Par Rasha Abu Jalal
GAZA (bande de Gaza) – Ramadan al-Masry, un agriculteur palestinien, a affronté la peur et l’anxiété lorsqu’il a récolté sa culture de blé et d’orge plus tôt ce mois-ci, sur ses terres à l’est de la ville de Gaza, observant de près le mouvement des soldats israéliens déployés le long de la frontière.
L’angoisse semble être la règle du jeu pour les agriculteurs palestiniens dans la zone tampon entre Gaza et Israël, qui mesure 300 mètres, à l’intérieur de la frontière gazaouie. Les agriculteurs craignent ce qu’ils décrivent comme des tirs constants des forces israéliennes, qui défient ouvertement un accord de trêve signé en août 2014 entre la résistance palestinienne et Israël dans le but de mettre fin à la guerre qui a frappé Gaza en 2014.
Le 1er mai, la radio militaire israélienne a annoncé que l’armée israélienne autoriserait les agriculteurs de Gaza à accéder aux zones proches de la frontière pour récolter leur culture, en coopération avec l’Organisation des Nations Unies dans la bande de Gaza et sous la supervision du Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
Malgré cette entente, les forces israéliennes ont pourtant continué à tirer de temps à autre. Le 12 mai, ils ont tiré sur des agriculteurs et des travailleurs qui récoltaient du blé à Khuza’a, à l’est de Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza.
Masry, son épouse et ses six enfants récoltaient du blé et de l’orge sur leurs terres d’une vingtaine d’ares, qui se trouvent à environ 200 mètres de la frontière. « Nous ne pouvons pas travailler plus de deux heures d’affilée de peur d’être abattus », a-t-il expliqué à Al-Monitor.
« L’armée israélienne nous a empêchés d’utiliser des machines pour récolter notre culture : elle nous a seulement autorisés à utiliser des faucilles. Cela ralentit le processus de récolte et le rend plus difficile. Même si nous respectons ces instructions, nous nous faisons souvent tirer dessus sans raison apparente. »
En 2015, l’armée israélienne a ouvert le feu à 194 reprises le long de la frontière de la bande de Gaza. Elle a également procédé à 44 incursions, selon le rapport annuel sur les violations israéliennes les plus importantes publié en janvier par le Centre Hemaya pour les droits de l’homme.
À l’est de Khan Younis, Rafik al-Najjar, agriculteur, a récolté sa culture de blé avec quatre travailleurs. « C’est notre dernière heure de moisson de blé. Nous l’avons faite sans danger », a-t-il affirmé, poussant un soupir de soulagement.
Najjar a déclaré à Al-Monitor qu’il a commencé sa récolte début mai, après avoir entendu dire qu’Israël autorisait les agriculteurs à accéder à la zone.
« Pourtant, Israël ne nous a pas autorisés à récolter nos cultures agricoles et a procédé à des incursions dans la zone tampon le 4 mai », a-t-il ajouté.
Le 4 mai, la frontière orientale de la bande de Gaza a connu une escalade militaire sans précédent depuis la fin de la dernière guerre contre Gaza. Des véhicules militaires israéliens ont franchi d’environ 150 mètres la frontière orientale des provinces du sud de Gaza afin de déployer des soldats. En réponse, la résistance palestinienne a pilonné les véhicules avec des tirs de mortier.
Ismaël Haniyeh, chef adjoint du bureau politique du Hamas, a commenté les incursions au cours de son sermon du vendredi 6 mai dans le centre de la bande de Gaza. « La résistance ne permettra pas à l’occupation d’imposer une nouvelle équation, ni à l’intérieur des frontières de Gaza, ni dans la zone tampon », a-t-il déclaré.
Le 7 mai, les incursions des forces israéliennes ont pris fin, tous comme les affrontements avec la résistance. Cela a permis aux agriculteurs de reprendre la récolte, mais le sursis a été de courte durée : l’armée a rapidement repris des tirs sporadiques mais fréquents contre les agriculteurs.
« Malgré la fin de l’escalade militaire, les agriculteurs continuent de travailler dans l’inquiétude en raison des tirs quotidiens depuis des tours militaires situées le long de la frontière de Gaza », a ajouté Najjar.
Le CICR n’a pas émis de déclarations aux médias sur les récentes violations israéliennes et Al-Monitor n’a pas pu entrer en contact avec des responsables du CICR pour recueillir des commentaires.
« Israël n’a autorisé les agriculteurs à récolter leurs cultures que pendant une période de temps limitée qui s’est terminée avec la fin de la saison des récoltes de blé et d’orge, qui ne dépasse pas une semaine », a déclaré à Al-Monitor Medhat Helles, coordinateur du plaidoyer et des programmes médiatiques à l’Association pour le développement agricole à Gaza.
« Malgré cela, les agriculteurs craignent encore pour leur vie et ne travaillent pas librement en raison des tirs répétés qui ont lieu », a-t-il ajouté. Il a souligné que le risque de tirs ne se limitait pas à 300 mètres, mais pouvait aller jusqu’à un kilomètre.
Selon Helles, les soldats israéliens ont demandé aux agriculteurs de rester à 100 mètres de la frontière lors de la récolte des cultures dans la zone tampon.
La zone tampon est d’une superficie d’environ 9 100 hectares et représente 25 % de la production agricole totale dans la bande de Gaza, a déclaré Nizar al-Wahidi, directeur du département des terres et de l’irrigation au ministère gazaoui de l’Agriculture.
« Depuis la fin de la dernière guerre contre Gaza, Israël a permis aux agriculteurs de cultiver cette zone avec des cultures courtes qui ne poussent pas à plus de 80 centimètres telles que le blé et l’orge, car il leur interdit d’y construire des serres ou des bâtiments », a expliqué Wahidi à Al-Monitor.
Il a souligné qu’après que la trêve a été signée en 2014, les agriculteurs ont pu revenir dans la zone tampon pour réhabiliter et cultiver leurs terres, ce qui a entraîné un boom de la production agricole à Gaza. Cependant, l’armée israélienne a recommencé à tirer sur les agriculteurs au milieu de l’année 2015, suscitant une peur de travailler.
Pour Helles, les terres dans la zone tampon font partie des terres agricoles les plus fertiles et les plus vitales de Gaza, mais ne sont pas exploitées de manière optimale. Les agriculteurs préfèrent ne pas investir dans les terres à cause des politiques israéliennes.
* Rasha Abou Jalal est auteure et journaliste à Gaza. Elle couvre les événements politiques et les questions humanitaires et elle a produit des reportages sur des questions sociales pour le journal local Istiklal pendant six ans. Rasha a également été membre du jury de l'événement annuel sur la liberté de la presse dans la bande de Gaza, Press House, en 2016. Son compte Twitter.Auteur : Rasha Abu Jalal
15 mai 2016 – Al-Monitor – Traduction : Valentin B.