Par Abdel Bari Atwan
Un tir de missiles américains sur la Syrie est-il imminent – ciblant peut-être la capitale Damas cette fois? C’est certainement l’impression donnée par le président américain Donald Trump lorsqu’il a accusé le président russe Vladimir Poutine et l’Iran de l’utilisation présumée d’armes chimiques dans la ville de Douma, prétendument en soutien au président Bachar al-Assad – qu’il a qualifié d’ “animal”, et menacé d’un “prix à payer” par tous.
L’Union européenne a rapidement emboîté le pas, déclarant que “le régime Assad” était responsable de l’attaque chimique dans le district de la Ghouta orientale, et des déclarations similaires émaneront probablement de divers gouvernements européens et de pays comme le Canada et l’Australie. C’est devenu la procédure normale pour préparer l’opinion publique à une action militaire, avant même que des enquêtes internationales impartiales aient même commencé à établir la vérité ou à identifier les auteurs.
L’équipe de sécurité nationale de Trump se réunissait dimanche soir pour envisager de répondre à l’attaque chimique. La décision semble déjà avoir été prise, donc aucune considération réelle n’est nécessaire, autre que sur l’ampleur et la nature de la frappe et des cibles qui devraient être touchées en Syrie. Nous pouvons nous réveiller lundi matin aux nouvelles que l’attaque prévue a eu lieu.
Thomas Bosert, le conseiller de Trump en matière de sécurité intérieure et d’antiterrorisme, a déclaré dimanche dans une interview à la télévision américaine qu’il n’excluait rien et que l’administration “examinait l’attaque à ce stade”, tout en décrivant les images de l’incident chimique comme “horribles.”
Le ministère syrien des Affaires étrangères a nié toute utilisation d’armes chimiques dans la Ghouta et a accusé les médias de s’être alignés sur Jaish al-Islam pour fabriquer l’histoire afin d’impliquer l’armée syrienne. L’armée a fait des progrès constants dans la région et est sur le point d’éliminer les poches restantes d’hommes armés. Elle a conclu un accord avec les combattants de Jaish al-Islam à Douma, dernier bastion du groupe, leur offrant un passage sûr vers Jarablus ou Idlib en échange de l’abandon de leurs postes et de la libération de 3500 prisonniers.
Il y a deux semaines, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a déclaré qu’il s’attendait à ce que des groupes armés syriens “fabriquent” une attaque chimique afin de donner à Trump un prétexte pour frapper des cibles syriennes, tandis que le président français Macron menaçait d’intervenir militairement si était avérée l’utilisation d’armes chimiques.
Une source officielle citée par l’agence de presse officielle SANA a noté que “l’armée avance rapidement et résolument dans la Ghouta et n’a pas besoin d’utiliser des armes chimiques, comme le prétendent certaines chaînes de télévision soutenant les terroristes”. La même agence a ajouté que “les terroristes et leurs commanditaires avaient également proféré de fausses accusations sur l’utilisation d’armes chimiques par l’armée à Alep, mais celles-ci n’avaient pas fonctionné à l’époque et ne fonctionneront pas plus maintenant dans la Ghouta orientale.” De telles déclarations reflètent une grande confiance en soi.
La grande question maintenant n’est pas de savoir si les Américains vont attaquer – cela semble presque certain – mais comment les Russes réagiront. Déploieront-ils leurs missiles de défense antiaérienne S-400 pour protéger les sites militaires et de sécurité à Damas où sont stationnés des conseillers russes, comme l’a récemment averti le chef d’état-major russe ?
Nous ne pouvons pas non plus répondre à cette question, qui est probablement un secret militaire de premier ordre. Mais cela ne nous surprendrait pas, si les dirigeants russes réagissaient différemment cette fois – à moins que les frappes américaines ne se révèlent purement de l’esbroufe, comme le barrage de 59 missiles de croisière lancés l’année dernière sur la base aérienne de Shueirat près de Homs, sous le prétexte qu’elle aurait servi de base de lancement d’un bombardement chimique sur Khan Sheikhoun dans la campagne autour d’Idlib. La frappe de missiles a entraîné des dommages matériels négligeables.
Les États-Unis ont essuyé une défaite majeure en Syrie, comme Trump l’a reconnu ouvertement il y a quelques jours quand il a déclaré qu’il retirerait ses forces du pays après que les États-Unis eurent dépensé 70 milliards de dollars et n’aient rien gagné en retour.
Le président américain se comporte comme un taureau enragé, s’en prenant sans réfléchir à gauche et à droite. Il se prépare peut-être à commettre une grande folie en Syrie pour se venger de la défaite du projet américain face à la Russie. S’il le fait, il ne fera qu’aggraver sa défaite politique et militaire. C’est lui et le cabinet de guerre ouvertement raciste – dont il s’est entouré qui l’encourage à devenir encore plus imprudent – qui auront un “prix à payer”.
* Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du journal numérique Rai al-Yaoum. Il est l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
8 avril 2018 – Raï al-Yaoum – Traduction : Chronique de Palestine