2021 a vu l’émergence d’une nouvelle génération de Palestiniens

Les résidents palestiniens de Sheikh Jarrah, à Jérusalem, tiennent une conférence de presse pour annoncer leur refus total de l'offre israélienne de rester dans leurs maisons à condition qu'ils acceptent d'être des "locataires protégés" dans les propriétés présumées de l'organisation de colons israéliens Nahalat Shimon. Les habitants du quartier sont des réfugiés palestiniens de Jaffa, du district de Jérusalem et d'autres régions de la Palestine mandataire, dont le droit au retour est refusé par l'État israélien depuis 1948. Dans le même temps, des organisations de colons d'extrême droite s'emploient à les évacuer de leurs nouveaux logements de Sheikh Jarrah sous prétexte qu'il s'agit de "terres appartenant à Israël". Alors que la loi sur les questions juridiques et administratives, promulguée en 1970, permet aux colons israéliens de "reprendre possession" des propriétés, il n'existe aucune loi de ce type pour les millions de réfugiés palestiniens qui ont perdu leurs propriétés à travers le pays - Photo : Activestills

Par Ramzy Baroud

De prime abord, 2021 semblait être une année comme les autres, marquée par une occupation israélienne sans pitié et une misère palestinienne sans fin. Bien que cela reste en grande partie vrai, les développements de l’occupation israélienne de la Palestine sont remis en question par un sentiment sans précédent d’unité populaire parmi les Palestiniens, non seulement à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi dans les communautés palestiniennes de la Palestine historique (*).

Un sentiment d’espoir prudent a finalement remplacé le sentiment dominant de désespoir ressenti les années précédentes. Un sentiment de renouveau et de volonté d’adopter de nouvelles idées politiques a vu le jour dans toute la Palestine. Pour exemple, selon un sondage réalisé par le Jerusalem Media and Communication Centre (JMCC) et publié le 22 novembre, il y a plus de Palestiniens en Cisjordanie soutenant la solution à un seul État que ceux qui soutiennent encore la solution à deux États, totalement obsolète, qui a dominé la pensée politique palestinienne pendant des décennies.

Une pandémie meurtrière

L’année a toutefois commencé par une toute autre question : la pandémie de Covid-19. En plus de durement impacter les Palestiniens vivant sous blocus et occupés, notamment dans la bande de Gaza, la pandémie a commencé à se propager parmi les prisonniers palestiniens.

En février, l’Autorité palestinienne, ainsi que des groupes et organisations internationaux de défense des droits de l’homme, ont critiqué Israël pour avoir bloqué l’accès aux vaccins Covid-19 dans la bande de Gaza soumise au blocus. Les vaccins Sputnik 5 ont fait l’objet d’une donation par la Russie, le premier pays à contribuer à la lutte contre la pandémie en Palestine.

Les communautés palestiniennes ont fini par accéder aux vaccins provenant du programme COVAX, mais la pandémie a continué à ravager la Palestine occupée, d’autant plus que les autorités israéliennes d’occupation ont continué à bloquer les mesures préventives palestiniennes et à démanteler les installations improvisées de lutte contre le Covid-19 dans les territoires occupés.

Selon le site Internet Worldometer, 4675 Palestiniens sont morts du Covid-19, tandis que 439 987 ont été testés positifs au virus.

Gaza: On voit ici les dommages infligés à un bâtiment du ministère de la Santé à la suite d’une frappe aérienne israélienne sur le quartier d’Al-Rimal le lundi 17 mai 2021. L’attaque a partiellement détruit la clinique Al-Rimal, le seul laboratoire de la bande de Gaza pour le traitement des tests COVID-19, le rendant inopérant et blessant le personnel médical. Au moins 248 Palestiniens, dont 66 enfants, ont été tués lors de la récente offensive israélienne sur Gaza et environ 1500 Palestiniens ont été blessés – Photo: Mohammed Zaanoun/Activestills

Élections annulées

Comme l’année précédente, la crise politique israélienne a rapidement fait la une des journaux, la lutte pour le pouvoir entre le Premier ministre israélien du moment, Benjamin Netanyahu, et ses rivaux s’amplifiant, ce qui a conduit aux quatrièmes élections israéliennes en l’espace de deux ans.

Les élections de mars ont finalement changé le paysage politique israélien, grâce à une coalition gouvernementale très bigarrée et bricolée par le nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennett, le 13 juin. Cette coalition comprend même un homme politique arabe, Mansour Abbas, dont le parti politique a contribué à la formation du gouvernement.

Alors que Netanyahu et son parti, le Likoud, se sont rapidement retirés dans l’opposition, mettant fin à un règne de plus de 12 ans, les Palestiniens ont prévu leurs propres élections, qui ont été annoncées par le président de l’AP, Mahmoud Abbas, le 15 janvier.

Les élections parlementaires et présidentielles de l’AP étaient prévues pour le 22 mai et le 31 juillet, respectivement. Les deux tours de scrutin devaient être suivis d’un accord politique qui mettrait fin à la désunion politique palestinienne en assurant une représentation égale de tous les groupes politiques palestiniens, y compris le Hamas et le Jihad islamique, au sein d’une Organisation de libération de la Palestine (OLP) largement réformée.

Malheureusement, rien de tout cela ne s’est produit. Malgré des pourparlers positifs sur l’unité palestinienne au Caire pendant plusieurs semaines, Abbas a annulé les élections prévues, sous prétexte de protester contre le refus d’Israël de permettre aux électeurs palestiniens de Jérusalem-Est de participer aux scrutins.

En échange du blocage des efforts palestiniens visant à garantir un semblant de démocratie, même sous l’occupation israélienne, Abbas a été récompensé en réintégrant la liste des alliés de Washington.

En effet, les États-Unis ont repris leur aide financière aux Palestiniens en avril, promettant de rouvrir le bureau de l’OLP à Washington, qui avait été fermé par l’administration Trump, et s’engageant également à rouvrir son propre consulat à Jérusalem, qui avait également été fermé par Trump en septembre 2018.

Malgré ces gestes, qui ont servi à redonner de l’importance l’AP, après quatre années de marginalisation complète par les États-Unis, la nouvelle administration Biden n’a rien proposé pour un processus de paix renouvelé, ni fait pression sur Israël pour qu’il mette fin à son occupation ou qu’il ralentisse le rythme de l’expansion des colonies illégales en Palestine occupée.

En fait, le rythme de construction des colonies israéliennes a connu une croissance exponentielle en 2021, avec l’annonce en octobre du projet israélien de milliers de nouvelles unités de logement israéliennes en Cisjordanie.

Rassemblement populaire de soutien au mouvement Hamas (résistance islamique) dans la Bande de Gaza – Photo : via iemed.org

De Sheikh Jarrah à Gaza

Les actions provocatrices d’Israël seraient passées inaperçues dans la presse internationale si le peuple palestinien n’avait pas pris une position collective, en utilisant toutes les formes de résistance, de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, à Gaza.

Tout l’épisode qui a finalement conduit à une guerre israélienne contre Gaza en mai, a commencé par une tentative israélienne de routine de nettoyage ethnique des Palestiniens de plusieurs quartiers de Jérusalem-Est, dont Sheikh Jarrah et Silwan.

Mais les habitants palestiniens de Jérusalem ont commencé à s’organiser contre la décision d’un tribunal israélien de les expulser de leurs maisons, qui devaient ensuite être occupées par des colons juifs israéliens, comme c’est l’habitude depuis de nombreuses années.

La résistance populaire à Sheikh Jarrah s’est heurtée à une violence israélienne extrême, impliquant des colons armés, la police israélienne et les forces d’occupation, qui a fait au moins 178 blessés parmi les manifestants palestiniens le 7 mai.

Les Palestiniens de l’ensemble des territoires occupés ont alors commencé à se mobiliser en solidarité avec leurs frères d’Al-Quds, ce qui a conduit à une nouvelle guerre israélienne dévastatrice contre la bande de Gaza le 10 mai.

Cette guerre s’est soldée par la mort de plus de 250 Palestiniens, des milliers de blessés et des destructions massives.

La guerre israélienne avait pour but de détourner l’attention des événements qui se déroulent à Jérusalem-Est. Les plans israéliens ont cependant complètement échoué, car les Palestiniens de Ramallah, Naplouse, Hébron, Haïfa et de nombreux autres villes, villages et camps de réfugiés palestiniens ont défilé en solidarité avec Sheikh Jarrah et Gaza, mettant en avant un discours politique qui, pour la première fois, était dépourvu de références à des factions politiques.

Pour réprimer la révolte palestinienne, Israël a envoyé des milliers de soldats et de policiers, ainsi que des colons juifs armés et des milices dans les territoires occupés et en Israël même.

De nombreux Palestiniens ont été tués dans les affrontements et les attaques qui en ont résulté.

Les événements du mois de mai ont toutefois mis en lumière non seulement l’unité existant entre les Palestiniens, mais aussi le racisme profond qui touche tous les secteurs de la société israélienne.

L’idée que les Palestiniens de la Palestine historique [“Israël”] auraient cédé à leur nouvelle réalité et ne feraient plus partie d’un corps politique palestinien plus large s’est avérée complètement erronée.

21 mai 2021 – Un enfant palestinien se tient au milieu des ruines d’un quartier de Beit Hanoun qui a été détruit par les récents bombardements israéliens, au nord de la bande de Gaza. L’offensive militaire israélienne de 11 jours sur la bande de Gaza qui s’est interrompue le 21 mai a causé des destructions massives. Selon le ministère palestinien des Travaux publics et du Logement, 1800 logements ont été complètement détruits et 14 315 ont été endommagés lors de l’assaut militaire. Des milliers de Palestiniens restent déplacés. Soixante-quatorze bureaux gouvernementaux ont été détruits. De nombreuses infrastructures, dont l’eau, l’assainissement et l’électricité, ont été fortement endommagées ou détruites. Au cours de la même période, 248 Palestiniens ont été tués au cours de l’offensive – dont 66 enfants et 39 femmes, et 12 personnes ont été tuées en Israël, dont deux enfants, par des roquettes tirées par des groupes de résistance armés palestiniens – Photo: Mohammed Zaanoun/Activestills.org

Boycotts, désinvestissements et tribunal international

La résistance palestinienne dans son foyer national a mobilisé davantage la société civile dans le monde entier. Des organisations de défense des droits de l’homme, comme Human Rights Watch et l’organisation israélienne B’tselem, ont conclu qu’Israël était un État d’apartheid.

Le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) a reçu de nombreux encouragements tout au long de l’année. Des entreprises, telles que le géant de la crème glacée Ben & Jerry’s, ont décidé de se désinvestir des territoires occupés et la multinationale du sport Nike a décidé de mettre fin à toutes ses opérations en Israël, sans toutefois justifier sa décision par des motifs politiques.

En outre, le plus grand fonds de pension norvégien, KLP, a déclaré le 5 juillet qu’il n’investirait plus dans des entreprises liées aux colonies israéliennes.

Plus tard dans l’année, la célèbre romancière irlandaise Sally Rooney a annoncé son refus de voir son best-seller “Beautiful World, Where Are You” publié par une société israélienne.

Pendant ce temps, les efforts visant à faire en sorte que les criminels de guerre israéliens répondent de leurs actes devant la Cour pénale internationale (CPI) se sont poursuivis sans relâche.

En mars, Fatou Bensouda, alors procureur en chef de la CPI, a annoncé l’ouverture d’une enquête officielle sur les crimes de guerre présumés dans les territoires palestiniens occupés.

Bien que Bensouda ne soit plus à la tête de la CPI, le dossier palestinien reste actif, avec l’espoir que la justice internationale puisse enfin prévaloir.

Malgré les nombreuses difficultés, l’esprit de tous les Palestiniens a été soulevé, une fois de plus, lorsque la délégation olympique palestinienne est entrée dans le stade olympique de Tokyo en juillet, portant un drapeau palestinien. La petite délégation comprenait des Palestiniens de diverses régions, cimentant là aussi l’unité palestinienne dans la culture et le sport.

Résister par la faim

Pendant ce temps, les grévistes de la faim palestiniens ont poursuivi leur mouvement de résistance à l’intérieur des prisons israéliennes. Des prisonniers comme Kayed Fasfous et Meqdad Al-Qawasmi ont mené des grèves de la faim prolongées respectivement de 131 et 113 jours, qui ont failli entraîner leur décès.

Dans une nouvelle démonstration de défi, six prisonniers palestiniens se sont échappés de la prison de Gilboa le 6 septembre.

Bien qu’ils aient tous été repris et auraient été torturés après leur nouvelle arrestation, la nouvelle a captivé tous les Palestiniens qui se sont sentis encouragés par ce qu’ils ont perçu comme une volonté héroïque de liberté.

Cependant, de nombreux prisonniers palestiniens ont également souffert aux mains de l’Autorité palestinienne [AP] elle-même, qui a poursuivi sa pratique de détention illégale et de torture des militants palestiniens dissidents.

La mort de Nizar Banat, aux mains des forces de sécurité de l’AP, le 24 juin, a donné lieu à des manifestations palestiniennes de masse au cours desquelles des milliers de personnes ont exigé que l’AP réponde de ses actes et que justice soit rendue.

2021 a été une année de guerre, de souffrances et de destruction pour les Palestiniens. Mais c’est aussi une année d’unité, de réalisations culturelles, et d’espoir, car une nouvelle génération occupe enfin le devant de la scène, affirmant son identité et son rôle central dans l’avenir de sa patrie.

Note:

(*) La Palestine historique recouvre l’ensemble de l’espace où doivent s’appliquer les droits nationaux du peuple de Palestine, donc y compris Jérusalem et les territoires occupés par l’état israélien à la suite de l’expulsion violente des autochtones palestiniens en 1948 (Nakba).

1e janvier 2022 – Middle East Eye – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah