« Suis-je mort ? » : journal de l’agression israélienne de Gaza

30 juin 2024 - Les autorités sanitaires de Gaza ont confirmé que le nombre de victimes palestiniennes de l'assaut israélien depuis le 7 octobre s'élevait à 37 877 morts et à 86 969 blessés. La majorité des victimes sont des femmes et des enfants. Pendant ce temps, les ambulances et les équipes de secours ne parviennent toujours pas à atteindre les nombreux blessés et cadavres coincés sous les décombres ou éparpillés sur les routes de l'enclave déchirée par la guerre, car les forces d'occupation israéliennes continuent d'entraver les déplacements des ambulances et des équipes de la défense civile - Photo : via Wafa

Par Abdallah Al-Jazzar

Alors que je rencontrais mon ami Mohammed, une explosion assourdissante nous a secoués. Le monde s’est effondré autour de moi. « Suis-je mort ? » ai-je demandé à Mohammed, en m’accrochant à sa main.

Le 15 octobre, j’ai été réveillé par l’horrible réalité des frappes de roquettes lourdes ciblant la maison de mon voisin.

Salah Zanoun, titulaire d’un doctorat en comptabilité, a perdu toute sa famille. Leur visage portait la marque de cette tragédie alors que le malheur les frappait ensemble. Je me retrouvai parmi eux, décidé à informer le monde entier des dures réalités sur le terrain. Voici mon témoignage direct de l’agression israélienne récente de Gaza.

Il était 5h du matin lorsqu’Israël cibla la maison de Salah. Je ressentis une profonde tristesse et attendis le levé du jour pour me précipiter et voir quelle aide je pouvais apporter. En arrivant, je vis les voisins unissant leurs forces pour dégager les décombres.

Mon cousin Mahmoud, déjà sur les lieux pour apporter son aide, me mit au courant de l’étendue du désastre. Tous les membres de la famille de Salah se trouvaient sous les décombres, à l’exception de sa fille de 19 ans Aseel, qui a miraculeusement survécu.

Après une heure d’efforts sans relâche, nous avions dégagé leurs corps sans vie. Salah, son épouse, ses fils Ahmed, Sief, et Ihap, et sa fille Karima sont partis pour toujours. Être le témoin de la douleur et de la perte était déchirant, et malgré notre force collective, nous étions incapables d’atténuer le chagrin qui planait dans l’air.

Je rentrai chez moi et fis part de la tragédie à ma mère, le cœur lourd de chagrin. Elle m’écouta, la voix tremblante, elle répondit, « Je suis là pour toi, mais moi, aussi, je ressens la peur et l’impuissance qui planent sur nos vies. C’est ça Gaza, personne n’y est en sécurité. »

Au cœur de cette crise, je devais mener un autre combat – veiller à ce que les besoins vitaux de ma famille soient assurés. Procurer de la nourriture et maintenir notre provision d’eau, ce qui coûte 200 NSI (plus de 50$, l’équivalent pour moi d’un mois d’économie) était devenu un redoutable défi.

J’ai fait appel à des dizaines de personnes pour obtenir de l’aide. Alors que certains ne répondirent pas ou ne pouvaient le faire en raison de la défaillance du réseau de télécommunication, quelques-uns ont pu nous apporter une aide. Notamment, mon oncle Waleed, qui lui-même vit dans des conditions modestes, s’est proposé pour remplir nos réservoirs d’eau.

C’était là un rappel que le soutien familial est inestimable.

Bien que soulagé par l’aide apportée par mon oncle, je demeurai démoralisé car incapable de subvenir aux besoins de ma famille.

Ce même jour fatidique, le 15 octobre à 17h, je suis parti à Rafah chercher de la nourriture chez mon ami proche Mohammed. Quand nous nous sommes retrouvés, nous avons été secoués par une explosion assourdissante à proximité. Le monde s’est effondré autour de moi, et mort de peur j’agrippai Mohammed. La poussière et la fumée obscurcissaient le ciel.

« Suis-je mort ? » demandai-je à Mohammed, lui agrippant la main. La panique et la confusion étaient palpables. Un peu plus tard, nous avons appris qu’Israël avait ciblé la ‘Women’s Christian Association’, (l’association chrétienne des femmes) proche de là où nous nous trouvions. J’étais sous un immense choc. J’implorai Mohammed, « On doit trouver Alaa ( notre ami Alaa vit dans cette zone) et nous assurer qu’il va bien. »

Nous nous sommes aventurés, Mohammed et moi, jusque là, à seulement 50 mètres du lieu de l’explosion. Nous avons trouvé la Women’s Christian Association en ruines, et la maison d’Alaa avait été dévastée.

Sa famille avait subi l’attaque de plein fouet – son père Arafat Tartori, ses frères Yaser et Abdallah, et son cousin Mohammed y avaient tous perdu la vie. Alaa lui-même était blessé, ainsi que sa sœur. Je ne pus retenir mes larmes, il n’y avait rien d’autre que je puisse faire.

Je rentrai chez moi, le poids de ces images douloureuses gravées dans ma mémoire, souvenir qui va me hanter ma vie durant. C’était un rappel brutal de la fragilité de notre existence à Gaza.

Mais ce n’était pas seulement la maison d’Alaa qui avait été détruite, d’autres maisons du quartier n’avaient pas été épargnées – celles de Jaber, Alsadawi, Alfraa, Hijazai, et Alrekai. Ce qui me faisait le plus mal, c’est que je considérais ces familles comme des amies.

Sur le chemin du retour, j’ai reçu un message de mon frère – notre maison dans la partie est de Gaza avait subi des dégâts importants causés par des bombardements intenses. Ce fut un autre coup de massue. Le rêve de m’y marier s’était évanoui en un clin d’œil.

Confrontés à ces épreuves continues, Je vous supplie de prier pour le peuple de Gaza. Nous sommes épuisés ; notre avenir est incertain, mais même au cœur de la dévastation, nous restons en quête d’espoir.

17 octobre 2023- Mondoweiss – Traduction: Chronique de Palestine – MJB

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