Par Mariam Barghouti
Le Conseil central palestinien (CCP) avait annoncé qu’il autorisait l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à suspendre la reconnaissance d’Israël et à interrompre la coordination sécuritaire avec Tel Aviv. Elle a fait valoir que les suspensions devraient rester en vigueur jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse l’État palestinien sur la base des frontières d’avant 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale.
Nous avons ri toutes les deux, mais plus que de toute autre chose, nous avons ri de la tragédie de la situation. Le CCP a fait la même annonce en 2015. La répétition était en effet tragique et révélatrice de la nature de ces efforts – à savoir de simples considérations, rien de plus que des tactiques risibles d’épouvantail.
L’expression “coordination sécuritaire” est trompeuse en soi. En réalité, c’est une voie à sens unique : L’Autorité palestinienne collabore avec Israël aux dépens des Palestiniens. Jamais l’inverse. Cette soi-disant “coopération” est l’une des caractéristiques des accords d’Oslo mort-nés de 1993.
La peur d’Israël
A bien des égards, la décision du CCP de déclarer – une fois de plus – qu’il mettrait fin à la coordination répressive et révoquerait la reconnaissance d’Israël n’est pas choquante ni même digne de mention. Ce qui est vraiment frappant dans cet incident, cependant, c’est la réaction d’Israël.
Après l’annonce, les médias israéliens sont entrés dans une frénésie totale, montrant à quel point Israël craint toute perspective d’affrontement sérieux avec la Palestine. Même une simple déclaration de l’OLP (qui, comme cela s’est avéré dans le passé, n’est guère susceptible d’être vraiment appliquée) semble déclencher une panique majeure sur le front politique israélien.
Cela reflète les craintes israéliennes intériorisées que les Palestiniens ne soient de fait en train d’harmoniser leurs efforts de résistance et n’entretiennent une fois de plus une logique de confrontation indépendante.
Nous en avons déjà vu de nombreux exemples.
L’année dernière, lorsque Ahed Tamimi, 16 ans, a giflé deux soldats israéliens qui avaient fait irruption dans la cour avant de sa maison, la même peur intériorisée a refait surface dans les médias, la société et la sphère politique israéliennes. Elle a été arrêtée, jugée par un tribunal militaire et condamnée à huit mois de prison avec sa mère, Nariman.
Tout comportement qui s’écarte d’une manière ou d’une autre du récit selon lequel la population palestinienne est docile et impuissante, qu’il s’agisse d’une jeune fille qui s’oppose aux soldats ou d’une direction habituellement soumise qui prétend soudainement qu’elle pourrait mettre fin à sa collaboration avec les colonisateurs, fait peur à Israël.
Mais lorsque l’OLP et l’Autorité palestinienne prennent des mesures apparemment audacieuses, comme l’annonce de mardi, pour ensuite revenir en arrière dès que leur pouvoir et leurs avantages (qu’elles ont acquis par la corruption, l’autoritarisme et le clientélisme) sont de nouveau assurés, elles affaiblissent le petit effet de levier dont disposent les Palestiniens contre Israël.
Soit elles ne voient pas à quel point leurs volte-face, leurs tactiques d’épouvantail et leurs fausses résistances affectent la population palestinienne, soit elles en sont bien conscientes et n’en n’ont cure.
Mais il y a un aspect encore plus sinistre à la dernière déclaration en date du CCP. Non seulement elle sape la résistance palestinienne par son caractère incertain et peu fiable, mais elle comporte aussi des connotations qui mettent en évidence la soumission totale de l’OLP et de l’AP au système colonial.
En menaçant de révoquer leur reconnaissance d’Israël, les dirigeants palestiniens rappellent une fois de plus au monde qu’ils acceptent en fait la légitimité d’Israël. Ils indiquent également qu’ils continueront à le faire tant qu’Israël aura la gentillesse de leur laisser quelques miettes. Ce genre de marchandage hypocrite n’est rien d’autre qu’un feu vert pour qu’Israël poursuive ses pratiques colonialistes, prospère et persiste dans son pillage violent des terres et des ressources palestiniennes et le massacre du peuple palestinien.
Rappelons-nous que ce massacre n’est pas seulement un souvenir du passé, un événement qui ne s’est produit il y a 70 ans uniquement, lors de la Nakba. Il est toujours en cours. Rien que depuis le 30 mars de cette année, dans une seule ville – Gaza – 218 Palestiniens au moins ont été tués.
Le fait que cette décision puisse même être prise (à nouveau) expose la complicité de l’OLP depuis des décennies dans l’oblitération des crimes d’Israël. De par sa reconnaissance d’Israël et sa coopération avec ce dernier, l’OLP ignore la crise des réfugiés palestiniens et le droit de ces réfugiés à rentrer chez eux ou à être indemnisés. De plus, elle gomme complètement l’existence des milliers de Palestiniens de citoyenneté israélienne qui luttent pour continuer à vivre dans leur propre patrie dont ils sont des citoyens de seconde classe.
Une tentative désespérée de regagner sa légitimité
Si nous regardons de plus près l’annonce du CCP en 2015 et sa dernière en date, nous verrons une tendance se dessiner clairement.
L’annonce de 2015 est intervenue juste un an après l’attaque israélienne contre Gaza, qui a coûté la vie à plus de 2 100 Palestiniens – et en a déplacé plus de 108 000. Des manifestations se déroulaient en Cisjordanie contre l’Autorité palestinienne et sa complicité avec Israël.
L’annonce de cette semaine est intervenue alors que la manifestation historique contre le colonialisme israélien à Gaza entrait dans sa 31e semaine. L’Autorité palestinienne, quant à elle, perd rapidement de sa légitimité et fait de la Palestine un État policier aux yeux des Palestiniens et du monde entier alors qu’elle continue d’investir dans ses forces de sécurité pour maintenir sa population sous contrôle et faire plaisir à Israël.
Elle a brutalement réprimé les manifestants palestiniens qui voulaient protester contre les sanctions prises par leurs dirigeants contre la Bande de Gaza. De plus, l’administration Trump a enhardi le gouvernement israélien en déplaçant son ambassade en Israël de Tel Aviv à Jérusalem et en reconnaissant la ville comme la capitale indivise d’Israël.
En d’autres termes, les deux annonces sont intervenues à un moment instable pour la Palestine et les Palestiniens, car les dirigeants palestiniens étaient sur le point de perdre toute légitimité. Les annonces, aussi creuses soient-elles, sont des tentatives désespérées de la part de l’OLP et de l’AP pour apparaître aux yeux des Palestiniens et de la communauté internationale comme les seuls gardiens et représentants pertinents légitimes du peuple palestinien.
La lutte palestinienne a été réduite à de l’encre sur du papier et à des poignées de main en 1993, et l’OLP et l’Autorité palestinienne ne semblent guère pouvoir sortir de cet état d’esprit 25 ans plus tard. Elles veulent rester les seules directions reconnues de la cause palestinienne, à tout prix.
Aujourd’hui, les Palestiniens sont contraints d’essuyer les résultats tragiques de la collaboration éhontée de leurs dirigeants, de leurs échecs magnanimes et de leurs stratagèmes politiques destructeurs. Malgré cela, les cris de liberté du peuple palestinien ne seront pas étouffés par des déclarations vides de sens et une mise en scène politique.
* Mariam Barghouti est une écrivaine palestino-américaine basée à Ramallah. Ses commentaires politiques sont publiés dans l’International Business Times, le New York Times, TRT-World, entre autres publications. Son compte twitter. : @MariamBarghouti
4 novembre 2018 – Al-Jazeera – Traduction: Chronique de Palestine – MJB