Par Lina Alsaafin
Cox’s Bazar, Bangladesh – Les camps sont surchargés. Des abris de fortune faits de bâches et de bâtons de bambou s’étendent à perte de vue, regroupés avec peu d’espace pour respirer.
Le sol argileux sur lequel ils sont construits n’est pas solide non plus, exposant au moins 200 000 Rohingya à des glissements de terrain en cas de fortes pluies, qui pourraient les tuer et balayer ces structures fragiles.
Pourtant, les infrastructures récemment construites, depuis les routes jusqu’à des ponts faits de briques au-dessus d’égouts à ciel ouvert et des petits ruisseaux colorés en rouge et vert par les détritus, sont tout sauf temporaires. Mon accompagnateur m’a indiqué du doigt le système de drainage en béton construit de part et d’autre d’une route de briques, tout en déplorant que certains des villages environnants ne disposent pas de ce genre de dispositif de base.
Chaque camp dispose de dispensaires, de centres d’apprentissage, d’espaces et de marchés adaptés aux femmes, avec des stands vendant des légumes, des poulets vivants, des vêtements, des chargeurs de téléphones portables et des salons de coiffure.
Les camps sont là pour rester. En tant que réfugiée palestinienne de troisième génération, je l’ai intuitivement compris lorsque j’ai vu pour la première fois les milliers de bâches colorées. Je savais qu’ils évolueraient vers des structures permanentes, transformant la zone du camp en bidonville ou ghetto.
J’avais déjà vu cela sur des photos du camp de réfugiés de Gaza où mes grands-parents se sont retrouvés, regroupés sous une tente portant le logo de l’UNHCR. Neuf enfants plus tard, la tente est devenue un bloc, une cuisine, un salon et une chambre à coucher faits de boue séchée, tout le monde partageant le même espace.
Comme les enfants avaient grandi et s’étaient mariés, plus de pièces avaient été ajoutées.
L’ensemble a été démoli à la fin des années 1990 et un bâtiment de trois étages a pris sa place, chaque appartement appartenant à un oncle et à sa famille.
Avec l’arrivée de plus de 700 000 Rohingya depuis août dernier, il y a maintenant plus d’un million de réfugiés au Cox’s Bazar – au Bangladesh – qui vivent dans 32 camps situés sur les deux sous-districts ou upazilas d’Ukhiya et de Teknaf.
Les Rohingyas vivent désormais dans de nouvelles communautés, forcés de vivre par les sombres circonstances à proximité les uns des autres comme voisins de camps. Les villageois jadis séparés les uns des autres vivent maintenant à côté d’anciens habitants de villages et de hameaux de différentes communes, où les dialectes, la nourriture et les traditions locales diffèrent.
Alors que nous passions devant les longues files de personnes qui attendaient de recevoir des vivres, tenant leurs cartes de l’ONU qui détaillaient combien de kilos de riz, de lentilles et de farine ils pouvaient recevoir, cela m’a douloureusement rappelé mes grands-parents qui avaient vécu la même expérience 70 ans plus tôt dans le camp de réfugiés de Khan Younis, dépouillés de leur dignité après avoir été ethniquement nettoyés de leur village, rendus dépendants des agences d’aide.
Étant donné que plus de la moitié des réfugiés Rohingyas sont des enfants, on ne peut que s’interroger sur la date à laquelle ces foyers prendront une forme plus permanente. Ceux qui étaient arrivés dans les premières vagues de déplacement avaient déjà monté une bâche sur des murs de boue séchée.
L’accord de rapatriement entre le Bangladesh et le Myanmar n’inclut même pas ces anciens réfugiés. Et comment peut-il être viable, le Myanmar refusant d’assurer les conditions adéquates et sûres requises pour les Rohingyas ?
En outre, l’Organisation des Nations Unies a une nouvelle fois démontré son incompétence face à ses deux membres permanents du Conseil de sécurité, la Chine et la Russie, qui opposent fermement leur veto à toute résolution en faveur des Rohingyas. Les Palestiniens ont trop fait l’expérience, bien qu’avec des acteurs différents sur la scène des Nations Unies.
Des enfants partout
Plus de la moitié des 1,1 million de Rohingya des camps de réfugiés sont des enfants, une statistique effrayante compte tenu des conditions misérables dans lesquelles ils vivent.
Ils sont partout et désireux d’utiliser les quelques mots d’anglais qu’ils connaissent, sans aucun doute appris des milliers d’employés d’ONG travaillant dans les 32 camps et les centres d’apprentissage surpeuplés et insuffisants mis en place.
“Bonjour, d’accord, comment vas-tu ?” disent-ils avec enthousiasme à n’importe quel étranger, tout en les suivant. Même les enfants de deux ans connaissaient ces mots et nous les répétaient.
Les enfants sont partout : des bébés sur les hanches des enfants de cinq ans, des bambins qui se tiennent à l’extérieur de leurs abris, des enfants plus âgés transportant dans les camps du bois de chauffage tiré des forêts voisines.
Ils jouent aux billes, creusent de petits trous dans lesquels celles-ci peuvent rouler, ou alors jouent au football, pieds nus et s’éclaboussant dans les eaux usées, ou ils se livrent à des jeux inventés qui me font penser à comment mes cousins et moi passions nos journées d’été dans le camp de réfugiés de Khan Younis.
Parfois, nous remplissions une bouteille en plastique de sable et la vidions seulement pour la remplir à nouveau, une activité à la Sisyphe que nous avions perfectionnée. D’autres fois, nous creusions des trous dans le sable à l’extérieur de la maison de mes grands-parents jusqu’à ce que nos doigts rencontrent de l’eau, un rappel de la mer qui se trouvait à quelques centaines de mètres mais était interdite d’accès par une énorme caserne israélienne.
Dans le camp de Kutupalong, le camp de réfugiés le plus grand et le plus surpeuplé au monde avec une population de 620 000 personnes, un groupe d’enfants de moins de 10 ans se tenait debout sur un terrain légèrement plus haut que nous, se baignant sous des robinets et hurlant de rire.
Ils ont crié leur hello et “comment allez-vous” et s’excitaient au maximum, criant de joie chaque fois que nous répondions. Cela a duré quelques minutes, les salutations répétées, nos réponses et leur joie. Puis ils ont crié, toujours à l’unisson, une phrase que je n’avais pas entendue des autres enfants que nous avions rencontrés. “Je vais te tuer!” criaient-ils avant de redoubler de rire. “Je vais te tuer!” criaient-ils à nouveau, leurs expressions de gaîté et d’innocence totalement opposés à les mots terribles, faisant que celui qui entendait s’en trouvait désorienté.
Ce “Je vais te tuer” a résonné dans mes oreilles longtemps après que nous ayons quitté le camp, les visages inscrits dans mes yeux, alors que je pensais à l’espace où le traumatisme et le soulagement, l’innocence et la vision directe du mal, coexistent sous la forme des enfants, les premières victimes et les plus innocentes de tous les génocides, de tous les déplacements forcés, de toutes les guerres menées contre une population.
* Linah Alsaafin, diplômée de l’université de Birzeit en Cisjordanie, est née à Cardiff au pays de Galles et a été élevée en Angleterre, aux États-Unis et en Palestine. Jeune palestinienne , elle écrit pour plusieurs médias palestiniens et arabes – Twitter :@LinahAlsaafin
27 août 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine