Depuis des mois, Jarrar organisait un tentative palestinienne visant à traduire Israël devant la Cour pénale internationale (CPI).
Ses recherches ce soir-là étaient directement la cause du fait qu’un groupe de soldats menotte une intellectuelle Palestinienne respectée et la jette en prison, sans procès ni obligation de rendre le moindre compte.
Jarrar avait été libérée en juin 2016 après avoir passé plus d’un an en prison, pour être de nouveau kidnappée le 2 juillet 2017. A ce jour, elle est toujours incarcérée dans une prison israélienne.
Le 28 octobre de cette année, sa “détention administrative” a été renouvelée pour la quatrième fois.
Il y a des milliers de prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes, la plupart d’entre eux détenus en dehors des Territoires palestiniens occupés militairement, en violation de la quatrième Convention de Genève.
Mais près de 500 Palestiniens appartiennent à une catégorie différente, puisqu’ils sont détenus sans jugement et par périodes de six mois. Ces périodes sont renouvelées – parfois indéfiniment – par les tribunaux militaires israéliens sans aucune justification légale. Jarrar fait partie de ce type de détenus.
Jarrar n’est pas du genre à supplier ses geôliers pour retrouver sa liberté. Au lieu de cela, elle s’emploie à éduquer ses codétenues sur le droit international, proposant des cours et publiant des déclarations destinées au monde extérieur et qui reflètent non seulement son intelligence très fine, mais aussi sa détermination et sa force de caractère.
Jarrar est tenace. En dépit de son état de santé précaire – elle souffre de multiples infarctus ischémiques, d’hypercholestérolémie et a été hospitalisée en raison d’un saignement grave résultant d’une épistaxis – son engagement envers la cause de son peuple ne s’est nullement affaibli ni amoindri.
Cette avocate palestinienne âgée de 55 ans a défendu un discours politique qui fait largement défaut au milieu de la dispute qui règne actuellement entre le Fatah, la plus grande faction de l’Autorité palestinienne, en Cisjordanie occupée, et le mouvement Hamas à Gaza.
En tant que membre du Conseil législatif palestinien (CLP) et membre actif du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), Jarrar a toujours défendu une politique qui ne soit pas déconnectée du peuple et surtout des femmes qu’elle représente fortement et sans compromis d’aucune sorte.
Selon Jarrar, aucun responsable palestinien ne devrait engager aucune forme de dialogue avec Israël, car un tel engagement contribue à légitimer un État fondé sur le génocide et le nettoyage ethnique et qui se livre aujourd’hui à différents types de crimes de guerre. Les crimes que Jarrar a justement essayé d’exposer devant la CPI.
Comme on peut s’y attendre, Jarrar rejette le prétendu “processus de paix”, un exercice dépourvu de sens qui n’a aucune intention ni aucun outil à sa disposition pour faire “appliquer les résolutions internationales relatives à la cause palestinienne et à reconnaître les droits fondamentaux des Palestiniens”.
Il va sans dire qu’une femme qui adopte une position aussi méritoire et forte rejette avec véhémence la coordination répressive entre l’Autorité palestinienne et Israël, considérant cette politique comme une trahison vis-à-vis de la lutte et des sacrifices du peuple palestinien.
Alors que les responsables de l’Autorité palestinienne continuent de bénéficier des avantages du “leadership”, cherchant désespérément un peu d’oxygène dans un discours politique moribond sur un “processus de paix” et une “solution à deux États”, Jarrar, une vraie dirigeante palestinienne dotée d’une véritable vision, survit dans la prison de HaSharon. Avec des dizaines de femmes palestiniennes, elle y subit l’humiliation quotidienne, le déni de ses droits et divers types de méthodes propres à Israël visant à briser sa volonté.
Mais Jarrar a autant d’expérience dans la résistance à Israël que dans ses connaissances juridiques et sur les droits de l’homme.
En août 2014, alors qu’Israël était en train de commettre l’un des actes de génocide les plus odieux qu’il ait commis à Gaza – tuant et blessant des milliers de personnes dans sa soi-disant guerre “Bordure protectrice“, Jarrar a reçu la visite peu souhaitée de soldats israéliens.
Conscient du travail et de la crédibilité de Jarrar en tant qu’avocate palestinienne à vocation internationale (elle est la représentante de la Palestine au Conseil de l’Europe), le gouvernement israélien a lancé sa campagne de harcèlement qui a abouti à son emprisonnement. Les soldats lui avaient communiqué un décret militaire lui intimant l’ordre de quitter sa maison à Al-Bireh, près de Ramallah, pour aller à Jéricho.
Comme il était impossible de faire taire sa voix, elle a été arrêtée en avril de l’année suivante, marquant le début d’une période de souffrance mais aussi de résistance, qui n’a pas encore pris fin.
Lorsque l’armée israélienne est venue s’emparer de Jarrar, elle a fait encercler sa maison par un grand nombre de soldats, comme si cette militante palestinienne à la voix si forte était “la plus grande menace pour la sécurité” d’Israël.
La scène était assez surréaliste et révélait la peur d’Israël : celle des Palestiniens comme Khalida Jarrar, qui sont à même de diffuser un message clair qui dénonce Israël au reste du monde.
Cela rappelait la phrase qui ouvre le roman de Franz Kafka, “Le Procès” : “Quelqu’un a certainement proféré une fausse accusation contre Joseph K., car il a été arrêté un matin sans avoir rien fait de mal”.
La détention administrative en Israël est une reproduction à l’infini de cette scène kafkaïenne. Joseph K. est Khalida Jarrar en même temps que des milliers d’autres Palestiniens qui paient un prix très lourd pour avoir simplement exigé les droits et la liberté pour leur peuple.
Sous la pression internationale, Israël a été obligé de traduire Jarrar en justice, faisant valoir ses douze chefs d’accusation, notamment sa visite à un prisonnier libéré et sa participation à une foire du livre.
Sa nouvelle arrestation et les quatre renouvellements de sa détention administrative témoignent non seulement de l’absence de réelles accusations à l’encontre de Jarrar, mais aussi de la faillite morale d’Israël.
Mais pourquoi Israël a-t-il peur de Khalida Jarrar ?
La vérité est que Jarrar, comme de nombreuses autres Palestiniennes, représente l’antidote du récit monté de toutes pièces par Israël, qui promet sans relâche Israël comme un oasis de liberté, de démocratie et de défense des droits de l’homme, par opposition à une société palestinienne supposée être le contraire de ce que Israël prétend représenter.
Jarrar, une avocate, une militante des droits de l’homme, une éminente responsable politique et défenseur des femmes, démolit par son éloquence, son courage et sa profonde compréhension de ses droits et des droits de son peuple, toute cette construction mensongère israélienne.
Jarrar est une féministe par excellence. Son féminisme, cependant, n’est pas une simple politique identitaire, une idéologie superficielle évoquant des droits formels dans le but de gagner la sympathie d’un public occidental.
Au lieu de cela, Khalida Jarrar se bat pour les femmes palestiniennes, leur liberté et leur droit de recevoir une éducation adéquate, de chercher un emploi et d’améliorer leurs conditions de vie tout en faisant face à d’énormes obstacles liés à l’occupation militaire, à la prison et à la pression sociale.
Khalida en arabe signifie “immortelle”, un prénom tout à fait approprié pour une véritable combattante qui représente l’héritage de générations de femmes palestiniennes énergiques et courageuses, dont le sumoud – la fermeté – inspirera toujours toute une nation.
* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Son prochain livre est «The Last Earth: A Palestine Story» (Pluto Press). Baroud a un doctorat en études de la Palestine de l’Université d’Exeter et est chercheur associé au Centre Orfalea d’études mondiales et internationales, Université de Californie. Visitez son site web: www.ramzybaroud.net.
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7 novembre 2018 – RamzyBaroud.net – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah