Par Ramzy Baroud
Les pourparlers sur l’unité palestinienne organisés à Moscou le 11 février à Moscou ne furent ni un succès ni un échec. L’union des organisations palestiniennes n’était pas l’objectif principal de la conférence de Moscou.
La nature de l’événement, le pays hôte et les messages tout à fait clairs envoyés à Washington et à Tel-Aviv étaient tous censés nous communiquer autre chose. Et ils l’ont fait.
Le responsable de la délégation du Fatah à la conférence, Azzam al-Ahmad, a présenté ses excuses à ses hôtes au nom des Palestiniens pour ne pas avoir réussi à parvenir à une réconciliation politique.
Mais ces excuses auraient pu être préparées à l’avance. Il n’aurait pas été logique d’espérer qu’une conférence organisée dans une telle précipitation, avec aussi peu de réunions ou consultations préalables aurait pu accoucher de l’unité souhaitée.
Mais compte tenu des divers accords d’union conclus entre le Fatah et le Hamas dans le passé – jamais respectés – et compte tenu des mesures punitives supplémentaires imposées récemment par l’Autorité palestinienne [AP de Ramallah] à la population e Gaza, un accord d’union en Russie n’aurait été rien de moins qu’un miracle.
Alors, pourquoi les Russes ont-ils organisé la conférence et pourquoi les Palestiniens ont-ils accepté d’être présents si son échec était annoncé à l’avance ?
La réponse est ailleurs, notamment à Varsovie, en Pologne.
À peu près au même moment où les Palestiniens se réunissaient à Moscou sous les auspices du ministre des Affaires étrangères de la Russie, Sergueï Lavrov, les États-Unis tenaient leur propre conférence à Varsovie, en Pologne.
La rencontre de Varsovie était la tentative des États-Unis d’imposer un nouveau paradigme politique pour remplacer le ainsi-nommé “processus de paix” qui était une invention politique américaine.
Alors que le “processus de paix”, grâce au soutien aveugle des États-Unis à Israël, a lamentablement échoué, il est également peu probable que Varsovie produise une vision politique significative ou à long terme au Moyen-Orient. Cette conférence était l’équivalent d’une déclaration publique américaine selon laquelle seul Israël comptait et que l’engagement de Washington à l’égard de Tel-Aviv était primordial.
Même l’autorité de Mahmoud Abbas, connue pour son asservissement politique à Washington, a repoussé la nouvelle et si grossière approche politique des États-Unis. L’administration de Donald Trump a répété à maintes reprises à son ancien allié palestinien que les aspirations politiques palestiniennes n’étaient plus une question digne de la considération des États-Unis. Le déplacement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Washington en mai dernier était l’un des nombreux signes allant dans ce sens.
Abbas, qui exerce de plus en plus de pression sur ses rivaux du Hamas à Gaza et complote contre ses propres rivaux du Fatah en Cisjordanie, a accepté d’autoriser la participation du Fatah à la conférence de Moscou, car il a aussi un message à adresser aux États-Unis, consistant à dire : “Nous aussi disposons d’une nouvelle stratégie et d’alternatives politiques”.
Sachant d’avance que le prétendu “accord du siècle” de Trump s’inscrira dans la nouvelle approche plus agressive de la politique étrangère américaine vis-à-vis du Moyen-Orient, le Fatah tient à empêcher l’annonce de cet “accord” en recherchant des relais différents et qui ne passent pas nécessairement par Washington.
Pour le Hamas, le Jihad islamique et d’autres organisations palestiniennes, écarter le Fatah de l’emprise de Washington est un sujet sur lequel ils peuvent également s’accorder.
Hussam Badran, un responsable du Hamas, a été très clair sur le consensus de tous les participants palestiniens pour dénoncer le “deal du siècle (et) toutes les conspirations visant à liquider la cause palestinienne”.
Musa Abu Marzouk, qui dirigeait la délégation du Hamas, a déclaré depuis Moscou que toutes les organisations palestiniennes travailleraient ensemble pour “faire face à l’accord du siècle”.
