Comment les soldats israéliens interrogent les prisonniers palestiniens

Photo : Shatha Hammad/Al Jazeera
Nathalie Shoukha, une adolescente de 15 ans, a été blessée par un coup de feu tiré par un soldat israélien, et elle a été détenue pendant un an - Photo : Shatha Hammad/Al Jazeera

Par Shatha Hammad, Farah Najjar

Pendant la Journée des prisonniers palestiniens, les détenus et leurs proches relatent les horribles tortures et abus de toutes sortes qui leur sont infligés dans les prisons israéliennes. Il y a actuellement 6 500 prisonniers politiques palestiniens dans les prisons israéliennes.

Depuis 1974, date à laquelle le premier prisonnier palestinien a été libéré dans un accord d’échange, le 17 avril, les Palestiniens célèbrent la Journée des prisonniers palestiniens pour manifester leur solidarité avec les prisonniers enfermés dans les geôles israéliennes.

Actuellement, il y a 6500 prisonniers politiques palestiniens dans les prisons israéliennes. Ce nombre comprend 300 enfants et 53 femmes, selon Addameer, une association basée à Jérusalem de défense des droits de l’homme et de soutien des prisonniers palestiniens. Laith Abu Zeyad, le représentant juridique international d’Addameer, a déclaré à Al Jazeera qu’Israël arrête de 500 à 700 enfants chaque année en Cisjordanie occupée.

Quand ils sont arrêtés, les civils palestiniens résidant en Cisjordanie sont jugés par des tribunaux militaires israéliens dont les taux de condamnation atteignent 99,7%, selon Abu Zeyad. Faire juger des civils par un tribunal militaire est une violation du droit international. Cela signifie que le droit des civils à une procédure réglementaire est systématiquement violé.

Pendant ce temps, les détenus administratifs sont arrêtés sur la base des données du renseignement militaire israélien auxquelles le détenu n’a pas accès. Les détenus administratifs peuvent être détenus sans inculpation, ni procès, pendant une période de six mois, qui peut être renouvelée indéfiniment.

Un rapport conjoint publié par plusieurs organisations non gouvernementales palestiniennes (des ONG) a indiqué qu’il y a eu 509 arrestations en mars 2017, dont 75 enfants. « Généralement les enfants sont accusés de lancer des pierres », a déclaré Zeyad.

L’année dernière a connu un triste record d’arrestations d’enfants prisonniers. Suite à une modification des lois israéliennes, il est devenu possible d’envoyer les mineurs palestiniens de moins de 14 ans directement en prison, au lieu de passer par un juge. En 2016, 21 mineurs se trouvaient en détention administrative. La même année, énormément d’enfants palestiniens ont été condamnés à de longues peines de prison, certains même à plus de 10 ans d’emprisonnement.

Selon Addameer, le plus jeune prisonnier palestinien est, à l’heure actuelle, un garçon de 12 ans qui a été accusé de lancer des pierres.

Fouad al-Shobaki est le prisonnier le plus âgé. Il a 76 ans et il a été condamné, en 2006, à une peine de 20 ans de prison pour avoir fourni des armes à des groupes palestiniens. Il y a 19 mères parmi les femmes prisonnières, selon Zeyad, certaines soumise à la mesure punitive d’être interdites de visites. « Pour nous, toutes les arrestations sont arbitraires », a-t-il déclaré. « Les lois sont arbitraires, les détenus se voient refuser l’accès aux avocats, et ils sous souvent soumis à des cycles d’interrogatoires qui peuvent aller jusqu’à deux mois  ».

Selon le Bureau central palestinien des statistiques, environ un million de Palestiniens ont été arrêtés depuis 1948.

Ci-dessous, deux ex-prisonniers partagent leurs expériences de la détention, et une mère partage sa souffrance d’être loin de son fils incarcéré.

Nathalie Shoukha, 15 ans, Ramallah, Cisjordanie occupée

Le 29 avril 2016, Nathalie et son amie Tasneem traversaient un checkpoint de l’armée israélienne dans le village de Beit Ur al-Tahta, à l’ouest de Ramallah, en Cisjordanie occupée. Nathalie, qui ne se méfiait pas, a soudain été encerclée par plusieurs soldats d’occupation israéliens qui l’ont frappée jusqu’à ce qu’elle tombe par terre.

Personne n’a écouté ses appels à l’aide, et ils ont continué à la tabasser jusqu’à ce qu’elle perde conscience, et pour finir, un des soldats lui a tiré dessus, explique-t-elle.

« J’ai reçu une balle dans l’épaule et j’ai commencé à perdre beaucoup de sang. Je n’ai perdu connaissance que lorsqu’ils m’ont fait tomber par terre et qu’ils se sont mis à me donner des coups de pieds. La douleur était si insupportable que la seule chose qui m’importait était qu’elle cesse d’une manière ou d’une autre! » a-t-elle déclaré à Al Jazeera.

Nathalie a été transférée dans un hôpital israélien à Jérusalem, et elle a passé trois jours entiers dans le coma. Elle a subi une intervention chirurgicale pour retirer la balle de son épaule et elle a été réveillée de l’anesthésie par les hurlements d’un Israélien qui voulait l’interroger.

« Il est entré de force dans la chambre d’hôpital et s’est mis à crier et à taper du poing sur la table qui était devant moi. J’avais besoin de me reposer un peu et j’avais du mal à parler, mais il m’a quand même interrogée pendant très longtemps », a-t-elle déclaré.

« Je ne comprenais pas ce qui se passait, je ne savais pas pourquoi ils m’avaient tiré dessus, ni pourquoi j’avais été arrêtée. Je ne savais pas pourquoi je devais aller en prison maintenant, ni ce que j’allais y faire. J’étais terrifiée et tout ce que je voulais, c’était rentrer à la maison », a ajouté Nathalie.

Les jours passaient et les autorités israéliennes ne l’autorisaient pas à voir ses parents, a-t-elle dit. Finalement, sa mère a réussi à venir la voir après plusieurs tentatives infructueuses pour obtenir un permis d’entrée à Jérusalem depuis la Cisjordanie.

Les Palestiniens résidant en Cisjordanie occupée n’ont pas le droit d’entrer sur le territoire israélien, ni d‘aller à Jérusalem-Est occupée sans avoir de permis.

Le plus souvent, selon Addameer, les demandes des permis, nécessaires aux familles pour aller voir régulièrement leurs proches enfermés dans les prisons israéliennes, sont rejetées par les autorités israéliennes.

« Voir ma mère m’a donné la force de faire face à la situation et je me suis sentie plus en paix », a déclaré Nathalie, ajoutant qu’on ne lui avait pas laissé le temps de guérir et qu’elle avait été rapidement été transférée à la prison d’HaSharon en Israël.

« J’ai été transporté dans un véhicule pour les prisonniers qui est divisé en petites cellules sombres entourées de barres de fer. J’avais très mal et j’ai eu peur comme jamais auparavant », a déclaré Nathalie. « Je me demandais combien de temps j’allais rester enfermée, et si je rentrerais un jour à la maison. »

Nathalie a été condamnée pour avoir tenté de faire une attaque à l’arme blanche. Au bout de douze audiences du tribunal, elle a été condamnée à un an et demi de prison.

« L’atmosphère de la prison m’a mise en état de choc ainsi que le fait d’être privée du droit de voir ma famille. Je pensais à eux tout le temps et les câlins affectueux de ma mère me manquaient terriblement. »

Pendant toute sa détention, la famille de Nathalie n’a pas réussi à aller la voir en prison.

« Chaque fois qu’ils refusaient la demande de ma mère de me rendre visite, je me mettais à pleurer sans pouvoir me retenir. La nuit, je rêvais que j’étais avec elle, que je tenais sa main, que je l’embrassais. Mais quand je me réveillais, je me rendais compte qu’elle n’était pas là », a raconté Nathalie.

Un an plus tard, elle a été libérée sous caution pour la somme totale de 4 000 shekels israéliens (2 000 $). Le jour qui a suivi sa sortie, Nathalie a pris son cartable et elle a couru à l’école. Ses amies lui avaient manqué et elle voulait être la première de la classe.

« En prison, je travaillais bien et j’avais de bonnes notes. Je vais continuer à le faire avec mes amies, maintenant que je peux enfin retourner à l’école », a-t-elle déclaré.

La mère de Nathalie, Roqayah, a dit qu’elle était constamment anxieuse pendant la détention de sa fille. « C’était horrible d’être séparées, je n’arrêtais pas de regarder sa photo et de lui parler », a-t-elle ajouté.

« Je vais faire tout ce que je peux pour faire plaisir à Nathalie. Je vais lui donner tout ce dont elle a été privée en prison », a-t-elle ajouté. « Je ne vais plus la quitter des yeux ».

Nedal Samarah, 44 ans, camp de réfugiés de Qalandiya, Cisjordanie occupée

Nedal Samarah a 44 ans et habite dans le camp de réfugiés de Qalandiya, situé au nord de Jérusalem. Sa femme attend un bébé. Il a l’intention de nommer son fils Wassim, en l’honneur de son frère qui est mort alors que lui-même était détenu dans les prisons israéliennes.

Photo : Shatha Hammad/Al Jazeera
Nedal Samarah a subi des tortures physiques et psychologiques pendant ses 120 jours d’interrogatoire – Photo : Shatha Hammad/Al Jazeera

Depuis 1986, Samarah a été emprisonné à sept reprises. Sa dernière arrestation date de 2001, ce qui porte le nombre total d’années qu’il a passées en prison à 19.

Samarah a été arrêté quatre fois sur plusieurs années, toujours le 17 mai. La dernière arrestation remonte à 15 ans, alors qu’il servait comme garde présidentiel dans l’une des unités des services de sécurité de l’Autorité palestinienne.

L’unité recevait régulièrement des ordres du président, qui impliquaient parfois une confrontation directe avec l’armée israélienne.

Durant sa dernière arrestation, Samarah a été interrogé pendant 120 jours d’affilée. Selon Samarah, ses co-prisonniers de l’époque l’avaient surnommé « Le Cheikh (leader) des prisonniers palestiniens ».

« J’ai été torturé psychologiquement pendant 30 jours, avant que les enquêteurs de la prison ne commencent à intensifier la torture », a déclaré Samarah à Al Jazeera. « Peu de temps après, ils ont commencé à me torturer physiquement », a-t-il ajouté.

Samarah a expliqué qu’ils l’attachaient à une chaise pour le mettre à genoux, les mains attachées derrière le dos. En outre, il a été ligoté et suspendu à une échelle pendant des heures au cours d’une séance d’interrogatoire de nuit.

Pendant qu’il parlait à Al Jazeera, Samarah a eu des quintes de toux à cause d’une maladie respiratoire contractée pendant des tortures subies des années auparavant. Selon Samarah, les officiers israéliens qui l’interrogeaient le mettaient, nu, devant un climatiseur qui envoyait de l’air glacé.

« Un jour, ils m’ont mis de force dans une cellule où était écrit sur les murs ‘mon fils Bassel est mort’, ‘ma femme est morte’, ‘ma mère Haleemah est morte’, et ‘mon frère est mort’ », raconte-t-il, en se rappelant les voix d’anciens détenus qui ne voulaient pas « avouer » pendant les interrogatoires.

«  L’officier sortait un moment de la cellule, et tout à coup, les lumières s’éteignaient et j’entendais des pas autour de moi », a ajouté Samarah. « Les pas se rapprochaient de plus en plus, et ils [les gardes] commençaient à me tabasser et à me hurler aux oreilles parfois une demi-heure d’affilée. »

Selon Samarah, après 70 jours d’interrogatoire, un officier israélien s’est fait passer pour un avocat pour essayer de lui faire avouer divers crimes.

Les tribunaux israéliens, a-t-il dit, l’ont condamné pour avoir mené de nombreuses attaques armées contre des soldats israéliens, pour avoir tenté de les capturer et pour avoir créé la faction armée du Fatah, connue sous le nom de Brigades des martyrs d’al-Aqsa.

« Pendant toute la période d’interrogatoire, je pensais que je ne resterais pas plus de six mois en prison : je croyais que l’Autorité palestinienne me ferait libérer, moi et tous ceux qui étaient détenus avec moi », a déclaré Samarah, en soulignant que peu après sa condamnation, 23 prisonniers palestiniens avaient été libérés dans le cadre de plusieurs accords de libération.

Le 23 mars 2012, Samarah a appris que son fils aîné de 16 ans, avait été arrêté après avoir été accusé de jeter des pierres sur les soldats israéliens.

« Je n’ai pas été surpris ni peiné, a-t-il dit. « Je savais que mes enfants me ressembleraient ». Samarah a déclaré qu’il avait refusé de voir son fils au début, de peur de trop s’attacher à lui. « Il était condamné à 15 mois à cause de l’affaire de son père », a-t-il déclaré.

Aamam Hamed, 55 ans, Silwad, à l’ouest de la Cisjordanie occupée

Assise sur son balcon, dans la ville de Silwad, à l’ouest de Ramallah, Anaam Hamed regarde des photos de son fils. Abdullah, 26 ans, a été arrêté il y a deux ans.

Photo : Shatha Hammad / Al Jazeera
Abdullah, le fils d’Anaam Hamed, a été détenu à la suite d’un raid israélien chez lui à Silwad – Photo : Shatha Hammad / Al Jazeera

« C’était un très bel enfant, et maintenant qu’il a grandi, c’est devenu un très beau jeune homme », a dit Hamed à Al Jazeera.

Hamed compte avec espoir les jours qui la séparent du retour de son fils bien qu’il ait été condamné à la réclusion perpétuelle par des tribunaux israéliens pour avoir effectué une attaque armée près d’une colonie israélienne à Naplouse en juin 2015.

Un mois après l’attaque, Abdullah a été arrêté pendant un raid israélien chez lui à Silwad et Hamed a vu son fils emmené par les soldats, les mains attachées dans le dos, pour la deuxième fois.

Selon Hamed, Abdullah a déjà été emprisonné pendant 13 mois, il y a cinq ans. « Après la deuxième arrestation, Abdullah a été interrogé pendant deux mois. Je pensais qu’il allait revenir mais les tribunaux israéliens l’ont condamné à perpétuité », a-t-elle expliqué.

« Ils ne m’ont pas laissée assister aux audiences du tribunal. La seule fois où je l’ai vu, ça a été pour la lecture du verdict. Je ne lui ai laissé voir ni ma peine, ni ma colère. J’ai retenu mes larmes. Je me suis montrée forte devant lui et lui ai dit qu’il obtiendrait justice et qu’il serait libéré. »

Hamed est toujours en état de choc. Elle dit qu’elle n’arrive toujours pas à croire à ce verdict qui va la séparer de son fils pendant des années.

« J’ai le sentiment qu’Abdullah va revenir. Je crois qu’il sera bientôt libéré et qu’il rentrera à la maison », a-t-elle dit.

Le mari d’Hamed est mort quand Abdullah avait cinq ans. Hamed a été obligé d’élever Abdullah toute seule, d’être à la fois la mère et le père de son fils.

Photo : Shatha Hammad/Al Jazeera
Anaam Hamed attend de retrouver son fils détenu – Photo : Shatha Hammad/Al Jazeera

« Abdullah est devenu quelqu’un de bien, il est courtois et attachant. Chaque fois qu’un prisonnier qui l’a rencontré en prison est libéré, il me téléphone pour me féliciter du comportement de mon fils », a-t-il déclaré avec fierté.

Abdullah est en prison depuis deux ans mais Hamed n’est parvenue à le voir que trois fois, car sa demande de permis est généralement refusée pour des raisons de sécurité.

« Il m’est arrivé de décrocher un permis de visite après de longs et pénibles efforts, pour découvrir, en arrivant à la prison, qu’Abdullah a été transféré dans une autre prison, mais la plupart du temps, je ne suis tout simplement pas autorisée à traverser les checkpoints de l’armée israélienne », a-t-elle expliqué.

Les rares fois où elle a réussi à le voir, Hamed s’est assise derrière la vitre, et elle est restée là, sans bouger, à regarder son fils, incapable de dire un mot, a-t-elle expliqué.

« Je perds la parole quand je vois Abdullah. J’oublie tous les sujets de conversation que j’avais préparés en chemin tellement je suis submergée par la joie de poser les yeux sur lui », a-t-elle déclaré.


17 avril 2017 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet