Par Yumna Patel
Lorsque les Palestiniens commémorent la Naksa, ils ne commémorent pas seulement une perte historique de vies et de terres, mais aussi l’occupation militaire permanente qui, chaque jour, les prive de leurs droits à la vie, à la liberté, à la dignité et à l’autodétermination.
Aujourd’hui, les Palestiniens commémorent 56 ans d’occupation militaire israélienne. Plus connu sous le nom de Naksa, « revers » ou « défaite » en arabe, le 5 juin marque le premier jour de la guerre des six jours qui a abouti à l’occupation par Israël de la Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem-Est, du plateau du Golan syrien et de la péninsule égyptienne du Sinaï.
La Naksa a eu lieu en 1967, dix-neuf ans seulement après la Nakba, ou catastrophe, de 1948, date à laquelle Israël s’est violemment imposé sur les terres de Palestine.
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Pendant la Nakba, plus de 750 000 Palestiniens sont devenus des réfugiés et le nouvel État juif s’est emparé d’environ 78 % des terres de la Palestine historique. Ce qui restait de la Palestine après la Nakba étant alors sous administration égyptienne et jordanienne.
Mais à la suite de la guerre des six jours, Israël a pris le contrôle des 22 % restants du territoire palestinien, imposant une occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza, et l’annexion de Jérusalem-Est, dans une démarche qui n’a jamais été reconnue par la loi internationale.
Si la Nakba a été la catastrophe qui a jeté les bases de l’État colonial israélien, la Naksa a été la défaite qui a achevé le travail, déclenchant une chaîne d’événements qui a fini par définir la réalité sur le terrain en Palestine occupée au cours des 56 dernières années.
Le début de la guerre
Aujourd’hui encore, la guerre des six jours, ou « guerre de juin », est célébrée par Israël et toujours vendu par l’Occident comme un récit du genre « David contre Goliath ». Cette version soutient qu’Israël, contre toute attente, a vaincu ses voisins arabes agressifs qui agissaient dans le seul but d’éradiquer le jeune État juif.
Israël n’aurait pas eu d’autre choix que de se défendre contre une annihilation certaine et, ce faisant, il a légitimement « capturé » le reste du territoire palestinien, ainsi que le Golan et le Sinaï, afin de – prétendument – se protéger à l’avenir contre l’Égypte et la Syrie, qui étaient déterminées à rayer Israël de la carte.
En d’autres termes, Israël n’aurait pas eu le choix et, par la grâce de Dieu, en est sorti victorieux.
Des décennies plus tard, ce récit a continué à être répandu dans les médias, et même dans le cinéma et les arts. Alors que les grands médias, Israël et l’Occident s’appuient encore largement sur cette version des faits, la période qui a précédé la guerre brosse un tableau bien différent.
La violence contre les Palestiniens ne s’est pas arrêtée comme par magie après la Nakba. Dans les années qui ont suivi 1948, Israël a tué des milliers de Palestiniens qui tentaient de retourner dans leurs foyers dont ils avaient été chassés.
Les forces israéliennes ont également continué à commettre des massacres dans les villages palestiniens, tandis que les fedayins palestiniens, ou combattants de la liberté, lançaient des opérations transfrontalières en Israël depuis la Jordanie, l’Égypte et la Syrie, avec des objectifs allant de la sécurisation des récoltes et des biens sur les terres volées à la résistance nationaliste contre les cibles de l’armée et des colons israéliens.
En 1956, Israël, ainsi que la France et la Grande-Bretagne, ont envahi l’Égypte dans le but de renverser le président égyptien Gamal Abdel Nasser, qui venait de nationaliser la compagnie du canal de Suez, propriété étrangère, qui contrôlait l’exploitation du canal.
Cela a conduit à ce que l’on appelle « la crise de Suez ». Bien que la pression internationale ait contraint les trois puissances à battre en retraite, Israël a célébré une grande victoire en obtenant l’accès au détroit de Tiran, que l’Égypte bloquait à Israël depuis 1948.
Dans le même temps, les tensions concernant l’utilisation des réserves d’eau du Jourdain s’exacerbent et donnent lieu à des affrontements transfrontaliers entre la Syrie et Israël au début des années 1960.
En mai 1967, sur la base de faux renseignements soviétiques indiquant qu’Israël prévoyait d’envahir la Syrie, avec laquelle l’Égypte avait conclu un traité de défense mutuelle, l’Égypte a ordonné l’évacuation des troupes de l’ONU (qui étaient stationnées dans le Sinaï depuis la crise de Suez) et les a remplacées par des troupes égyptiennes.
Abdelnasser a ensuite fermé le détroit de Tiran, dans la mer Rouge, à la navigation israélienne, ce qu’Israël a qualifié d’ « acte de guerre ». À la fin du mois de mai, l’Égypte a également signé des pactes de défense mutuelle avec la Jordanie et l’Irak.
Le matin du 5 juin, Israël a lancé une attaque surprise contre l’Égypte, bombardant ses forces aériennes alors qu’elles étaient encore au sol, portant un coup sévère à l’armée égyptienne.
Cette « attaque préventive », suivie d’une invasion terrestre israélienne dans le Sinaï et dans la bande de Gaza administrée par l’Égypte, a été le catalyseur de la guerre qui allait durer six jours et coûter la vie à environ 20 000 soldats arabes et moins de 1000 israéliens.
Les suites de la guerre
Bien que les armées arabes aient subi de lourdes pertes politiques, militaires et humaines, ce sont les Palestiniens qui, en fin de compte, avaient le plus à perdre, et c’est ce qui s’est produit. Israël a pris le contrôle de ce qui restait de la Palestine sous prétexte de la « libérer de l’occupation illégale » par les Arabes.
Outre l’occupation militaire de la Cisjordanie et de Gaza, Israël a également occupé le Sinaï égyptien et le plateau du Golan syrien. Bien que le Sinaï ait été rendu au contrôle égyptien en 1982, le Golan syrien reste sous contrôle israélien jusqu’à aujourd’hui.
Israël a également pris le contrôle de la vieille ville de Jérusalem aux forces jordaniennes, annexant par la suite la partie orientale de la ville dans les frontières municipales d’Israël, une décision qui n’a jamais été reconnue par la communauté internationale et qui est toujours considérée comme une annexion illégale du territoire.
Un quartier entier de la vieille ville, le quartier marocain, a été détruit par les forces israéliennes, déplaçant une centaine de familles palestiniennes afin de faciliter l’accès des juifs au Mur occidental.
Selon les groupes de défense des droits de l’homme, environ 7000 hectares de terres ont été illégalement annexés aux frontières municipales israéliennes de Jérusalem.
L’objectif était simple : essayer de prendre autant de terres que possible avec le moins de Palestiniens possible afin de maintenir une majorité démographique juive dans la ville. Les zones palestiniennes densément peuplées ont été effacées, tandis que les zones peu peuplées mais à forte densité foncière ont été intégrées.
Lors de l’annexion de Jérusalem par Israël et de l’occupation du reste du territoire palestinien, les forces israéliennes d’occupation ont rasé plusieurs villages palestiniens et expulsé des milliers de personnes de leurs terres.
On estime qu’entre 280 000 et 325 000 Palestiniens ont été déplacés et sont devenus des réfugiés, auxquels s’ajoutent 100 000 Syriens.
Dans les mois qui ont suivi la guerre, Israël a effectué un recensement qui excluait délibérément les Palestiniens déplacés pendant la guerre afin de les empêcher de rentrer chez eux. Selon ce recensement, environ 1 million de Palestiniens vivaient alors en Cisjordanie et à Gaza.
Afin d’éviter une bascule démographique, Israël n’a pas annexé la Cisjordanie et Gaza comme il l’avait fait avec Jérusalem. Au lieu de cela, il a mis en place une occupation militaire et une série de lois et de mesures visant à s’emparer d’autant de terres que possible et à les placer sous le contrôle de l’armée et de l’État.
Israël y est parvenu grâce à deux politiques principales : les zones militaires fermées et les colonies juives.
Dès août 1967, moins de deux mois après l’occupation de la Cisjordanie, Israël a commencé à désigner des bandes de terre dans la vallée du Jourdain en Cisjordanie comme zones militaires fermées, rendant les terres inaccessibles et inutilisables pour leurs propriétaires palestiniens.
Selon B’Tselem, à la fin de l’année 1967, Israël avait déclaré près de 68 500 hectares de terres comme zones militaires fermées. Entre 1967 et 1975, Israël a déclaré plus de 26 % des terres de Cisjordanie zones militaires fermées, les rendant ainsi inaccessibles aux Palestiniens à moins qu’ils n’obtiennent un permis spécial délivré par l’occupant israélien.
Dans le même temps, Israël a commencé à promouvoir l’installation de citoyens juifs dans les territoires occupés, ce qui constitue une violation flagrante du droit international.
La première colonie de Cisjordanie, Kfar Etzion, a été créée en septembre, trois mois seulement après le début de l’occupation. Au cours des dix premières années de l’occupation, trente colonies ont été construites rien qu’en Cisjordanie, regroupant une population de plus de 4500 colons.
Les colonies ont été construites dans des zones stratégiques comme la vallée du Jourdain (qui contient la plupart des réserves d’eau de la Palestine), les terres autour de Jérusalem et dans les zones de Cisjordanie où la densité de population palestinienne est faible.
À Jérusalem-Est, un tiers des terres annexées ont été expropriées à des fins de colonisation, alors qu’elles appartenaient en grande partie à des Palestiniens.
Huit colonies ont été construites à Jérusalem-Est au cours des dix premières années. À Gaza, quatre blocs de colonies ont été construits en l’espace de trois ans seulement (1970-1973) dans le but de briser la contiguïté des zones palestiniennes.
L’occupation aujourd’hui
Cinquante-six années ans plus tard, l’occupation militaire israélienne n’a pas pris fin. Au contraire, elle a pris un nouvel essor.
Au cours des cinq dernières décennies et demie, Israël a continué à promulguer un certain nombre de lois et de politiques dont l’objectif principal est d’étendre le contrôle d’Israël sur le territoire, par l’accaparement de terres, la construction de colonies et l’assujettissement violent de la population palestinienne.
Lorsque les zones militaires fermées et les colonies n’ont pas suffi, Israël a commencé à confisquer des terres aux propriétaires palestiniens sous le couvert de l’environnement, déclarant plus de 6 % des terres de Cisjordanie comme réserves naturelles.
En réécrivant les lois et en utilisant des interprétations intéressées et déformées des anciens codes fonciers de l’époque ottomane, Israël a déclaré, et continue de déclarer des pans entiers de terres de Cisjordanie comme terres d’État, les confisquant ainsi à leurs propriétaires palestiniens pour les affecter aux colonies.
En construisant le mur de séparation, dont la majeure partie a été érigée sur le territoire palestinien bien au-delà de la ligne verte, Israël s’est emparé d’encore plus de terres, annexant de fait des terres de Cisjordanie au territoire israélien. Le mur est toujours en construction aujourd’hui.
On compte aujourd’hui plus de 270 colonies illégales et avant-postes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, avec une population de colons d’environ 630 000 personnes.
Alors que les Palestiniens sont expulsés de leurs terres dans des endroits comme Masafer Yatta, sous prétexte qu’ils vivent dans des zones militaires fermées, Israël continue de promouvoir l’expansion des colonies et de protéger des communautés de colons de plus en plus violentes.
À Gaza, Israël applique depuis 16 ans un blocus aérien, terrestre et maritime, portant l’occupation militaire à de nouveaux sommets.
Alors que les points de contrôle, les colonies et les raids à pied de l’armée israélienne sont quotidiens en Cisjordanie, les frappes aériennes, les offensives militaires dévastatrices et la guerre constante sont la réalité à Gaza.
Dans l’ensemble du territoire palestinien occupé, Israël contrôle tous les aspects de la vie, qu’il s’agisse du registre de la population, des frontières ou des points de contrôle.
Même dans les parties de la Cisjordanie qui sont sous le contrôle total de l’Autorité palestinienne (environ 18 % seulement de la Cisjordanie), l’armée israélienne contrôle toujours les frontières et mène régulièrement des raids meurtriers au cœur des villes palestiniennes.
Les Palestiniens continuent d’être emprisonnés et tués à un rythme alarmant, et les associations de défense des droits de l’homme sont de plus en plus nombreuses à affirmer qu’en plus de l’occupation militaire, Israël commet un crime d’apartheid, non seulement en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi à Jérusalem-Est et à l’encontre des communautés palestiniennes d’Israël.
Lorsque les Palestiniens commémorent la Naksa, ils ne commémorent pas seulement une perte historique de vies et de terres, mais aussi l’occupation militaire permanente qui, chaque jour, les prive de leurs droits à la vie, à la liberté, à la dignité et à l’autodétermination.
Auteur : Yumna Patel
* Yumna Patel est directrice de l'information sur la Palestine pour la publication américaine Mondoweiss. Elle est basée à Bethléem, en Cisjordanie occupée et fait des reportages sur le territoire depuis plusieurs années. Son compte twitter.
5 juin 2023 – MondoWeiss – Traduction : Chronique de Palestine