Par Maram Humaid
L’offensive israélienne sur la bande de Gaza du 27 décembre 2008 a commencé en ciblant une cérémonie de remise des diplômes aux cadets de la police.
Cela fait 10 ans qu’Israël a lancé son offensive massive contre la bande de Gaza, ce qui a provoqué l’indignation mondiale lorsque la cinquième armée la plus puissante du monde a pilonné la petite enclave sous blocus et ses 1,6 million d’habitants.
Les bombardements terrestres, navals et aériens, qui ont duré 22 jours, ont provoqué la mort de 1400 Palestiniens, fait des milliers de blessés et des dommages considérables aux infrastructures, notamment en détruisant 3540 habitations, 268 usines et entrepôts et 18 écoles.
Treize Israéliens ont été tués dans l’offensive, dont quatre par des tirs israéliens.
Le phosphore blanc, dont l’usage est illégal dans les zones habitées, a été tiré sur un important complexe des Nations Unies à Gaza et sur au moins deux autres hôpitaux.
Les premiers raids aériens visaient une cérémonie de remise des diplômes, en extérieur, pour les cadets à l’Académie de Police Arafat de la ville de Gaza.
“À 11h25, les avions de combat israéliens ont bombardé violemment l’académie et plusieurs dizaines de postes de police de la bande de Gaza”, a déclaré à Al Jazeera Ayman al-Batniji, porte-parole de la police palestinienne à Gaza.
“Je n’étais qu’à quelques mètres de la scène où plusieurs nouveaux cadets étaient en train de répéter pour leur cérémonie de remise des diplômes lorsque la première frappe est survenue”, s’est-il rappelé.
Environ 251 policiers ont été assassinés dans les premières heures de l’attaque et plus de 700 blessés, y compris ceux qui ont restés amputés d’un membre et qui ne pourront jamais retourner au travail, a déclaré al-Batniji.
Tawfiq Jabber, le chef de la police de Gaza à l’époque, comptait parmi les victimes.
“Des scènes qui vous poursuivront toute votre vie”
Les images sanglantes sont gravées dans la mémoire des policiers survivants qui se souviennent d’ambulances et de voitures privées qui se sont précipitées sur les lieux pour évacuer les morts et les blessés, sur fond de vapeurs et de poussière.
Hanadi Karsou, 29 ans, faisait partie de la première cohorte de femmes recrutées comme officiers de police à l’époque et était la seule femme officier sur les lieux.
“J’étais dans mon bureau au début des attaques aériennes”, raconte-t-elle. “Je suis sortie pour constater que tout l’endroit brûlait. Il y avait des corps de jeunes officiers sur le sol, déchirés en lambeaux.”
“Ce sont des scènes que l’on ne peut oublier”, dit-elle. “Des étudiants et des enfants qui courent dans les rues en pleurant … des familles qui essaient d’entrer dans l’académie pour voir ce qui est arrivé à leurs fils.”
Karsou a déclaré avoir perdu de nombreux collègues qui traitaient sa présence avec respect. Aujourd’hui, l’académie compte plus de 200 femmes policières.
Un autre officier de police, Issa Abu Khater, était également présent le jour du bombardement de l’académie et a rappelé la vue de sang et de restes de corps déchirés dans la cour.
“Beaucoup d’entre eux ont pris leur dernier souffle devant moi”, a-t-il déclaré.
Agé de 35 ans, il a passé le reste de la journée à l’hôpital Shifa à Gaza, où il a vu ses collègues blessés et a identifié les corps de ceux qui avaient été tués.
“Ma famille cherchait mon corps à la morgue”, dit-il encore. “Mon frère et mon oncle m’ont trouvé et m’ont serré dans leurs bras, tellement soulagé de voir que j’étais en vie.”
Abu Khater était sous le choc et a dû prendre des sédatifs pour “absorber les horreurs de cette journée”.
Sentiment d’horreur
Les attaques du 27 décembre 2008 ont eu lieu une semaine après que les autorités égyptiennes aient négocié un cessez-le-feu entre Israël et les factions armées palestiniennes dans la bande de Gaza, à la suite d’une courte explosion d’affrontements entre les deux parties.
Les premiers bombardements ont eu lieu très près d’une zone abritant des bâtiments universitaires et des écoles, a déclaré al-Batniji.
“Je me souviens du sentiment d’horreur qui régnait parmi les étudiants là-bas”, a-t-il déclaré. “Des avions de combat F-16 et des drones de reconnaissance ont tiré des missiles sur l’enceinte de l’académie. Ils ont même pris pour cible des policiers aux entrées”, a-t-il déclaré.
“Ils voulaient tuer le plus possible.”
Al-Batniji a souligné que le service de police, en tant qu’organe civil, n’était affilié à aucune des organisations palestiniennes.
“Nous fournissons des services civils à la population afin de maintenir la sécurité ici et nous veillons au respect du droit civil”, déclare-t-il.
“Pourquoi avons-nous été ciblés de cette manière? J’ai perdu beaucoup de mes amis et de mes meilleurs collègues en un clin d’œil. C’est resté une journée obsédante et on ne peut jamais l’oublier.”
Diverses organisations de défense des droits de l’Homme avaient condamné l’attaque de policiers à Gaza lors de l’offensive.
Le Centre palestinien pour les droits de l’homme (PCHR) a souligné dans un rapport que “les 251 policiers non combattants ne faisaient pas partie d’un groupe armé et ne participaient pas aux hostilités; leur ciblage et leur homicide volontaire constituent une violation grave des Conventions de Genève”.
Le Centre a demandé que les responsables du crime soient soumis à une enquête, jugés et poursuivis conformément aux normes internationales, tout en en reconnaissant que cette possibilité restait très faible.
“Si l’occupation nous a appris quelque chose, c’est que tant qu’Israël jouira toujours de l’impunité, qu’il continuera à violer les lois internationales (et) que les civils palestiniens continueront à en subir les terribles conséquences”, a déclaré le PCHR.
L’académie de police a été reconstruite en 2010, de nouveaux cadets ont été recrutés et une noucvelle génération a obtenu son diplôme. Le nombre total d’officiers de police dans l’académie s’élève maintenant à 7800.
Al-Batniji a déclaré qu’après l’offensive israélienne de 2008-2009, l’Académie reconnaissait qu’elle se trouvait dans le cercle direct des cibles israéliennes.
“Au dixième anniversaire de la guerre, notre message au monde est de nous considérer indépendamment du conflit entre l’occupation israélienne et les organisations palestiniennes”, a-t-il expliqué.
Malgré les lourdes pertes subies il y a dix ans, le porte-parole de la police affirme que l’académie est redevenue “plus forte et sans rien à perdre”.
Auteur : Maram Humaid
* Maram Humaid est journaliste et traductrice à Gaza. Elle couvre les histoires humaines, la vie sous le blocus, les évènements dans la jeunesse et les dernières nouvelles.Ses comptes Twitter/X :@maramgaza et Instagram.
27 décembre 2018 – Al Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine