deux guerres pour le contrôle du territoire riche en ressources. Au cours des années 1990, une insurrection d’une dizaine d’années aurait coûté la vie à quelque 70 000 Cachemiris.

À bien des égards, il existe des parallèles entre le sort des Cachemiris et la lutte du peuple palestinien : la militarisation du territoire du Cachemire, la répression (souvent violente) des manifestations et la détention systématique de manifestants et d’activistes sont une réalité que les Palestiniens ne connaissent que trop bien.

Alors que les conflits au Cachemire et en Palestine émanent d’histoires géopolitiques différentes, chacune avec un niveau de réussite varié dans l’instauration d’une paix et d’une stabilité durables, les pressions quotidiennes d’une vie sous une présence militaire et une occupation imposantes ont produit des expériences similaires tant pour les Cachemiris que pour les Palestiniens.

La violence d’État indienne

En janvier 1990, des dizaines de personnes ont été tuées dans ce que l’on connaît désormais sous le nom de massacre de Gawkadal. Les forces indiennes ont tiré sans discernement sur un grand nombre de manifestants pacifiques qui chantaient des slogans indépendantistes. Les manifestations ont été déclenchées par les agissements des forces de sécurité indiennes, qui a procédé à « des perquisitions sans mandat effectuées de maison en maison, l’arrestation de centaines de personnes, des passages à tabac contre ces personnes et un harcèlement présumé contre les femmes ».

Cet épisode allait servir de catalyseur pour la mer de violence dans laquelle les Cachemiris allaient être plongés pendant la majeure partie des années 1990 – entre les militants locaux soutenus par les Pakistanais et les forces de sécurité indiennes.

Au plus fort de l’« insurrection du Cachemire », en 1993, Human Rights Watch a publié un rapport accablant qui rendait compte de façon exhaustive d’un massacre de civils et d’un recours à une force meurtrière sans discernement depuis le début de l’insurrection, en 1987.

En janvier 1993, dans la ville de Sopore, un bataillon de la Force de sécurité frontalière (BSF) a ouvert le feu sans discernement dans une zone marchande publique, tuant 43 personnes, dans ce qui semblait être un acte de représailles consécutif à une attaque lancée par des militants locaux contre la BSF.


Cachemire : un conflit politique

Outre les attaques de représailles et les tirs contre les manifestants, le recours à la torture était répandu pendant le conflit ; les chocs électriques, la suspension par les mains ou par les pieds et les passages à tabac violents faisaient partie des méthodes appliquées par les forces de sécurité. 

Les détentions illégales et les disparitions sont devenues la norme. Selon les estimations, depuis 1990, 8000 hommes ont « disparu » pendant leur détention ou lors de mesures de répression. En 2006, HRW a signalé un modèle de violence d’État et de mépris à l’égard des libertés civiles fondamentales des Cachemiris similaire à ce que l’organisation avait rapporté 13 ans plus tôt. 

L’expérience des Cachemiris face à l’appareil sécuritaire indien était irréfutablement familière au peuple palestinien. Au cours de leur lutte de près de 60 années contre l’occupation israélienne, les Palestiniens ont subi deux soulèvements (la première intifada et la seconde intifada) qui ont entraîné des mesures de répression massives en Cisjordanie et à Gaza.

Au cours de la première intifada, qui a débuté en 1988, une série d’événements similaire s’est produite ; des dizaines de milliers de personnes ont été blessées en protestant contre l’occupation et plus d’un millier de Palestiniens ont été tués alors que les Forces de défense d’Israël répliquaient avec une force brutale.

En novembre 1989, le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem a estimé que plus de 1 700 Palestiniens se trouvaient en détention, dont beaucoup étaient détenus pour de longues périodes et torturés pendant leur détention.

Le discours du « terrorisme »

Après les événements tragiques du 11 septembre, l’Inde a vu une occasion en or d’encadrer ses efforts de lutte contre le terrorisme au Cachemire dans le contexte plus large de la guerre contre le terrorisme.

Ce faisant, les gouvernements indiens successifs ont tenté de promouvoir l’idée que leurs efforts de lutte contre le terrorisme au Cachemire visent à maîtriser une menace semblable à celle à laquelle les États-Unis et l’Europe font face. Le gouvernement cherche ainsi à détourner l’attention de ses propres carences dans sa réponse aux véritables préoccupations de la majorité musulmane du Cachemire.

« Vu à travers le brouillard de la ‘guerre contre le terrorisme’ et la propagande cynique du gouvernement indien, le problème au Cachemire semblait entièrement lié aux terroristes djihadistes », a déclaré l’auteur indien Pankaj Mishra en 2008.

Comme l’Inde, Israël a aussi vu une ouverture et essaie depuis le 11 septembre de se disculper de son occupation en sautant dans le wagon mondial de la guerre contre le terrorisme.

La colonisation continue de la Cisjordanie par Israël et le blocus de Gaza ont largement reposé sur l’idée d’ériger la résistance palestinienne en menace pour la survie de l’État israélien, alors qu’Israël reste le plus grand bénéficiaire de l’aide militaire des États-Unis (et s’apprête à recevoir le plus grand pack militaire américain de l’histoire israélo-américaine) et détient un arsenal nucléaire officieux.

Bien qu’il soit indéniable que le terrorisme au Cachemire dans les années 1990 a entraîné la mort de nombreux civils (musulmans et hindous) – dont des morts causées par des groupes soutenus par le Pakistan –, la présence de 300 000 à 500 000 membres des forces militaires et de sécurité indiennes, conjuguée à l’attitude impitoyable de tous les gouvernements indiens au cours des 25 dernières années, a privé les Cachemiris de toute perspective significative d’un avenir pacifique.

La récupération du discours

Dans l’ère actuelle des réseaux sociaux, il est presque impossible que les histoires douloureuses infligées aux Cachemiris ou aux Palestiniens ordinaires à la demande des forces indiennes et israéliennes puissent continuer à être ignorées.

Indépendamment de la perception que l’on a de lui, la popularité indéniable de Wani résultait en grande partie de ses messages sur Internet qui lui ont valu une large base de fans.

L’assaut israélien de 2014 à Gaza, observé en partie à travers les messages postés en direct sur Twitter par Farah Baker, une adolescente gazaouie, a donné à des millions de personnes un aperçu de la vie sous les bombardements israéliens d’une personne qui a survécu à trois guerres durant sa courte existence – alors que pendant tout ce temps, les médias traditionnels répétaient majoritairement le discours israélien.  

En outre, à mesure que les idées et les informations deviennent de plus en plus accessibles, la solidarité transnationale et l’alliance entre Cachemiris et Palestiniens peuvent le devenir tout autant, avec la reconnaissance par chacune de ces populations de la similarité entre les défis auxquels elles sont confrontées.

Cela se révélerait bénéfique en renforçant la sensibilisation à leurs luttes respectives et cela contribuerait à porter leurs histoires devant des publics du monde entier – en particulier dans le cas du Cachemire, un conflit qui n’est bien connu que dans les limites de la politique sud-asiatique.

Dans un élan de solidarité, Mirwaiz Umar Farooq, chef cachemiri de premier plan, a soutenu le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) en encourageant les Cachemiris à boycotter les produits israéliens dans la région contestée, une démarche soutenue par des commerçants locaux et des entreprises de la région.

Au cours de l’assaut à Gaza, il y a deux ans, des manifestations quotidiennes ont eu lieu au Cachemire, lors desquelles un adolescent a été tué après que des soldats indiens ont ouvert le feu sur les manifestants.

La paix pourrait bien être insaisissable au cours des années à venir ; néanmoins, dans cet âge où les informations sont un moteur, ni le gouvernement indien, ni le gouvernement israélien ne pourront prétendre encore longtemps être des victimes perpétuelles dans des conflits dont ils sont en grande partie responsables.

* Usaid Siddiqui est un auteur indépendant canadien. Il a écrit sur l’actualité pour PolicyMic, Aslan Media, Al Jazeera America et Mondoweiss. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @UsaidMuneeb16

4 août 2016 – The New Arab – Traduction : Chronique de Palestine – Valentin B.