La position du Fatah était identique.
Pour la Russie, un appel palestinien unifié visant à dénoncer le dernier stratagème politique américain dans la région va dans le sens des initiatives actuelles de Moscou pour saper le rôle que Washington veut jouer au Moyen-Orient.
Certes, les factions palestiniennes n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur une déclaration finale écrite au nom de toutes les parties, mais les désaccords n’ont que peu d’importance face à la vision politique des stratèges politiques de Washington.
Le Jihad islamique refuse de considérer un État palestinien à l’intérieur des frontières de 1967 et, avec le Hamas, ne considère pas l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme le seul et unique représentant de tous les Palestiniens, comme l’avait pourtant proposé le projet de déclaration finale.
Ces positions ne sont guère nouvelles, d’autant plus que le Hamas et le Jihad islamique ne font pas encore partie de l’OLP. Les organisations palestiniennes auraient besoin de plus d’une conférence de deux jours à Moscou pour régler les nombreux aspects de problèmes aussi complexes.
La Russie aussi avait ses propres messages à faire connaître. Outre celui adressé à la conférence des États-Unis à Varsovie signifiant que la Russie est prête à combler le vide laissé par l’abandon par les États-Unis du “processus de paix”, un autre sommet politique organisé à Sochi – toujours par la Russie – a véhiculé plusieurs niveaux de significations directes et moins directes.
Ce sommet tripartite de Sotchi a réuni la Russie, la Turquie et l’Iran pour discuter de l’avenir de la Syrie après le retrait des États-Unis.
Le fait que la Russie soit fortement impliquée dans deux processus et conflits politiques majeurs concernant le Moyen-Orient est sans précédent depuis la fin de la guerre froide et la désintégration du bloc socialiste dirigé par la Russie soviétique.
Ceux qui à Washington voient Moscou comme un adversaire ont dû être particulièrement mécontents des nouveaux développements. La rivalité américano-russe en est à son point culminant depuis de nombreuses années.
Le Hamas et d’autres organisations palestiniennes, à l’exception du Fatah, devraient faire bon accueil au réengagement de la Russie, quel que soit le contexte politique. Le Hamas est soumis à des pressions massives et à un isolement presque complet à Gaza depuis de nombreuses années et un tel débouché politique est, pour le mouvement, un développement encourageant.
Le Hamas est maintenant prêt à resserrer ses liens avec la Russie, en particulier après que le premier dirigeant du mouvement, Ismail Haniyeh, ait été officiellement invité à inclure la Russie dans son prochain voyage hors de la ville assiégée de Gaza.
Le changement majeur dans l’équation politique, cependant, est que le Fatah a récemment été rayé de la liste des sponsors politiques américains et il cherche donc désespérément de nouveaux commanditaires politiques et financiers.
Mahmoud Abbas attendra probablement d’autres indices de l’évolution de la position américaine avant d’abandonner complètement sa quête d’une “paix” avec Israël parrainée par les États-Unis.
Les trois conférences – Varsovie, Moscou et Sochi – devraient suffire à indiquer que le nouveau paradigme politique, en cours d’élaboration depuis des années, ne sera probablement plus inversé, du moins dans un avenir proche.
Auteur : Ramzy Baroud
* Dr Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle. Il est l'auteur de six ouvrages. Son dernier livre, coédité avec Ilan Pappé, s'intitule « Our Vision for Liberation : Engaged Palestinian Leaders and Intellectuals Speak out » (version française). Parmi ses autres livres figurent « These Chains Will Be Broken: Palestinian Stories of Struggle and Defiance in Israeli Prisons », « My Father was a Freedom Fighter » (version française), « The Last Earth » et « The Second Palestinian Intifada » (version française) Dr Ramzy Baroud est chercheur principal non résident au Centre for Islam and Global Affairs (CIGA). Son site web.
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19 février 2019 – Maan News – Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah